Le Code de la famille, cheval de bataille pour l’égalité depuis 2004

Depuis plusieurs années, nombre d’organisations de la société civile pointent les inégalités contenues dans le Code de la famille, entré en vigueur en 2004. Au lendemain de la réforme constitutionnelle de 2011, le texte s’est avéré discriminatoire sur certains points. En 2016, un rapport du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) sur l’état de l’égalité et de la parité au Maroc a souligné même l’aspect contre-productif de certaines dispositions contenues dans le Code de la famille, à commencer par la dérogation accordée au juge et permettant encore le mariage des petites filles. Depuis plus d’une année, des organisations comme l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) ont appelé à une réforme globale pour un texte égalitaire, en phase avec les conventions internationales signées par le Maroc, ainsi que la Constitution réformée. Ce 8 mars 2023, Journée mondiale de lutte pour les droits des femmes, l’ONG a renouvelé cette revendication, parmi plusieurs points contenus dans un communiqué à l’occasion.

Dans ce contexte, l’ADFM a déploré «l’absence d’une vision globale et d’une volonté politique affichée pour l’effectivité des droits des femmes et la lutte contre tous les formes de discriminations et violence à leur égard». «Les statistiques relatives aux droits économiques, civils et politiques restent alarmantes et traduisent notamment l’absence d’un mécanisme de promotion et protection des droits des femmes», indique l’association, qui énumère «la lenteur inexpliquée et incompréhensible de la mise en place de l’APALD», à l’heure où «le gouvernement multiplie les mécanismes, met en place un Comité national pour l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes, sans tenir comptes des nombreuses expériences qui ont accompagné bon nombre de programmes et de plans gouvernementaux et qui se sont soldés par des échecs en termes de coordination intersectorielles et de redevabilité envers les femmes».

Pour la criminalisation des mariages des mineurs

Dans un point qui porte particulièrement sur le Code de la famille, l’ADFM considère que «les droits civils des femmes continuent à être bafoués, notamment par les limites contenues dans le texte et l’application» de ces dispositions non-harmonisées avec la Constitution et les engagements internationaux du Maroc. «Les 18 années d’application de cette loi ont mis en évidence l’urgence d’une refonte globale en vue de rompre avec le paradigme de la tutelle patriarcale pour disposer d’une législation de la famille exempte de discriminations, et qui accordent les mêmes droits aux hommes et aux femmes», soutient l’ONG. Celle-ci recommande, par ailleurs, d’«accélérer la refonte du Code pénal et du Code des procédures pénales», en plus d’«amender la loi 103.13 relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et mettre en place une chaine des services pour les victimes».

Contactée par Yabiladi, l’avocate et militante associative Khadija Rougani a analysé les nombreuses dispositions faisant que le Code de la famille mérite plus que jamais une réforme globale. Selon elles, «les avis sont unanimes sur la nécessité de réformer ce texte, près de 20 après son entrée en vigueur, pour suivre l’évolution des réalités sociales et les nouvelles problématiques de notre société, tout en remédiant aux failles de mise en œuvre depuis l’application déjà».

Khadija Rougani cite en premier la question du mariage des mineures. «Ce sujet à lui seul est symptomatique de certaines dispositions qu’autorise notre arsenal en guise d’exceptions, mais dont les procédures ne sont pas respectées. Le mariage des petites filles a même connu une évolution exponentielle depuis 2004, en contradiction totale avec les orientations de l’Etat, les politiques publiques et les stratégies nationales en matière de protection de l’enfance, de l’enseignement obligatoire et du planning familial», a-t-elle déclaré.

«Chaque année, plusieurs dizaines de milliers de mariages de petites filles sont autorisés, avec ce que cela implique comme abandon scolaire et mise à mal des efforts publics de lutte pour l’autonomisation et contre l’analphabétisme et la déscolarisation. Ceci a son impact sur le moyen et le long terme, comme nous avons bien pu le toucher, en vingt ans : cela nous donne des jeunes femmes qui ont de grandes difficultés d’insertion économique, dans une dimension de féminisation de la précarité, de la pauvreté et des vulnérabilités sociales. Non seulement cette disposition doit être abrogée, mais elle doit être expressément interdite et criminalisée par la loi.»

Khadija Rougani

L’avocate souligne, par ailleurs, la problématique socioéconomique que constitue l’article 49 du Code, relatif à la répartition des biens dans le foyer familial. «Depuis son entrée en vigueur, ce texte a toujours été mal interprété et mal mis en œuvre, alors qu’il a été pensé initialement dans une logique d’équité envers les femmes. Sauf que ses dispositions donnent lieu à des situations biaisées, depuis vingt ans, surtout lorsque les femmes sont actives au sein du ménage et non pas à l’extérieur, ou lorsque ce sont elles qui sont concrètement les cheffes de famille, ou encore quand ce sont elles qui s’occupent entièrement et exclusivement de leurs enfants, dans les faits, après un divorce où le père s’avère totalement absent».

Polémiques sur le droit successoral

Une autre difficulté liée à cet aspect est la tutelle légale du père, «alors que la loi reconnaît la garde des enfants à la mère, ce qui met à mal même l’intérêt supérieur de l’enfant», rappelle Khadija Rougani. Elle souligne, dans ce sens, «la contradiction avec le principe d’égalité homme-femme reconnu pourtant par la Constitution, lorsque la mère divorcée perd la garde en cas de remariage, puisque le père peut se permettre de se remarier, d’attaquer son ex-épouse devant la justice et de récupérer les enfants». «Les procédures de divorce doivent aussi être revues, pour ne proposer que deux options : l’une par consentement mutuel et l’autre judiciaire, permettant à l’une des deux parties de saisir le tribunal», ajoute l’avocate. Par ailleurs, elle insiste sur l’harmonisation du Code de la famille avec les dispositions égalitaires, mais aussi de protection de l’enfance, en rendant l’identification du père par test ADN concrètement obligatoire et non optionnelle «puisque le progrès scientifique du pays le permet».

Dans le volet du droit successoral, pomme de discorde à chaque débat sur le Code de la famille, Khadija Rougani insiste qu’«il faut savoir que la quasi-totalité des dispositions discriminatoires envers les femmes dans l’héritage est l’œuvre de jurisprudences théologiques et non pas de dispositions coraniques». «Les récupérations politiques dont le sujet a donc récemment fait l’objet, avec les sorties du Parti de la justice et du développement (PJD), ne sont que nostalgiques d’une autre phase de la vie de la formation, qui l’exprime sur le compte des questions relatives aux droits des femmes, exactement comme cela avait eu lieu en 2000 avec la polémique sur le Plan national d’intégration des femmes dans le développement, ou même le Code de la famille en 2004», tranche l’avocate.

«Après le discours royal sur la réforme de ce texte, le PJD a fini par voter le texte à l’unanimité, exactement comme les autres partis. Ceci nous dit simplement que ses sorties récentes ne sont que des spéculations de plus.»

Khadija Rougani

Soutenant que les jurisprudences religieuses ne sont pas des termes statiques, Khadija Rougani rappelle notamment que d’autres pays musulmans «ne reconnaissent pas le principe de Taassib, encore d’usage au Maroc». Dans ce sens, elle estime important de préconiser notamment que le foyer conjugal ne soit pas considéré comme un leg, «tant que l’un des deux époux est encore en vie, afin de préserver sa dignité après le décès du conjoint ou de la conjointe».

Par ailleurs, l’avocate rappelle que «nous vivons au Maroc, dans un contexte où les familles lésées elles-mêmes par les dispositions successorales n’affrontent pas le caractère inégalitaire de ces termes et préfèrent les détourner en opérant par exemple des ventes ou des dons de biens à leurs propres enfants, par peur du poids de règles religieuses qui ne sont en réalité que des jurisprudences de théologiens».

La militante insiste que «le Maroc est dans l’ère du droit positif et ces dispositions-là en font d’ailleurs partie». «Pourquoi donc ne tenir compte de la dimension religieuse pour questionner la loi, uniquement lorsqu’il s’agit des droits des femmes, surtout de leurs droits économiques et civils ?», s’interroge-t-elle.


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