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Ibn Toumert, fondateur de la dynastie des Almohades [4/4]

Près d’un siècle après l’éradication, au 10e siècle, du dernier émirat chiite au Maroc, connu sous l’appellation des Bajalis par les Almoravides, les bases de toute une obédience resteront ancrées au sein de la société marocaine. C’est avec l’arrivée d’Al-Mahdi Ibn Toumert, fondateur de la dynastie des Almohades, que certaines croyances chiites, comme l’imamat et l’infaillibilité (Ismat en arabe et qui signifie l’abstinence et l’évitement de commettre des péchés et de désobéir à Allah) vont refaire surface.

C’est vers l’an 1118 que Mohamed Ibn Toumert alias Al-Mahdi (le Messie) lancera son appel de guerre contre les Almoravides depuis le château de Tinmel en comptant sur le soutien des certains membres des tribus masmoudiennes du Haut Atlas. Après sa mort vers 1130, son disciple Abdelmoumen Al Koumi, un Amazigh zénète, prendra la relève en contrôlant d’abord quelques parties de l’Ouest et du centre du Grand Maghreb. Il réussira donc à envahir Marrakech en 1146 pour mettre fin au règne des Almoravides avant de partir à la conquête d’Ifriqiyya (la partie Est du Grand Maghreb, soit l’actuelle Tunisie). Il multipliera les victoires au point de mettre Al Andalus dans son viseur. Le Maghreb et Al Andalus seront entièrement sous son contrôle dès 1172.

Les Almohades ne manqueront pas, au fil des années, de laisser leurs empreintes que ce soit au Maroc ou en Andalousie. Des traces qui peuvent témoigner, de nos jours, de l’âge d’or de l’empire almohade, à l’instar du minaret de la mosquée Koutoubia à Marrakech, l’emblématique Tour Hassan à Rabat ou encore la mosquée de Séville, connu sous le nom de la Giralda.

Le minaret de la mosquée Koutoubia à Marrakech, l’emblématique Tour Hassan à Rabat et la mosquée de Séville. / Ph. DR

Qui est Ibn Toumert ?

Originaire de Tinmel (100 km au sud de Marrakech), un petit village amazigh de l’Atlas, Ibn Toumert choisit Courdoue, en Andalousie, pour des études en science légiférée. Imprégné des écrits d’Ibn Hazm, le célèbre théologien cordouan, Ibn Toumert se dirigera à Bagdad pour étudier les sources du droit (Fiqh). Son périple le mènera aussi en Egypte et s’étalera sur quatre ans. Sur le chemin du retour, le futur Al-Mahdi croise à Bejaia Abdelmoumen Al Koumi qui deviendra son disciple. Il retourne au Maroc avec pleine d’idées répandues dans le Moyen-Orient à l’époque, avant d’excommunier les leaders almoravides et d’autoriser leurs assassinats.

Pour son projet politique, Ibn Toumert fait appel à différentes perceptions et dogmes. Il rejoint les Kharijites notamment dans les questions relatives à l’expiation par les péchés, à en croire l’ouvrage «L’Appel almohade au Maroc» d’Abdullah Ali Allam. Ibn Toumert a aussi rejoint le chiisme duodécimain en affirmant être le Messie et en faisant de l’imamat et l’infaillibilité des questions fondamentales dans la religion. De l’école théologique dite de l’ashaârisme (fondée par Abou Al-Hasan al-Ashaâri, descendant d’Abou Mousa al-Ashaâri, compagnon de Prophète Mohammed, pbsl), il empruntera le volet des «noms et attributs», à en croire Abdelouahed El Marrakchi et son ouvrage «Al Mouaâjab fi talkhiss akhbar Al Maghrib». Ibn Toumert s’inspirera aussi de plusieurs concepts du mutazilisme (école de théologie musulmane qui s’oppose aux écoles aujourd’hui dominantes comme l’ashaârisme et le maturidisme), comme l’affirme Abdul Majid al-Najjar dans son ouvrage «Al-Mahdi Ibn Toumert, sa vie, ses opinions, sa révolution intellectuelle et sociale et son impact au Maroc».

Après avoir réussi à rassembler beaucoup de partisans et de disciples, rapidement convaincus de son message et engagés dans son mouvement, le père-fondateur de la dynastie des Almohades commence à préparer le terrain pour s’autoproclamer «Al-Mahdi Al Mountadar» (Le guide attendu). Il ira même jusqu’à déclarer être un «descendant d’Ali», gendre du Prophète, à en croire l’ouvrage «Al Moqtabass men Kitab Al Anssab fi Maarifat Al Asshab» de son auteur Abu Bakr Sanhaji. Une version confirmée aussi par Ibn Al-Qattan Al-Morrakochi dans son ouvrage «Nodom Al Jomman li tartib ma salaf min akhbar azaman» qui cite l’un des discours d’Ibn Toumert, dans lequel ce dernier affirme que le Prophète avait prédit l’arrivée du Messie pour «combler la terre par la justice après avoir été envahi par l’oppression et l’injustice».

«Il sera envoyé au Maroc, à la fin des temps. Son nom sera celui du Prophète et en sera le descendant.»

C'est à Tinmel (au sud de Marrakech) qu'Ibn Toumert fondera la dynastie des Almohades. / Ph. DRC’est à Tinmel (au sud de Marrakech) qu’Ibn Toumert fondera la dynastie des Almohades. / Ph. DR

Le jour où Ibn Toumert s’était autoproclamé «Al-Mahdi Al Mountadar» devient alors un jour exceptionnel pour le Maroc et l’histoire des Almohades. Ce même jour, il se transformera en père spirituel pour gagner le soutien des tribus et combattre ainsi les Almoravides, quel que soit le prix. D’ailleurs, l’historien Hafiz Ibrahim Ibn Moussa Al-Shatibi rapporte, dans son ouvrage «Al Iitissam Fi Ahl Al Bidaâ wa Addalalat» qu’Ibn Toumert a «modifié la religion de Dieu en y ajoutant beaucoup de choses, en plus de son auto-proclamation en tant qu’Al-Mahdi Al Mountadar (…)». «Il a mis cela dans les discours et sur la monnaie et cela est devenu une troisième chahada (profession de foi de l’islam). Ceux qui n’y croient pas deviennent des infidèles», écrit-il.

Le père spirituel des Almohades était-il chiite ?

«Il y a un élément de la doctrine d’Ibn Toumert qui reste nettement différent des positions des sunnites : celui de croire en un Mahdi (imam infaillible), guidé par Dieu», reconnait pour sa part le quatrième volume de l’«Encyclopédie de l’Histoire générale de l’Afrique», publiée par le Comité scientifique international de l’UNESCO. On y rappelle notamment que les dictons en rapport avec Al-Mahdi datent de l’époque du Prophète Mohammed. «Chez les sunnites, Al-Mahdi n’apparait qu’à la veille de l’Heure (marquant ainsi la fin du monde). Mais chez les chiites, il s’agit d’un imam pieux mandaté par Dieu pour gouverner. L’idée de l’arrivée du Messie était surtout répandue parmi les classes populaires, parce qu’il était un symbole de justice», poursuit la même source.

De son côté, Hassan Al Amine indique dans le dixième volume de l’«Encyclopédie de l’Islam chiite» :

«L’Empire almohade est un Etat né au Maroc avant que ses frontières n’atteignent Tripoli, à l’Est, l’océan Atlantique à l’Ouest, et s’étende de Lisbonne au Sénégal, (…) son expansion lui a permis aussi d’atteindre l’Andalousie. Il a été fondu sur des bases chiites mais on peut dire qu’il a eu sa propre doctrine, similaire à celle du courant zaidi ou fatimide.»

Même Hafiz Abu Abdullah Shams al-Din Addahabi rejoint les autres auteurs en avançant, dans son ouvrage «Siyar Aâlam Annoubalae», qu’Ibn Toumert a «rejoint les Mu’tazila (pour certaines questions, ndlr), les Ash’ari pour d’autres, mais il y avait du chiisme».

«La révolution intellectuelle et scientifique provoquée par Mohamed Ibn Toumert sur la réalité misérable et corrompue était une réforme globale impliquant tous les domaines de la vie religieuse», soutient pour sa part un article publié sur le site Annabae, basé à Kerbala (ville sainte pour les chiites), en Irak. «Une révolution ayant appelé au retour de l’Islam représenté par Ahl Al Bayt», soit l’islam chiite. La même source prend même la défense du chiisme «avéré» des Almohades, en affirmant que «tous les faits historiques montrent que (les Almohades) ont adopté la doctrine chiite».

L’écrivain libyen Ali Mohamed Salaabi revient lui aussi sur cette question dans son livre «L’Etat almohade». Il y déclare que «le concept d’infaillibilité des imams, est devenu une tendance forte parmi celle de la doctrine d’Ibn Toumert que ce dernier a réussi à consolider auprès de ses disciples jusqu’au point que ces derniers lui ont accordé le titre de l’infaillible, qui deviendra l’un de ses titres les plus célèbres». «Cela est en accord avec le chiisme duodécimain et qui constitue un écart grave de la foi musulmane. Pire, il (Ibn Toumert, ndlr) ordonnait l’exécution de tous ceux qui mettent en doute son infaillibilité», poursuit l’auteur libyen. Et ce dernier d’avancer qu’«afin d’établir cette fausse allégation auprès ses disciples, [Ibn Toumert] leur a écrit un livre «Aâz ma Youtlab» (La chose la plus précieuse à demander) et leur ordonnait de le lire et même de l’apprendre par cœur, ce qui a sans doute contribué à l’établissement de sa pensée et l’ancrage de son amour auprès de ses compagnons».

Un portrait-dessin d'Al-Mahdi Ibn Toumert. / Ph.DRUn portrait-dessin d’Al-Mahdi Ibn Toumert. / Ph.DR

Doctrine d’Ibn Toumert, entre malékisme et nouvelle pensée

Mais contrairement aux historiens qui considèrent qu’Ibn Toumert était un «chiite avéré», un autre courant d’écrivains soutient que le père-fondateur de la dynastie almohade a été fortement inspiré de l’école malékite. Parmi eux, Lakhdar Mohammad Boultif qui rapporte dans son livre «Les Savants du Malikisme et l’expérience politique almohade en Occident musulman», que plusieurs chercheurs «n’hésitent pas à prouver l’appartenance malékite d’Ibn Toumert». «D’ailleurs, certains d’entre eux vont même jusqu’à assurer qu’il est né malékite, a grandi malékite et mort en tant que malékite», poursuit-il. Lakhdar Mohammad Boultif ajoute aussi que «plusieurs traducteurs des écrits d’Ibn Toumert estiment qu’il suivait la pensée d’Abou al-Hasan al-Ashaâri dans la plupart des questions. Ils lui attribuent même la diffusion de la doctrine Ashaârie au Maghreb, et le fait d’inciter son entourage à suivre cette école».

De son côté, l’écrivain Saad Ghorab estime dans son livre, «IbnToumert et son impact sur la pensée marocaine» que «le lien qui existe entre la pensée d’Ibn Toumert et les érudits de Malékisme est la doctrine Ashaârie». Même son de cloche chez l’historien Abdelmajid al-Najjar, qui déclare dans son ouvrage «Al-Mahdi Ibn Toumert» que lorsque ce dernier est revenu de son voyage en Orient, «il a été destiné à largement diffuser l’Asharisme au Maroc». «Ses enseignements ont eu un rôle décisif dans la conversion de tout le peuple du Maroc pour cette croyance et ce, jusqu’à ce jour», poursuit-il.

Dans ce même sens, dans son livre «Annoubough Al Maghribi» (l’intelligence marocaine), Abdellah Gennoun explique :

«Les Marocains, à l’époque d’Al-Mahdi et son retour de son voyage, suivaient tous, sauf quelques-uns, les textes religieux et leurs contenus sans interprétation (…) et cette doctrine n’a changé qu’après l’appel d’Al-Mahdi. Ce qu’il l’a aidé, c’est surtout le fait que sa doctrine était répandue dans l’Orient et était devenue le courant dominant (…).»

Mais au milieu de ces deux versions de l’histoire d’Al-Mahdi Ibn Toumert, ceux qui mettent en avant sa doctrine chiite et ceux qui le considèrent comme un relai du Asharisme au Maroc, il y a aussi bon nombre d’écrivains et d’historiens qui affirment qu’il est en réalité le père-fondateur d’une nouvelle doctrine. C’est le cas notamment Mohamed Helmi Abdel-Wahab qui affirme, dans un article paru dans le journal Acharq Al Awsat, qu’In Toumert «a réussi à instaurer un nouveau courant religieux, celui du monothéisme». L’écrivain égyptien explique ensuite que ce courant est «une combinaison des idées religieuses et les tendances répandues à l’époque, et qui ont été mises l’une à côté de l’autre, pour apparaître des fois hétérogènes et parfois contradictoires».

«Ainsi, la doctrine (monothéisme) qui donnera plus tard son nom à la dynastie (‘les Almohades’, qui signifie ‘Ceux qui proclament l’unité divine’) est basée sur l’idée de « Tawhid » qu’Ibn Toumert a emprunté de la Mu’tazilah (mutazilisme, ndlr).»

Selon le même auteur, Ibn Toumert était «sévère» avec ceux ayant mis en doute sa doctrine. «Il les avait excommuniés tout en qualifiant ses ennemis politiques, les Almoravides, d’infidèles et d’apostats», conclut-il.


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