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Malika El Fassi, la seule femme signataire du Manifeste de l’indépendance

Durant la période coloniale, plusieurs hommes furent connus pour leur courage et leur détermination à mener des actions de résistance. Entre ceux qui étaient actifs sur le terrain, notamment au sein de l’Armée de libération marocaine, ou encore dans les sphères politiques partisanes et syndicales, des femmes se distinguèrent également. Bien que leurs parcours furent moins mis en lumière, elles contribuèrent activement à écrire l’histoire du Maroc du XXe siècle. Malika El Fassi fit incontestablement partie de ces militantes.

Réputée pour être l’unique femme signataire du Manifeste de l’indépendance en 1944, son action était le fruit d’une longue lutte contre la colonisation et le Protectorat français. Malika El Fassi naquît le 19 janvier 1919 à Fès, dans une famille bourgeoise et cultivée. Son père, Mehdi El Fassi, tenait à son éducation et à son instruction de manière égale à ses frères.

Une militante féministe dans les années 1940

A l’âge de quinze ans, Malika El Fassi signait déjà ses premiers articles dans la presse, qui furent publiés dans le journal Al Alam sous les pseudonymes «la jeune fille» puis «la chercheuse de la cité». Dans son livre «Femmes et écriture», l’auteure Rachida Benmassoud explique que la graine d’intellectuelle s’inspira pour ses noms d’emprunt de Malak Hafni Nassef, pionnière du mouvement féministe égyptien qui se surnommait «la chercheuse du monde rural».

Rachida Benmassoud rendit également compte de l’attachement de Malika El Fassi à l’art du récit, à travers des écrits dans lesquels cette dernière traitait de la situation des jeunes marocaines. Ses articles se saisissaient globalement de toutes les problématiques liées aux femmes de sa société, sur un ton résolument défenseur de l’émancipation et déconstruisant les coutumes et les traditions qui brimaient encore nombre de ses concitoyennes.

Ainsi, Malika El Fassi devint véritablement la dynamo du Mouvement de promotion de la femme marocaine dans les années 1940 et 1950. Elle appela à l’intégration des filles dans la vie moderne et permettre à celles-ci de poursuivre leurs études supérieures, notamment à l’Université Qaraouiyine. Dans une société où l’accès des femmes à l’enseignement était le privilège de quelques familles aisées, El Fassi devint un symbole de la lutte féministe pour les droits sociaux et l’éducation pour toutes.

Dans ce sens, elle publia en 1941 un article intitulé «La victime». Paru dans le magazine «La culture marocaine», elle traite du mariage traditionnel comme imposé par la famille aux jeunes filles, notamment dans le choix du partenaire. «Fatima», protagoniste de ce récit, fugua du domicile familial lorsque son entourage décida de l’épouser à un homme bien plus âgé qu’elle. Dans une tentative de s’affranchir de ce poids, elle quitta le pays mais tomba dans les filets de la prostitution, selon un article de Rachida Benmassoud qui reprit cette histoire dans le magazine Al-Arabi, en avril 2005.

Une femme engagée dans l’action politique

En 1937 et parallèlement à ses publications, Malika s’engagea dans l’action politique au sein du mouvement national puis dans le cadre du parti de l’Istiqlal.

Malika El Fassi épousa plus tard Mohamed El Fassi, premier ministre de l’Education dans le Maroc post-colonial. Elle sera surtout connue comme l’unique femme signataire du Manifeste de l’indépendance, daté du 11 janvier 1944. Elle avait alors 25 ans. L’ouvrage «Mohamed El Fassi, un combat pour la culture et la politique», de Fatima Hbabi Jamaï, rappela que la jeune femme était non seulement signataire de ce document historique, mais qu’elle faisait également partie de ses rédacteurs, avec l’ancien ministre et époux.

La publication du manifeste marqua réellement un tournant dans l’histoire de la lutte anticoloniale marocaine. Il fut remis à Gabriel Puaux, résident général de juin 1943 à mars 1946, aux consuls généraux de Grande-Bretagne et des Etats-Unis, au général De Gaulle ainsi qu’à l’ambassadeur de l’Union soviétique en «Algérie française».

Malika El Fassi et Mohammed V

Dans les années 1940, la maison de Malika El Fassi devint le lieu de réunion des dirigeants du mouvement national. La femme joua un rôle important dans la transmission d’informations capitales au souverain. Dans son livre «Mes mémoires du mouvement national marocain», l’écrivain et membre fondateur de ce mouvement, Boubker el-Kadiri (1913 – 2012), décrivait une militante «enthousiaste et patriote, véritable bras droit de son époux ; elle était au fait de toutes les activités nationales, suivait les fidèles les plus engagés et les plus convaincus».

«Elle intensifia son activité lorsqu’elle devint membre à part entière et seule femme de l’organisation secrète du Parti national», rappela-t-il encore. L’écrivain écrivit également à quel point «le parti avait confiance en Malika, lui ouvrant ainsi l’adhésion à l’aile secrète, après son serment où elle avait promis de se tenir à la discrétion totale sur les nationaux et politiques, y compris les communications» avec Mohammed Ben Youssef (sultan de 1927 à 1957, puis roi de 1957 à 1961).

Selon Maghreb Arab Voices, le souverain rendait visite secrètement à Malika El Fassi pour mener à bien le travail de coordination entre lui et le mouvement national. Ainsi, ses camarades lui confièrent la mission de porte-parole auprès de lui, vu aussi la confiance dont elle jouissait auprès de Abla, l’épouse du sultan.

La même source nota que Malika El Fassi fut la dernière à rencontrer celui-ci avant son exil, le 19 août 1953. Sa fille Fatima Al Zahra raconta comment la militante se déguisait et trompait l’attention des Français pour se rendre à la résidence royale, puisqu’elle avait donné sa parole pour mener à bien la résistance jusqu’au dernier souffle de sa vie.

De la politique à l’action associative

Au lendemain de l’indépendance du Maroc en 1956, Malika El Fassi ne baissa pas les bras. Elle poursuivit son combat pour l’émancipation de la femme marocaine. Ainsi, elle fut nommée par Dahir membre du Comité central chargé de la coopération nationale et contribua à la création de la Ligue marocaine pour l’éducation et la lutte contre l’analphabétisme. Avec plusieurs femmes nationalistes, elle mit en place l’Association Mouassat à Rabat pour l’accueil des filles sans parents. Ce travail sur plusieurs fronts (social, politique et associatif) bénéficia notamment d’une reconnaissance internationale, Malika El Fassi ayant reçu plus tard une médaille de l’UNESCO.

La militante soumit par ailleurs un mémorandum au roi Mohammed V pour accorder aux femmes le droit de vote et créer une section pour les étudiantes de Qaraouiyine. En 2005, ce parcours de combattante valut à Malika El Fassi l’Ordre du trône au rang d’officier supérieur. Elle s’éteignit deux ans plus tard, le 11 mai 2007, laissant un héritage à toutes les féministes marocaines qui ont repris le flambeau du combat pour leurs droits politiques et sociaux. Elle fut enterrée au mausolée Hassan Ier à Rabat, aux côtés de son mari.


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