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Le lancement des actions du 2 octobre 1955

Le 2 octobre 1955 arriva finalement. Il fallut quatre ans de préparation au niveau des cellules secrètes de l’armée de libération marocaine depuis 1951, l’acheminement d’armes et les formations à leur utilisation, la surveillance des manœuvres politiques durant l’été et au début de l’automne 1955 sur fond de négociations entre les partis marocains et la France (fin août 1955), ainsi que la résistance aux tentatives du Protectorat français qui tentait d’éviter un affrontement semblable à la guerre de libération algérienne (novembre 1954). Le moment du passage à l’action fut alors annoncé, comme le rappela le résistant Mimoune Ouakka : «J’ai appuyé sur le bouton de la lampe que je portais, une lumière rouge se diffusa et le sang se mit à couler !».

Le 2 octobre 1955, à une heure du matin, une attaque planifiée visa nombre de centres du protectorat. S’en suivirent plusieurs batailles qui durèrent des mois, ce qui changea moults aspects de la politique française au Maroc. Les résultats de ces premières interventions différaient d’une région à l’autre. L’attaque contre certaines cibles fut un franc succès, tandis que dans d’autres zones, cette victoire était mitigée. Dans certains endroits, elles n’eurent finalement pas lieu pour plusieurs raisons.

L’attaque contre le Centre des affaires civiles à Bourred

A Bourred (région du Rif), l’attaque de libération commença depuis le domicile du résistant Abdelaziz Akdad à Douar Sidi Aïssa. Dans l’après-midi du 1er octobre 1955, l’homme sortit avec son frère Abdesslam, leur oncle Abdelkader et 33 autres combattants de la résistance. Ils se dirigèrent séparément vers la grande maison de Hassan Zekriti, situé dans la forêt d’Arma Nozro près d’Aït Saoud. A leur arrivée, ils rencontrèrent Hsain Ben Haddouch, figure de proue des moujahidindu douar «Abrart», ainsi que les combattants d’Yar Ouhdoud, dont leur chef de file Moha Ben Ahmed Ben Aïssa.

Dans ses mémoires, Abdelaziz Daouairi raconta qu’après un repas, un thé et la prière de l’après-midi, Lahsen Zekriti avait monté sa jument qu’il avait chargée en armes et en munitions, puis avait conduit ses camarades jusqu’à douar Izkriten. Les résistants lui proposèrent de rester là-bas en compagnie d’Ali Akdad pour les protéger en cas de fuite d’information sur leur offensive. Les deux hommes acceptèrent à condition de rejoindre les combattant le lendemain ou deux jours plus tard.

Les résistants s’approchaient peu à peu du centre de Bourred jusqu’à constituer un flot emportant tout sur son passage. En cours de route, ils furent en effet rejoints par des camarades de douar «Ikhwanen» qui n’étaient pas loin de Bourred, avec à leur tête pour la première fois le martyr Ahmed Taherrasset El Khoulani, dirigeant du «groupe 50» au sein de l’armée de libération. Leur convoi fut également renforcé par la présence des guerriers de douar Ibeqriyne, dont Fkir Mohamed Ben Allal, leader du «groupe 25».

Selon les mémoires d’Abdelaziz Daouairi, les combattants de l’armée de libération exécutèrent l’opération, même s’ils n’avaient en leur possession que quelques fusils obtenus avec l’aide d’Abbas Messaâdi et des pistolets acquis par les efforts personnels de leurs détenteurs. Quant aux autres combattants, ils étaient munis d’armes blanches et surtout de courage et de détermination ayant ébranlé l’ennemi.

Comme prévu, l’attaque débuta le 2 octobre 1955 à une heure du matin. Chaque chef de cellule conduisit ses camarades dans la zone à encercler. Armé de sa carabine et accompagné de ses frères de lutte, le commandant Tinmelali encercla le centre de Bourred du côté droit. Mitraillette à la main, le groupe du sergent Mohamed Ouahoud encercla la zone nord. Egalement armés de mitraillette, les hommes des commandants Driss Olaouch et Boujben encerclaient la rive gauche, cernant ainsi leur cible de tous les côtés. Dernière issue, le grand portail fut envahi par le reste des membres de l’armée de libération, à leur tête Abdelkader Akdad, son neveu Abdelaziz et son frère Ahmed. Sur la ligne du même front furent également mobilisés Mohamed Ben Hamouch, frère de Hassan Benhamouch Zekriti, entre autres. Au début de l’offensive, Mohamed Qallah fut chargé de débrancher le circuit téléphonique. Ses compères attaquèrent tout de suite le gardien sur grand portail qui fut pris de court et livra rapidement son arme, sans résistance. Le succès de cette attaque reposa sur la grande précision de ses protagonistes, conformément à une stratégie bien maîtrisée.

Après quoi, les membres de l’armée de libération réussirent à capturer tous les militaires du Protectorat dans ce centre, ainsi que les collaborateurs. Six soldats du Protectorat (trois Français et trois Marocains) furent tués lors de cette attaque tandis que le moujahid Boumediene Ben Mohamed Afnous à Douar Izekriten. Les résistants promirent de ne pas porter atteinte à leurs prisonniers ou à leurs enfants si les lieux des déports d’armes française leur avaient été indiqués, ce qui était chose faite. Ahmed Taherrasset El Khoulani se dirigea ainsi vers les entrepôts d’armes, où il affronta violemment le gardien des lieux appelé «El Menizi», qui fut tué.

Les résistants occupèrent ensuite les lieux et se saisirent de toutes les armes, 92 fusils en bon état en plus de mitrailleuses et de plusieurs autres pièces d’artillerie. Leur objectif était de se servir de ce butin, conformément aux instructions de Mohamed Ben Abdelkrim el-Khattabi.

Après cette offensive, le domicile du capitaine Tadi fut assiégé. Les résistants ayant pu l’envahir s’emparèrent de l’uniforme du capitaine et de son revolver Thomson, mais sans pouvoir capturer l’homme qui s’enfuit avec son épouse à travers un tunnel terrestre d’1,5 km de long. Ce passage secret s’étendait jusqu’à un endroit appelé «La Paz». Il avait échappé aux résistants qui planifiaient l’attaque, puisqu’il ne figurait pas sur la carte du centre de Bourred.

L’attaque d’Imouzzer Marmoucha

Après des préparatifs intenses sur le maniement des armes et des techniques de guerre, les chefs des cellules secrètes de Marmoucha tinrent une réunion le 29 septembre 1955 chez Mimoune Ouakka Ilias. Toutes les mesures nécessaires étaient prises pour assurer le succès de l’attaque. Dans ses mémoires, Mimoune indiqua s’être concerté avec les chefs de cellules sur le lancement des opérations, prévues à une heure comme dans toutes les régions où ces interventions furent programmées. Le signal qu’il devait lancer était une lumière rouge de sa lampe.

A Marmoucha, l’armée de libération commença par une embuscade visant la maison du commandant Baux, décrite par Mimoune Ouakka dans ses mémoires. «La cellule menée par mon frère et Ali Oujari attaqua la maison du commandant, écrivit-il. Dès que celui-ci entendit des coups de feu, il envisagea toutes les possibilités et s’attendit au pire, juste derrière la porte». Lorsque l’homme aperçut les moujahidine, il se servit de son arme et tua deux d’entre eux. Les autres s’empressèrent alors de bloquer l’issue arrière de sa demeure. «A la sortie de son ami, contrôleur militaire à Oulad Zidouh, Abdellah Amimoune le tua avec une fusée-mitrailleuse.»

Menés notamment par le frère d’Ouakka, cinq résistants s’en prirent ensuite à l’entrepôt des armes, où ils purent mettre la main sur près de 120 fusils utilisables qui furent distribués aux guerriers. Fut attaquée également une caserne à «Cascade», sous la direction du résistant Ahmed Dkhissi, dont la cellule libéra nombre de détenus.

«Ce centre fut détruit par les moujahidines», écrivit Abdellah Senhaji dans ses mémoires. «Ils l’occupèrent et détruisirent tout ce qui se trouvait à l’intérieur, tandis qu’un grand nombre de soldats ennemis furent tués, dont un commandant appelé Baux, et 40 martyrs tombèrent au cours de l’intervention», rappela-t-il encore.

Les attaques dans d’autres centres

Si les interventions de libération à Bourred et à Marmoucha portèrent leurs fruits, celle menée contre le centre de Tizi Ousli n’apporta pas les résultats escomptés. En cause, la fuite d’informations sur les manœuvres des résistants. Ces derniers ne purent guère s’approvisionner en armement important après leur offensive, mais ils purent incendier le centre et libérer des prisonniers.

Par ailleurs, l’attaque visant Aknoul se solda par un échec cuisant pour plusieurs raisons. La préparation logistique n’était pas suffisante, dans la mesure où les armes ne furent pas à portée de main. La plupart des groupes constitués par Abbas Messaâdi, que ce dernier rejoignit l’été 1955, ne menèrent pas l’offensive à cette date (le 2 octobre 1955), malgré l’attention accordée par la direction de Nador, qui lui prévoyait 25 sacs de fusils. Dix autres étaient destinés à Tahla, mais restèrent en place pendant des mois.

Abdelaziz Akdad rappela cet épisode dans ses mémoires, où il revint globalement sur l’ensemble des opérations menées le 2 octobre 1955. «Ceux qui atténuèrent la présence des forces ennemies dans la région de Bourred en ce premier jour de la révolution étaient nos frères moujahidines de la région de Tizi Ousli. Ils attaquèrent des postes de garde ennemis dans la région avant l’heure fixée pour les offensives du 2 octobre 1955, puis attaquèrent le centre de Tizi Ousli, détruisirent les intérêts colonialistes, coupèrent les communications et les transports, tuèrent sept soldats ennemis et saisirent leurs armes», raconta encore le résistant, notant que trois moujahidines furent blessés.

«Au même moment, nos frèrent Maghraoua et Ouarani, prirent d’assaut les positions ennemies dans leurs tribus appartenant à la province de Taza, tandis que ceux d’Iznassen dans la région d’Oujda visèrent directement l’ennemi», écrivit encore le résistant. «Hormis les hommes dans ces régions-là et à Marmoucha, aucune autre révolution de la frontière algérienne à l’océan Atlantique, ne fut entreprise, comme nous l’avions envisagé avant notre engagement dans le triangle de la mort à Gueznaya», déplora le résistant.

Après l’offensive du 2 octobre 1955, l’armée de libération marocaine poursuivit ses combats et étendit son action à plusieurs régions du nord-est et du Moyen Atlas pendant des mois. Les événements politiques s’enchaînèrent rapidement, y compris les réactions de la France et les préparatifs de la prochaine phase dans l’histoire du Maroc, présageant des changements dans la nature du conflit. Depuis, dans un climat régional et international instable, la guerre de libération contre les puissances coloniales dans le monde entier s’intensifia considérablement.


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