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Adel Benazzouz : « Cet arrêté ministériel est un signal fort de crédibilité vis-à-vis des investisseurs »

Le Ministre de la Transition énergétique et du Développement durable a récemment publié un arrêté qui fixe les zones capables d’accueillir des projets d’énergies électrique dans le pays, et qui rend effective l’ouverture de la moyenne tension au solaire. Adel Benazzouz, Founder & CEO de  Gaits Industries, une entreprise d’innovation axée sur la technologie, spécialisée dans les services d’ingénierie, d’approvisionnement, de construction, de gestion et de maintenance pour les énergies renouvelables et les procédés industriels, nous décrypte les enjeux de cet important arrêté ministériel.

Challenge : Le gouvernement marocain entend étoffer le territoire national de sites de production d’énergies renouvelables. Un arrêté fixant les zones devant accueillir ces projets a été publié récemment. Que pensez-vous de cette décision ? 

Adel Benazzouz : Enfin de la bonne réactivité et du vrai dynamisme sur ce dossier important pour notre souveraineté énergétique nationale ! Un leadership très efficace et donc rassurant au sein du MTEDD (Ministère de la transition énergétique et du développement durable) capable de mobilisation interministérielle concluante. Certes, un pas dans le bon sens, un arrêté tant attendu par tous les opérateurs du secteur ainsi que nos industriels et nos commerces entravés par les couts d’électricité. Un signal fort de crédibilité et de cohérence vis-à-vis des investisseurs et partenaires étrangers. Nous pourrons relayer avec un grand soulagement que le volet législatif et administratif du dossier des énergies renouvelables en moyenne tension est enfin bouclé dans ses grandes lignes. Mais donnant la structure organisationnelle du secteur et les rôles de ses parties prenantes, les projets restent toujours arbitraires de l’exécution de la connexion physique au réseau électrique national gérer exclusivement par l’ONEE. Il nous reste encore deux pas audacieux majeurs à franchir pour économiquement viabiliser cette filière.

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En premier lieu, doter l’ANRE de plus de pouvoir pour renforcer son rôle important et axial dans les situations d’arbitrage sur l’interprétation et la mise en application des lois et règlementations inclut le point critique de la coordination des autorisations et des ordres d’exécution des connexions au réseau électrique national. En deuxième lieu, repenser et réinventer la structure archaïque amorphe du secteur actuellement organisé sous un unique « Office » titulaire de monopole historique, juge et partie opérant sur des activités de gestion de réseau, production, transmission, distribution et bien d’autres.  Il est bien de rappeler que dans le contexte moderne décentralisé d’approvisionnement énergétique, ces activités sont objectivement non synergétiques et ne justifient plus leur montage artificiel sous une seule entité. C’est autour de ces décisions stratégiques majeures que l’avenir de notre filière se jouera maintenant que tous les nœuds de la loi 13.09 sont démêlés. Nous sommes très heureux de constater que le pouvoir exécutif est bien résolu à donner de l’essor à ce chantier sectoriel. 

Ledit arrêté rend désormais effective l’ouverture de la moyenne tension au solaire et permet au ministère de délivrer des autorisations aux développeurs privés. A votre avis, qu’est-ce que cela va apporter à la dynamique du Maroc dans le domaine des énergies renouvelables, notamment le solaire ? 

Adel Benazzouz: Dès lors que les conditions nécessaires et favorables pour l’intégration opérationnelle complète des énergies renouvelables sont réunies à court terme, ces mesures vont avoir un effet catalyseur direct et immédiat sur les investissements et la création de l’emploi sur l’ensemble des régions du royaume dotées de zones autorisées. Nous allons pouvoir réactiver des dossiers d’investissement mis en gèle depuis des années et aussi pouvoir absorber un grand nombre de techniciens et ingénieurs formés sur ces spécialités.

Désormais, le choix d’une énergie verte n’est plus que d’ordre moral pour nos industriels par rapport à la situation d’urgence climatique, mais il devient aussi un choix économique incontournable. Sachant que la mise en application des taxes carbone est prévue dans quelques mois sur l’ensemble des pays de l’Union Européenne. Nos industriels vont pouvoir bénéficier d’un kWh jusqu’à 25% moins cher et donc à leur tour avoir des structures de coût plus allégées en plus d’un mix en énergie verte qui va leur permettre d’être encore plus compétitif sur des marchés exigeants à l’export.

A moyen terme, la dynamique économique de la filière, à son tour, va doper les initiatives d’innovation technologiques et économiques positionnant le Maroc sur la carte régionale de la supply chain de la filière solaire.

Cela consistera en une intégration verticale sur la chaine de valeur donnant lieu à plusieurs unités de production d’équipements locales à l’instar de l’écosystème automobile. En aval, le Maroc pourrait aussi se positionner avec la fourniture d’un kWh vert moins cher et moins intermittent.

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Cette offre pourrait être conçue pour des créneaux horaires de demande plus intéressants jouant un rôle de batterie verte asynchrone pour des marchés du voisinage longitudinalement vers l’Est à travers les interconnexions électriques intercontinentales. Cependant, il faudrait accélérer les extensions vers le sud et les renforcements vers le nord des interconnectivités du réseau, et en l’occurrence, renversant la balance nationale nette des échanges électriques, historiquement toujours négative.

Enfin, sur l’approche structurelle, il faut dire que ce pivot vers une implémentation décentralisée en plusieurs petits et moyens projets multi-sites au lieu de grands projets centralisés binaires mono-sites est plus adapté à l’état des lieux de notre réseau national, ce qui permet aussi une meilleure atténuation de l’intermittence.

Sans oublier que les projets multi-sites de taille humaine sont vecteurs de développement durable local et sont aussi bien à la portée des opérateurs nationaux pour les financer et les réaliser d’une façon plus autonome et plus favorable sur le long terme, favorisant ainsi un savoir-faire exportable.  

Pour conclure sur cette question du potentiel de l’impact de cette filière, il faut noter que le gisement énergétique renouvelable du royaume n’est pas si différent en sa valeur pour l’économie nationale de celui des phosphates. Aussi, ce don divin est bien capable de donner un nouveau bras de compétitivité au pays s’il est bien considéré et traité d’une façon adaptée à lui donner cet élan stratégique.  

Challenge : Qu’est-ce qui freine la mise en place d’un écosystème dans ce domaine, comme c’est le cas déjà dans l’automobile ou l’aéronautique ? 

Adel Benazzouz : L’ambigüité et l’ambivalence sont l’ennemie du progrès. Les nouveaux secteurs à succès que vous avez mentionnés ont eu un contexte de mise en place complètement différent de celui que les énergies renouvelables ont eu. Ces secteurs n’avaient pas de titulaire historique sur le marché national. C’est un cas d’école d’une stratégie « Blue Ocean » avec une vision claire, une poussée unidirectionnelle avec des opérateurs, tous nouveaux, avec leurs planches vierges, des carnets de commande locaux garnis, et des avantages logistiques et des incitations fiscales et financières importantes.

Cette situation est complétement à l’opposé de ce que les énergies renouvelables ont eu comme contexte de lancement. Le choix du modèle multivariable d’implantation d’une filière prédit très bien la courbe d’évolution de cette dernière. Tout est en fonction de l’environnement stratégique d’amorçage que nous offrons à une filière versus une autre.   

Nous pourrions plutôt considérer un autre proxy historique réussi qui avait un environnement et des enjeux stratégiques comparables à l’état actuel de notre secteur. Contemplons le parallèle rétrospectif des télécoms des années 90 et son autre Office qui fut l’ONPTT.

Sans le démantèlement de cet Office, sans la restructuration organisationnelle du secteur, sans la création d’une forte ANRT, et sans la libéralisation du marché des télécoms au Maroc, pourrions-nous chiffrer le manque à gagner qui aurait été enregistré aujourd’hui ?

Est-ce qu’il y aurait eu l’émergence des champions internationaux Marocains actuels dans les filières adjacentes de l’Offshoring et des NTIC ? Qu’elle aurait été notre vitesse de développement sans les cessions des licences mobiles et par conséquent la création ingénieuse du Fond Hassan II pour le développement économique et social ? Les externalités positives de cette destruction créatrice courageuse dans le secteur télécom national a fait toute la différence pour le Maroc d’aujourd’hui et a bien donné naissance à une nouvelle ère qui a mis le pays en phase avec le cours de l’histoire dans les domaines de la télécommunication et des nouvelles technologies d’information.

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Maintenant j’invite vivement l’ensemble des parties prenantes, en premier lieu l’ONEE, d’entreprendre au sens de l’économiste Joseph Schumpeter et de repenser objectivement leurs rôles dans notre secteur. Pour saisir un peu plus le sens de l’urgence, comptabilisons ce que le blocus et la complexité législative de la loi 13.09 nous a déjà couté au cours de ces 12 années particulières. Pire encore, ce que notre inaction coutera à notre économie importatrice chronique net d’électricité. Rien que l’année dernière par exemple, le total d’énergie électrique importée de chez nos deux voisins du nord et de l’est était équivalent à ce qu’une dizaine de site moyen de production d’énergies renouvelables d’une puissance de 10MW chacun pourraient bien fournir localement.

Il est clair que nous risquons d’être en marge de l’histoire de cette filière au lieu d’y occuper un rôle principal malgré notre richesse abondante d’énergie solaire, une vision royale claire sur ce sujet et une appétence de nos ressources humaines jeunes pour ces métiers. Enfin, pensons au potentiel de création de valeur que nous pourrions concrétiser si nous arrivons à reproduire collectivement le scenario d’innovation économique de la filière de téléphonie mobile d’il y a trente ans.

La destruction créatrice nécessaire et inéluctable qui est devant nous aujourd’hui est une chance pour corriger, reconfigurer et donner naissance à des nouvelles structures autonomes performantes dans notre secteur. C’est une chance pour mener notre transition énergétique nationale à bien ,avec des entités innovantes créatrices de richesse et des modèles économiques adaptés à l’évolution dynamique du marché de l’énergie mondial et des shifts géopolitiques et technologiques de plus en plus accélérés. Il ne s’agit surtout pas d’une invitation à « un jeu à somme nulle », mais plutôt d’une chance pour réussir tous ensemble l’actualisation du paradigme de notre secteur et pour accomplir une abondance énergétique verte pour le bien commun.


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