Comment le Polisario a évolué d’un front de résistance à un mouvement séparatiste

Après un retour sur les conditions de vie à Laâyoune avant la création du Front Polisario, ce second épisode d’entretien avec Bachir Dkhil est consacré à la genèse du mouvement. Son ex-membre fondateur évoque le contexte de cette naissance, ainsi que le processus d’évolution ayant fait du Polisario un groupe séparatiste, alors que son premier objectif était de combatte la présence espagnole à Oued Edhahab (Rio de Oro).

En effet, Bachir Dkhil nous explique que «nombre des leaders actuels du Polisario ont un parent qui a été membre de l’armée de libération, puis a rejoint les Forces armées royales (FAR). Tel a été le cas, par exemple, du père Mohamed Abdelaziz, ancien secrétaire général du Front».

Notre interlocuteur défend que «le plus dangereux pour l’Etat, c’est que ce dernier donne peu d’importance au développement local des régions éloignées du centre. Cette politique non équilibrée peut avoir des conséquences négatives sur la paix sociale. Ainsi, le sentiment d’appartenance s’estompe et ces régions marginalisées constituent un terreau pour les idées indépendantistes».

Pour Bachir Dkhil, cette situation a poussé les populations à questionner leur rôle au sein de l’État et ce qu’ils représentent pour celui-ci :

«Sans dignité bafouée, je ne pense pas qu’une personne porterait un jour des idées séparatistes. Je ne justifie pas ces idées-là, mais lorsqu’on croit en la réconciliation au niveau de l’État, celle-ci doit s’appliquer à tout le monde, sans laisser un groupe de personnes à l’écart de ce processus.»

La génèse du Polisario

Créé en mai 1973, le Front Polisario a vu le jour à l’initiative de «jeunes sahraouis venus du nord du Maroc, portant des idées de gauche, d’autant plus qu’ils ont été nombreux à être membres ou proches des partis de la gauche marocaine», nous explique Bachir Dkhil. Et d’ajouter : «Parmi les fondateurs, il y en a eu d’autres formés politiquement à l’école espagnole ou algérienne. D’autres sont issus de Mauritanie.»

«La gestation du Front Polisario a commencé à Smara, en 1968, à travers un mouvement de conscientisation politique qui nous a fait réaliser que nous n’étions pas Espagnols et que la situation dans notre région devait changer. Ce mouvement a été représenté par Mohamed Bassir, porté disparu. Originaire d’une tribu sahraouie, il était venu de la zaouïa Bani Ayat (Azilal).»

Quelque temps après sa création, «ce mouvement a été éliminé par les armes», rappelle Bachir Dkhil, indiquant que le groupe avait organisé une manifestation pacifique suite à laquelle quatre personnes parmi le rassemblement avaint été tuées. Dans la foulée, des arrestations avaient été menées et depuis, le destin de Mohamed Bassir est resté méconnu, d’autant plus que sa dépouille n’a jamais été retrouvé.

«Nous étions encore très jeunes, se rappelle Bachir Dkhil, mais nous avions commencé à prendre conscience des récits erronés véhiculés par les Espagnols. Nous avions commencé à comprendre qu’il fallait réagir». C’est alors que le 20 mai 1973, 25 personnes dont Bachir Dkhil se sont réunies à Zouerate (Mauritanie), donnant à leur mouvement le nom «Polisario» et énonçant huit principes. Le membre-fondateur explique :

«A ce moment-là, l’objectif a été de libérer Seguia el-Hamra (el Canal rojo) et Oued Eddahab (Rio de Oro) des Espagnols, le nom du mouvement l’indiquant clairement (Front populaire pour la libération de Seguia el-Hamra et de Oued Eddahab). Plus tard, des membre ont commencé à se demander pourquoi ne pas l’appeler le ‘Front populaire pour la libération du Sahara occidental’. Jusque-là, nous ne connaissions pas de Sahara occidental. Un nom apparu à la suite des interventions de certaines parties, surtout après le deuxième congrès du Polisario, organisé en Algérie.»

Alors que la Mauritanie venait d’arracher son indépendance dix ans plus tôt, Bachir Dkhil indique qu’elle n’a pas eu un grand rôle dans l’édification du Polisario. «Le principal appui financier et logistique venait de la Libye, ajoute-t-il. Les premières armes reçues par le Front provenaient de Libye, mais elle était plus ou moins en retrait de la scène politique où a évolué le mouvement. Puisque le Maroc et l’Algérie avaient des différends, cette dernière a vu dans le Polisario une occasion pour mettre Rabat en difficultés et Houari Boumediene y était déterminé».

Pour avoir assisté à son discours de la Fête du travail en 1976, Bachir Dkhil garde un souvenir de cette détermination : «Dans son discours, Boumediene disait bien qu’il était résolu à en découdre avec le Maroc. Le moyen de le faire a été d’utiliser les Sahraouis du Polisario.»

Mais bien avant cela, «l’Algérie envisageait la conversion du Front Polisario en un mouvement séparatiste, affirme Bachir Dkhil. En 1975, elle organisait des formations militaires à ses membres, mettant notamment à leur disposition un camp d’entraînement à Bachar».

L’ex-membre du Front nous indique qu’«à ce moment-là, une politique de division au sein du Polisario a commencé à être mise en œuvre par Alger. Tous ceux qui étaient contre sa vision avaient été évincés du mouvement. On nous taxait de traîtres, de communistes. Tout un Etat aussi grand que l’Algérie s’était lancé dans un campagne pour prendre le contrôle sur le Polisario». 


Continuer la lecture

Quitter la version mobile