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Davia, la sultane corse qui a régné sur le Maroc

Son parcours mêle la réalité et le mythe. Dans le Maghreb du XVIIIe siècle, Marthe Franceschini, dite Davia, deviendra la femme forte de l’empire chérifien. Pourtant, rien ne l’a prédestinée à devenir reine, encore moins au Maroc. Pour cause, c’est en Corse que ses parents sont nés. Au bord de la Méditerranée, ils ont vécu du champ cultivé à deux dans le village de Corbara. Mais quelques mois après leur mariage, ils sont enlevés par des pirates tunisiens, qui les conduisent à Tunis, en 1751.

Le père de Marthe, Jacques-Marie Franceschini, prend rapidement ses marques auprès du bey en Tunisie ottomane. Surveillant des autres esclaves, il se fait remarquer pour son efficacité en tant qu’administrateur. Il gravit les échelons et augmente sa fortune. Apprenant un complot en préparation contre le bey, il fournit des informations précieuses qui permettent de lui sauver la vie. En retour, il recouvre sa liberté. En 1755, Marthe Franceschini naît à Tunis et se fait baptiser un an plus tard. Devenu enfin un homme libre, son père décide de retourner en Corse avec femme et enfants.

Une séparation dans la cour des Alaouites

Mais les Franceschini n’auraient pas imaginé que leur périple maghrébin était loin de se terminer. Sur le chemin de retour à Corbara, d’autres flottes leur font barrage et la famille corse devient captive de pirates marocains cette fois, qui la vendent cette fois-ci aux Alaouites. Les parents de Marthe sont faits esclaves du sultan sidi Mohammed ben Abdallah (1757 – 1790) et la petite fille est conduite, à un très jeune âge, au harem.

Jacques-Marie Franceschini réfléchit une nouvelle fois à la manière qui lui permettrait de rester proche des hommes du pouvoir et de gagner leur confiance. Il fait parvenir au sultan un mémoire, faisant foi qu’il était un sujet du bey de Tunis et qu’il lui a sauvé la vie. En tant que tel, il n’est censé être considéré comme un étranger, et se voit ainsi confier la direction du projet du jardin impérial de Marrakech, rappelle une plateforme dédiée à Davia.

Convertie à l’islam, sa fille deviendra quant à elle Davia (Dawiya, la lumineuse). Au fil des années, sidi Mohammed ben Abdallah est «impressionné par sa grande beauté, sa grâce et son esprit». Elle n’a que 7 ans, lorsque le sultan ordonnera «qu’elle soit immédiatement emmenée pour faire l’ornement du sérail», comme le rappelle la plateforme du village de Corbara, qui la considère comme l’une des figures historiques locales. Son prénom a été inspiré de sa beauté légendaire, elle que le sultan a considérée comme «la plus belle rose de son harem» et dont il a apprécié «la fraîcheur, le charme et la vivacité d’esprit».

Alors directeur d’études d’histoire diplomatique du Maroc à l’Institut des hautes études marocaines, Jacques Caillé a consacré à Davia un ouvrage qui retrace le parcours de vie de cette esclave devenue sultane. En 1968, il publie en France «Une Corse sultane du Maroc, Davia Franceschini et sa famille», où il mentionne que Davia et ses proches «ont fait l’objet de nombreux récits, trop souvent contradictoires, pleins de fantaisie et d’imagination, qui tiennent surtout de la légende». Il y démêle également des faits rapportés jusque-là et qui ont souvent été contradictoires. Par ailleurs, il affirme que plusieurs membres de sa famille, père, mère et frères ont «tous vécu plus ou moins longtemps au Maroc».

Les récits historiques traçables jusque-là retiennent que Jacques-Marie, Silvia, mère de Davia et leur fils Vincent, né à Marrakech, ont fini par rejoindre la Corse, autorisés par le sultan à partir. C’est dans l’île qu’Augustin, petit frère de Davia, verra le jour à Corbara. Bien qu’il ait retrouvé sa terre natale, le père de famille a vécu comme un déchirement la séparation avec Davia, restée dans le harem. C’est ainsi qu’il projette de revenir au royaume chérifien, à bord d’un navire. Cependant, il meurt à Salé, emporté par la peste.

Davia, Première sultane alaouite

Considéré comme «roi itinérant», sidi Mohammed ben Abdallah fait construire un grand palais à Rabat, en 1785. Pendant toutes ces années, Davia n’a cessé de se distinguer des autres femmes au sein du palais du sultan du Maroc, au point de susciter la jalousie par sa beauté et sa grande intelligence. Elle suit des cours de droit islamique jusqu’à obtenir son diplôme de Talba, fait «quasiment unique à l’époque», et le sultan la consulte à maintes reprises pour ses affaires politiques. En 1786, la jeune savante devient officiellement son épouse et il fait d’elle Première sultane. Certaines versions rapportent qu’elle aurait eu une fille, morte à un très jeune âge.

En Corse, l’ascension de Davia est par ailleurs célébrée, au point de qualifier la nouvelle femme forte d’«impératrice du Maroc», selon la plateforme de Corbara. Dans le royaume, le sultan la charge d’assurer «la correspondance avec les cours européennes» et l’intègre au «conseil privé». «Son influence est immense sur la politique intérieure et extérieure du Maroc et a un grand ascendant sur les populations musulmanes», retient la même source, selon laquelle Davia «a entretenu une correspondance avec la reine d’Espagne et les deux femmes ont procédé à un échange de portraits».

Malgré les fonctions clés du pouvoir qu’elle a remplies, Davia a toujours eu un fort sentiment d’appartenance en tant que Corse française. C’est ce qui l’aurait principalement motivée à intervenir auprès de sidi Mohammed ben Abdallah, afin de le convaincre d’entamer des relations diplomatiques avec la France. Elle parvient également à transmettre une lettre à sa mère, restée à Corbara, pour qu’elle rejoigne le Maroc après mort tragique de son père. La famille sera de nouveau réunie dans le royaume chérifien, où un accueil somptueux lui est consacré. Peu de sources renseignent sur le vécu de Silvia Franceschini au Maroc, mais quelques récits indiquent qu’elle aurait élu domicile à Larache et non pas au sein de la cour.

Une inspiration artistique après la mort

Davia est la femme forte du royaume alaouite à son époque, certes. Mais son activité officielle en tant que Première sultane, quoiqu’efficace sur le plan politique et diplomatique, s’affirme dans un contexte où sidi Mohammed ben Abdallah est à ses dernières années de règne, impliquant des rapports de pouvoir tumultueux. Gravement malade, le sultan décède en 1790 à Rabat, au cours d’une dernière mission pour s’opposer à la dissidence de son fils, Moulay Yazid (1790 – 1792). Avec la mort de celui également appelé Mohammed III, Moulay Yazid devient le nouveau sultan légitime et la Première sultane est écartée de la gestion des affaires publiques.

En se retirant du sérail, Davia rejoint sa mère à Larache, où elle meurt. Pour leur part, les deux frères de l’ex-Première sultane ont marqué leur présence dans le royaume, où Vincent a été nommé Consul de France à Essaouira (Mogador). Mais à partir de 1804, il choisit de se retirer de la vie politique marocaine et de revenir à Corbara. Grâce à ses revenus, aux cadeaux de sa sœur et de sidi Mohammed ben Abdallah, il se construit une maison. Augustin, quand à lui, prend le large en 1829 à destination de Porto Rico.

Après sa mort, Davia a continué à faire la fierté de Corbara, au point d’inspirer plusieurs écrits au fil des siècles. Le comédien et metteur en scène Alexandre Oppecini lui consacrera une pièce de théâtre, disponible en accès libre. En 2005, Marie-José Lovérini en fera le personnage principal de son roman historique L’interdite.


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