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Maître Salmouni : « Une marque AMAZIGH BREWING COMPANY…serait immanquablement descriptive et donc nulle au regard de la loi n° 17-97. »

La propriété intellectuelle et l’appropriation culturelle sont deux sujets épineux qui font couler beaucoup d’encre sur la toile. Une indignation générale sur les réseaux a porté notre attention sur une nouvelle marque de bières artisanales: « AMAZIGH BREWING COMPANY ». La marque n’étant ni Amazigh, ni produite au Maroc et s’appropriant les symboles culturels marocains, on a eu recours à M.Daoud Salmouni-Zarhouni, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et industrielle pour répondre aux questionnements soulevés dans notre article précédent.

Challenge:  Cette marque [AMAZIGH BREWING COMPANY] est-elle valable ? Cette société a-t-elle le droit de s’approprier l’appellation et le logo Amazigh ?

M.Salmouni : Il y a trois éléments à souligner. Le premier élément étant que AMAZIGH BREWING COMPANY est une société à responsabilité limitée à associé unique (SARLAU) immatriculée récemment le 20 janvier 2023. Au Maroc, avant de pouvoir immatriculer une société, il faut obtenir de l’Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (OMPIC) un certificat négatif. Il s’agit d’un préalable obligatoire à toute immatriculation.

Avant de délivrer ce fameux certificat négatif, l’OMPIC est censé procédé à un examen de la dénomination proposée. S’agissant de AMAZIGH BREWING COMPANY, selon les documents accessibles, il apparaît qu’un certificat négatif n° 2638167 a été délivré par l’OMPIC. Cela appelle deux observations sur le bien fondé de la délivrance de ce certificat négatif. Il est tout d’abord possible de se demander si AMAZIGH BREWING COMPANY n’aurait pas dû être refusée en raison des motifs absolus de rejet, tels que prévus par les directives d’examen des demandes de certificat négatif.

En effet, ne peut être acceptée comme dénomination celle qui, notamment, est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou trompeuse. Sur le terrain de l’ordre public et des bonnes mœurs, qui est un terrain mouvant et souvent glissant, je ne pense pas, personnellement, que AMAZIGH BREWING COMPANY pose de difficultés. En revanche, il me semble que des doutes peuvent être émis sur la dénomination AMAZIGH BREWING COMPANY à la lumière de l’interdiction des dénominations trompeuses. En effet, les statuts de cette société, accessibles en ligne, indiquent qu’elle a notamment pour objet « d’effectuer tant au Maroc qu’à l’étranger » « la fabrication et la distribution en gros et en détail, de bières et autres boissons gazeuses, alcooliques ou non alcooliques ».

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Et c’est là que le bât blesse : AMAZIGH BREWING COMPANY laisse croire qu’il s’agit d’une société fabriquant ses produits localement. Or, les statuts indiquent que les produits seront notamment produits à l’étranger. De plus, les investigations de votre magazine montrent que les produits ne sont en rien fabriqués au Maroc mais en Espagne. De ce point de vue, AMAZIGH BREWING COMPANY est trompeuse puisqu’il laisse croire à une production locale quand les statuts prévoient aussi une production à l’étranger. Ensuite, la validité du certificat négatif interroge encore au regard des antériorités existantes au Maroc. Il appartient, en effet, à l’OMPIC de vérifier, avant de délivrer un certificat négatif, si la dénomination proposée porte atteinte à des droits antérieurs, et notamment des marques ou à des noms commerciaux. Il existe environ une centaine d’entreprises marocaines immatriculées qui comportent le terme AMAZIGH. Il faudrait vérifier si les activités de AMAZIGH BREWING COMPANY ne sont pas similaires à celles d’autres sociétés marocaines au point de prêter à confusion.

Il existe également plusieurs marques enregistrées à l’OMPIC contenant le terme AMAZIGH et notamment, selon la base de données de l’OMPIC, une marque AMAZIGH COLA déposées notamment pour des bières. Si cette marque est encore valable, elle aurait dû conduire l’OMPIC a rejeté la demande de certificat négatif AMAZIGH BREWING COMPANY.

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Le deuxième élément de réponse concerne le droit des marques. A priori, il ne semble pas que la société AMAZIGH BREWING COMPANY ait déjà déposée une demande de marque éponyme ou approchante. Si elle le faisait, cette marque devrait être refusée par l’OMPIC pour deux raisons au moins. La première tient à l’interdiction de protéger des marques dites déceptives ou trompeuses, à l’instar de ce qui est prévu pour les certificats négatifs. Or, une marque AMAZIGH BREWING COMPANY ou même AMAZIGH BEER pour des bières serait trompeuse comme laissant croire que les bières sont produites localement dans une région « amazigh ». Il reste qu’il arrive à l’OMPIC d’accepter de telles marques comprenant un terme géographique à condition que le libellé des produits indique qu’ils sont originaires dudit lieu géographique. Même dans un tel cas de figure, il me semble que la marque serait encore fragile alors qu’elle tomberait sous le coup de l’interdiction des marques descriptives. Une marque AMAZIGH BREWING COMPANY ou AMAZIGH BEER pour des bières produites localement serait immanquablement descriptive et donc nulle au regard de la loi n° 17-97.

C’est certainement en raison de ces deux raisons que la société AMAZIGH BREWING COMPANY a renoncé à déposer une marque auprès de l’OMPIC. Le troisième élément tient à la supposée personne russe derrière cette société. Il résulte des statuts de la société, consultables en ligne, que si une personne russe est impliquée, elle n’en est pas l’associée. En effet, il y a bien un ressortissant russe mais qui est seulement gérant de la société.

En revanche, l’associé unique, toujours selon les statuts, est un résident marocain de nationalité étrangère. A la vérité, la question de la nationalité des associés ou gérants importe peu ici. Les solutions exposées à l’instant sont valables quelque soit la nationalité ou l’origine des personnes physiques derrière la société : elles sont les mêmes pour un marocain.

Challenge: Est-ce qu’on peut estimer que la responsabilité d’un organe marocaine peut être engagée dans ce cas ?

M. Salmouni: L’Etablissement public qui est en première ligne est l’Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (OMPIC). Sur le volet du droit des marques, rien ne peut lui être reproché puisqu’aucune marque ne semble avoir été déposée ou n’est encore publiée. En revanche, sur le terrain de la dénomination sociale, il peut être considéré qu’en délivrant le certificat négatif pour AMAZIGH BREWING COMPANY, l’OMPIC s’est montré moins sévère que dans d’autres circonstances et pour d’autres dénominations.

Il convient toutefois de garder à l’esprit que pour de telles décisions, l’appréciation personnelle et la sensibilité peuvent être différentes d’un examinateur de l’OMPIC à un autre. Il y a nécessairement une part de subjectivité dans ce genre de décisions et puis, l’erreur est humaine…


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