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Dr. Ismahane Elouafi, une généticienne à la chefferie scientifique de la FAO

Ismahane Elouafi a choisi les sciences agricoles «au hasard». Elève au Collège royal préparatoire aux techniques aéronautiques (CRPTA) à Marrakech, la Maroco-canadienne, née le 15 août 1971 à Youssoufia, allait devenir l’une des premières femmes pilotes de chasse. Le destin en a toutefois décidé autrement. Après une carrière internationale dans la recherche scientifique liée à l’agriculture, en 2020, elle est devenue la première scientifique en chef à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

«Après le baccalauréat, nous avions fait un test poussé et nous étions cinq filles, toutes contentes de devenir les premières femmes pilotes de chasse. Toutefois, à la dernière minute, nous avions été informées que le programme n’allait pas avancer suite à un changement de leadership au sein des Forces royales air (FRA)», raconte-t-elle à Yabiladi. Devant le choix de rester et faire l’université avec des spécialités proches de l’aviation ou quitter le programme, quatre filles du groupe, dont Ismahane Elouafi, choisiront de quitter le collège.

«C’était aussi trop tard pour la plus part des examens post-bac, comme la médecine et l’architecture. Les sciences agricoles étaient la seule option. Deux autres filles ont ainsi opté pour cette branche. J’avais fait des cours de génétiques et j’avais beaucoup appréciés. Ainsi, une fois à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan-II, j’avais choisi de faire l’amélioration génétique des plantes et surtout la génétique.»

Ismahane Elouafi

Un riche parcours scientifique

Elle trouvait, en effet, «merveilleux de pouvoir comprendre l’essence de la vie, comment les choses sont ce qu’elles sont, car tout a une raison génétique et tout est relié et expliqué par la génétique». C’est d’ailleurs cette fascination pour cette spécialité et son envie de se spécialiser davantage qui pousseront la Marocaine à opter pour un doctorat à l’Université de Cordoue. «Dès la 4e année à l’IAV, j’ai tenté de faire une maîtrise au Canada ou ailleurs. J’ai entre temps décroché une bourse pour la Belgique. J’ai eu aussi la chance de voyager, durant ma thèse, pour aller visiter un centre de recherche internationale basé en Syrie», se remémore-t-elle.

Dans le cadre de son cursus, l’experte aura «la chance de travailler sur un projet très intéressant en Australie sur la qualité du blé dur». Elle opte ainsi pour l’université en Espagne pour faire ses études. «Je suis de Youssoufia, la région des tribus Banû al-Ahmar, dernière tribu arabe sortie de l’Espagne en 1492. Dans la ville, tout le monde connaît cette histoire et parle de l’Andalousie et de notre passé. J’ai donc toujours voulu me rendre en Andalousie», ajoute-t-elle.

Cette expérience apportera beaucoup à Ismahane Elouafi. «Cela m’a donné la chance de faire notamment la recherche scientifique et de bonnes publications scientifiques, comme la carte génétique du blé dur, l’identification de gênes de qualité,… J’ai pu également apprendre l’espagnol, accéder à un network international et connaître plusieurs scientifiques sur plusieurs projets», détaille-t-elle. Le fait de travailler entre l’Espagne, la Syrie et le Mexique lui donnera aussi «beaucoup de maturité, de vécu et d’expériences». En même temps, son doctorat en biologie moléculaire et sa quête des «nouvelles technologies», lui permettra de passer plusieurs mois dans des universités en Italie, aux Etats-Unis et au Canada. «C’était merveilleux de travailler dans plusieurs laboratoires et dans plusieurs parties du monde», confie-t-elle.

Un retour au monde de la recherche 

Après avoir décroché son doctorat, Ismahane Elouafi s’est rendue au Japon pour «comprendre le Far East et connaître ses pays» avant de revenir travailler pour l’ICARDA en Syrie. Mais en 2004, elle s’installe au Canada après une application pour immigration déposée en 2000.

«C’était bien pour ma carrière. Il fallait aussi que je m’installe quelque part pour fonder une famille. Mes deux sœurs y étaient déjà installées. C’était aussi une expérience unique où je suis passée de chercheuse à une personne qui gère l’action, bien que cela n’ait pas été dans mes intentions, car je voulais rester dans le domaine académique.»

Ismahane Elouafi

Au Canada, elle travaille ainsi avec le ministère de l’Agriculture mais continue de grimper les échelons au sein de l’exécutif fédéral canadien. «C’est là-bas où je me suis rendue compte la plupart des personnes qui gèrent la science ne la comprennent pas. Souvent, les décisions ne sont pas les meilleures. J’avais constaté que plusieurs responsables avaient un background légal mais très peu scientifique. Je dis souvent que ma manière de gérer est très canadienne, car c’est là-bas où j’ai appris la gestion, le leadership», nous déclare-t-elle.

Après s’être mariée et avoir donné naissance à sa première fille, l’experte passera 8 ans avant de changer de cap pour les Emirats arabes unis. «Je m’étais rendue compte que ce n’était pas ce que je voulais. L’international et le travail pour ceux qui en ont besoin le plus dans le monde me manquaient beaucoup», explique-t-elle à propos de cette décision.

A Dubaï, Ismahane Elouafi intègre le Centre international d’agriculture biosaline (ICBA), qui travaillait dans une quarantaine de pays. «Le défi était comment utiliser l’eau saline pour faire de l’agriculture. C’était très « Frontier Science » comme niche de recherche. Je suis restée avec eux pendant 9 ans. C’est ainsi que j’ai eu l’opportunité d’intégrer l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en tant que cheffe scientifique», déclare-t-elle.

Les femmes dans les postes de responsabilité et le Maroc

Alors que le monde a célébré, la semaine dernière, la Journée internationale des droits des femmes, la Maroco-canadienne a un certain regard sur cette évolution. «Cela commence à changer mais nous devons le faire plus vite, car avoir une femme ou deux dans les postes de responsabilité n’est pas suffisant», plaide-t-elle en appelant à des programmes et surtout à des politiques publiques. «J’ai eu ma première fille au Canada en 2007. J’étais employée du Fédéral canadien, qui donne un peu près un an de congé maternité et je recevais environ 90% de mon salaire. A Dubaï, j’ai eu ma deuxième fille en 2014 et la loi émiratie ne m’a donné que deux mois de congé. Etant directrice générale, j’ai dû travailler durant cette période car il y a avait beaucoup de travail», raconte-telle. Elle rappelle aussi que «les systèmes sont souvent faits par les hommes et pour les hommes», quand bien même une femme doit s’occuper de son foyer et sa famille en sus.

S’agissant du Maroc, Ismahane Elouafi, dont le père vit toujours à Marrakech, affirme que «les connexions avec le pays ne s’effacent pas avec le temps mais, bien au contraire, ne font que se renforcer». «La diaspora marocaine l’a très bien montré avec le football. Là où on est, on est Marocains avant tout et lorsqu’on est Marocain, on l’est pour la vie», ajoute-t-elle.

«C’est une appartenance très spéciale. Les liens sont très forts et très profonds. Cela se voit dans la manière dont on est éduquée, la langue, la façon de manger et de s’habiller, le côté culturel et historique. J’ai quitté le Maroc depuis 1996 et même après 40 ou 50 ans, j’ai toujours le même feeling pour le pays.»

Ismahane Elouafi

L’experte met aussi en exergue l’agriculture marocaine et les progrès du royaume dans ce domaine. «A Agadir, lors du Salon Halieutis, j’étais très impressionnée par le nombre de coopératives et les jeunes qui se lance dans l’aquaculture et la transformation des produits de la mer. Cela montre qu’il y a une volonté d’améliorer et de ramener les gens à investir dans l’agriculture», conclut-elle.


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