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Implications pour le Maroc et ajustements politiques nécessaires

Le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) de l’Union Européenne, qui a été convenu en décembre 2022 et adopté par le Parlement européen en avril 2023, présente l’une des composantes d’un cadre complexe de politiques et de mesures visant à atteindre l’objectif européen de neutralité carbone d’ici 2050.

La politique proposée par l’UE vise à atténuer les fuites de carbone en imposant une taxe sur les importations de biens provenant de pays dont les politiques climatiques sont moins strictes que celles de l’UE, relève une analyse signée Veronika Ertl, Dr. Lahcen Haddad et Ayoub Touati.

En taxant les biens importés sur la base de leurs émissions de carbone intégrées, la mesure est donc censée mettre les entreprises européennes sur un pied d’égalité et décourager les producteurs non européens d’exporter vers l’UE, avec un avantage « concurrentiel », des biens à forte intensité de carbone. 

Alors que de nombreux détails concernant le CBAM sont encore en discussion, la mise en œuvre est envisagée en deux périodes, commençant en octobre 2023 avec une phase pilote dans laquelle un CBAM simplifié ne nécessiterait que des obligations de déclaration, suivie d’une mise en œuvre complète à partir de 2026, lorsque l’obligation d’acheter des certificats pour les émissions de carbone entrera en vigueur.

Dans un premier temps, le CBAM s’appliquera aux importations de fer et d’acier, d’aluminium, d’électricité, de certains engrais, de ciment et d’hydrogène, est-il souligné, pour noter que des décisions sur une éventuelle extension du mécanisme à d’autres produits, tels que les produits chimiques organiques et les polymères, sont en suspens et devraient être prises avant la mise en œuvre complète en 2026.

Par ailleurs, ce document est basé sur les discussions d’un atelier organisé conjointement par le Programme régional sécurité énergétique et changement climatique Moyen-Orient et Afrique du Nord de la Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS-REMENA) et le Groupe Istiqlal dans la deuxième chambre du Parlement marocain, le 7 février 2023.

Impacts attendus du CBAM sur le Maroc

Les experts s’accordent à dire que la mise en œuvre du CBAM aura de vastes répercussions sur l’économie marocaine. L’UE est le principal partenaire commercial du Maroc, représentant plus de la moitié de son commerce total et 65% de ses exportations. Le Maroc exporte principalement vers l’UE des produits agricoles, des voitures, des textiles, des pièces aéronautiques, des produits de pêche et du phosphate.

Les effets attendus du CBAM comprennent des impacts potentiellement négatifs sur la compétitivité et le volume des exportations marocaines vers l’UE, en particulier dans les secteurs directement couverts par le CBAM (notamment les engrais dans un premier temps).

En parallèle, le CBAM pourrait également inciter le Maroc à accélérer sa transition énergétique et environnementale en encourageant les investissements dans les énergies renouvelables, en soutenant la transition vers l’utilisation de ces énergies dans l’industrie et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Parmi les défis posés à l’économie marocaine par la mise en œuvre du CBAM, figure l’augmentation des coûts d’exportation des marchandises vers l’UE. Le passage aux énergies renouvelables dans les phosphates et l’industrie nécessitera des investissements qui feront monter en flèche les coûts de production et réduiront donc la compétitivité des exportations marocaines. Le gouvernement pourrait dévier une partie de ces coûts par le biais d’un soutien direct aux produits exportés. 

Le CBAM est susceptible d’affecter plusieurs secteurs clés au Maroc. L’industrie du phosphate, en particulier les filiales d’engrais et de produits chimiques – une source majeure d’exportations pour le Maroc – devrait être l’une des plus touchées en raison de ses émissions de carbone actuellement élevées.

Le plan ambitieux actuel de l’Office chérifien des phosphates (OCP – la société publique marocaine qui supervise la production, la transformation et les exportations de phosphates) d’investir 13 milliards USD pour atteindre une neutralité carbone de 100% d’ici 2040 rendra certainement les produits dérivés du phosphate plus compétitifs à long terme, mais entre-temps, les exportations du Maroc vers l’UE risquent d’être affectées négativement, ce qui aura un impact négatif sur sa balance des paiements et sur sa production économique globale. 

Alors que les effets directs seront ressentis par les secteurs qui dépendent fortement des exportations à forte intensité de carbone, tels que les phosphates et le ciment, des effets indirects sont à prévoir pour les industries liées à ces secteurs, tels que le transport et la logistique, en raison des changements dans les prix et la demande.

L’ampleur de l’impact dépendra d’une série de facteurs, notamment l’intensité en carbone des produits exportés, le niveau de concurrence sur le marché, la capacité des entreprises à s’adapter et à innover en réponse au nouvel environnement réglementaire et à la volonté du gouvernement marocain de mettre en place des politiques visant à soutenir les investissements de l’industrie dans les efforts de transition vers des sources d’énergie à faible teneur en carbone. 

Outre les défis qu’il pose, le CBAM présente également des opportunités pour le Maroc. Les experts considèrent le CBAM comme une opportunité à utiliser comme incitation pour accélérer la transition vers une économie à faible émission de carbone. Étant donné que la politique rendrait les produits à forte teneur en carbone relativement plus coûteux, elle devrait induire une augmentation de la demande pour les produits à faible teneur en carbone.

La politique pourrait donc créer des opportunités pour le Maroc de développer ses propres industries à faible teneur en carbone et de réduire les émissions dans les secteurs difficiles à abattre, en augmentant l’utilisation des énergies renouvelables et des technologies à haut rendement énergétique.

Les plans de transition vers un modèle de production zéro carbone, tels que le programme d’investissement 2023-2027 de l’OCP et sa vision zéro carbone 2040, pourraient permettre à l’industrie de maintenir son avantage concurrentiel dans le sillage de l’application du CBAM. Les plans de transition énergétique nécessitent toutefois des investissements et des innovations importantes, ainsi que le développement de nouveaux systèmes de certification et de contrôle pour garantir la conformité avec les réglementations de l’UE.

Le Maroc a déjà beaucoup investi dans le développement de ses capacités en matière d’énergies renouvelables et dans la mise en place des cadres politiques, législatifs et économiques nécessaires. Il dispose ainsi d’une base solide et d’un cadre ambitieux sur lequel s’appuyer pour assurer une transition efficace vers une économie à faible émission de carbone, il est également bien placé pour devenir un exportateur d’énergie renouvelable et d’hydrogène vert vers l’UE et d’autres marchés, ce qui lui donnera un avantage par rapport aux autres exportateurs vers l’UE. 

Les dépendances de sentier dans les structures économiques actuelles et les ressources relativement limitées posent cependant un défi pour faire avancer cette transition dans les délais nécessaires. Pour réussir et capitaliser sur ses avantages, les décideurs politiques et les entreprises marocaines doivent mettre en place des investissements audacieux dans les infrastructures et les technologies de transition énergétique, ainsi que développer de nouveaux partenariats et collaborations avec les entreprises et les gouvernements de l’UE. 

Dans l’ensemble, les impacts du CBAM sur l’économie marocaine sont susceptibles d’être complexes et multiformes, avec à la fois des défis et des opportunités qui en découlent.

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