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Héritage toxique du protectorat français : la face cachée à nos manuels d’histoire

Associer colonialisme aux bonnes intentions serait une aberration historique, un gros mensonge prémédité. S’autoproclamer porteur d’une mission civilisatrice est une prétention surdimensionnée. Énorme. Mais le pire c’est quand les colonisés croient à la thèse du colonisateur déshonorant ainsi toutes ces victimes par milliers tuées de sang froid juste pour avoir fait preuve de nationalisme et réclamé leur… pays et leur roi.

Il est temps de montrer le vrai visage de Lyautey et des autres officiers coloniaux français : agents des ambitions impérialistes de la France et promoteurs du mythe de la mission civilisatrice de la République française. Paradoxalement de nombreux Marocains croient encore naïvement que le Maroc post-indépendance a tiré énormément profit du réseau d’infrastructures que la France a construit pendant la période du protectorat. Ils pensent également que la France a sorti des millions de Marocains de la pauvreté et s’est efforcée d’améliorer leurs conditions de vie. Il s’agit d’une lecture ouvertement édulcorée de l’histoire qui ne reflète pas les véritables motivations derrière l’existence d’une telle infrastructure.

Certes la France a construit des routes, des ponts, des voies ferrées, des ports, etc. mais ce n’était pas pour les beaux yeux du peuple marocain ou dans le cadre de son engagement à mettre pleinement en œuvre le traité de protectorat. Le véritable motif était de servir les intérêts de colons français, dont le nombre au Maroc a dépassé les 400.000 à un moment donné pendant les années de protectorat. De plus, la plupart des infrastructures construites entre 1912 et 1934 étaient principalement destinées à faciliter l’équipement et le mouvement des troupes françaises pendant la soi-disant « campagne de pacification ».

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Si la France avait l’intention d’opérer une véritable révolution économique au Maroc, toutes les régions du royaume auraient bénéficié de telles infrastructures dont la construction a été confiée exclusivement à des entreprises françaises. La France a en effet laissé à l’abandon toutes les régions que le premier résident général français, Hubert Lyautey, qualifiait de « Maroc inutile », dépourvues de toute infrastructure. L’économie marocaine, c’est une évidence, n’a existé que pour contribuer à la grandeur de la France. La croissance du Maroc a largement profité aux colons et au monde des affaires français dans son ensemble. Par exemple, le Maroc a été contraint d’importer toutes ses marchandises de France alors que les prix des produits français étaient sensiblement plus élevés que ceux des autres pays. Cela a entraîné un déficit commercial chronique dans le royaume nord-africain.

Ledit déficit, survenu au Maroc en 1950, de 95%, était la conséquence directe de l’exploitation des ressources du pays par une France affaiblie qui cherchait ainsi à compenser ses grosses pertes engendrées par la Seconde Guerre mondiale. Le livre de Rom Landau « Drame marocain 1900-1955 », publié en 1956, présente un cas particulièrement convaincant à l’appui de la thèse que l’occupation française a été brutalement négative pour le développement économique du Maroc. Le quadruple plan français de 1949-1952 comportait un texte indiquant que « le Maroc participera activement au redressement de la France en fournissant du manganèse, du minerai de plomb cobalt, des conserves et des produits agricoles », révèle le livre, précisant que cela a permis à Paris de préserver au maximum ses ressources.

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En 1952, le résident général Augustin Guillaume déclarait : « Les objectifs de l’économie marocaine sont d’obtenir des devises fortes en augmentant le niveau des exportations et en mettant ces devises à la disposition de la société française ». Tout le labeur des Marocains était « utilisé et continuerait d’être utilisé pour renflouer les coffres épuisés de la France », a-t-il ajouté. Toutes les politiques que l’administration coloniale a poursuivies tout au long du protectorat ont été conçues principalement pour servir l’économie française et répondre aux besoins et aux ambitions des colons. Un exemple de cette économie orientée vers les colons est que les efforts de la France pour étendre l’utilisation de l’irrigation et de la mécanisation dans l’agriculture marocaine visaient principalement et uniquement à profiter aux vastes exploitations détenues par les colons français. Pendant ce temps, les petites fermes appartenant à des Marocains sont restées desséchées et s’appuyaient sur les méthodes traditionnelles d’irrigation et de culture. Non seulement la France a délibérément concentré ses efforts pour aider les colons à améliorer leur productivité, mais elle s’est également opposée aux entreprises étrangères qui avaient l’intention d’investir dans l’irrigation des terres appartenant aux agriculteurs marocains. Au début des années 1950, par exemple, le gouvernement français a rejeté la demande d’une société américaine qui souhaitait investir 60 millions de dollars dans l’irrigation de 360 acres dans le sud du Maroc, qui appartenaient à des Marocains. Ce n’était en aucun cas une décision exceptionnelle ; c’était plutôt la norme qui sous-tendait le traitement des Marocains par les colons français tout au long du protectorat.

Par leur pratique féodale, les colons dont l’accumulation des de propriété foncières était tributaire de leur exploitation d’une paysannerie indigente, ils s’opposaient à toute mesure pouvant conduire à l’enrichissement ou à l’amélioration des conditions de vie des paysans marocains. Dans un essai publié en 1956 dans « Affaires étrangères », l’historien de renom Charles-André Julien explique comment les colons français se sont opposés durement à la tentative d’une organisation paysanne de la région de Meknès d’utiliser des tracteurs appartenant collectivement à leur tribu, les obligeant à renoncer à leur utilisation.

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Le célèbre historien marocain Abdallah Laroui a évoqué cette politique coloniale dans son livre « Histoire du Maghreb : un essai interprétatif ». Selon Laroui, toutes les réformes administratives, juridiques et financières que la France a introduites au Maroc à l’époque du protectorat visaient à servir les intérêts de la France. Par ailleurs, les projets d’infrastructures entrepris par la France ont été menés à bien grâce aux ressources humaines et financières des Marocains. Laroui précise que ces travaux publics ont été financés par des emprunts que le Maroc a contractés auprès des banques françaises entre 1914 et 1928. Bien sûr, l’économie française a été la première bénéficiaire de ces projets. Les banques françaises ont largement profité du taux d’intérêt imposé sur ces prêts, tandis que les contrats de construction des projets ont été attribués exclusivement à de grandes entreprises françaises. En raison de l’absence de concurrents, la France n’a même pas pris la peine d’essayer de réduire les coûts élevés des projets tant que les entreprises françaises en bénéficiaient, a expliqué Laroui.

Traduit en français par Hassan Manyani de l’article de Samir Bennis, co-fondateur de Morocco World News, posté le 1er mars 2023.


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