Moulay Idriss était-il chiite ? [1/4]

Idriss Ibn abd Allah al-Kamil est arrivé au Maroc vers la fin du IIème siècle après l’Hégire, après avoir survécu à la bataille de «Fakh» près de La Mecque, en 789 (an hégire 169). Cette dernière avait lieu entre le leader Al-Hussein ibn Ali (du courant rebelle contre les Omeyyades et les Abassides) et Al Mahdy Ibn Abi Jaafar à la tête des Abassides.

En l’an hégire 172, Moulay Idriss a fondé le royaume idrisside, qui est considéré comme le deuxième pays musulman indépendant du califat islamique à l’extrême ouest du monde musulman. La première nation est celle des Omeyyades en Andalousie. Selon le livre du docteur Saadoune Abbas Nasrallah, «Les Idrissides au Maroc», Moulay Idriss a pu user de l’amour des Marocains pour le prophète Mohammed (paix et salut sur lui) pour qu’ils lui prête allégeance. Le prince d’Awraba (tribu berbère vivant dans la région de Volubilis) avait, par ailleurs, abdiqué en faveur de Idriss 1er quelques mois seulement après son arrivée en l’an 172 de l’hégire. En l’espace de deux ans, Moulay Idriss est parvenu à unifier les tribus du pays.

Idriss 1er n’était pas chiite

Certains chiites se disent descendants de Moulay Idriss, avançant même que sa sortie du califat abasside n’est qu’une preuve supplémentaire de son obédience chiite. Toutefois, plusieurs historiens et écrivains indiquent que le chiisme n’était qu’une affaire politique pour le fondateur du royaume idrisside. Ce dernier est considéré comme appartenant à «Ahlu Al Bayt», la famille du prophète, donc ayant droit au règne. Mohamed Al Hajri indique dans son livre «L’étape du chiisme dans la Maghreb arabe» :

«Lors de l’arrivée du chiisme dans le Maghreb arabe – à l’ère des Fatimides – cette doctrine s’est transformée d’une manière dangereuse. A la base, les chiites demandaient à reconnaître le droit au règne des fils d’Ali Ibn Abi Talib (le protégé, cousin, disciple et gendre du prophète Mohamed (paix et salut sur lui), ndlr) et sa femme Fatima (fille du prophète et fille de Khadija, sa première épouse, ndlr). Ce qui a mené à la révolution après le règne des Omeyyades qui ont régné au lieu des ‘Ahlu Al Bayt’.»

Selon la même source, le chiisme est apparu au Maroc après l’arrivée de Moulay Idriss «à la fin du IIème siècle (hégire, ndlr), (…), la dynastie idrisside n’imposait pas de courant à adopter, seulement respecter quelques mesures limitées (…), bien avant que le chiisme ne devienne un courant à part entière, relié au courant perse (comme en Iran actuellement)». Mohamed El Hajri, insiste sur le fait qu’Idriss 1er n’était pas chiite, mais c’était seulement la résultante d’un choix politique. Par ailleurs, le fondateur de Fès n’avait pas œuvré à diffuser le courant chiite au Maroc.

Le docteur Saadoune Abbas Nasrallah, écrit dans son livre «Le royaume des Idrissides au Maroc, l’âge d’or», que Moulay Idriss était même très loin du courant chiite. «Ce qui est surprenant c’est que les Idrissides étaient alaouite chiites, mais leur gouvernance suivait le madhab malékite.»

Photo d’illustration. / Ph. DR

Même son de cloche chez Abdellah Guennoun, dans un article publié dans le magazine marocain «daawat al hak» (appel à la justice, traduction) intitulé «Idriss père et Idriss fils» : «Moulay Idriss a travaillé à propager la foi islamique authentique en dehors de toute hérésie. (…) Il a uni la parole et le cœur des Marocains, à ce moment-là, selon la doctrine sunnite.»

Pour prouver que Moulay Idriss est sunnite, Abdellah Guennoun s’appuie sur deux imams, des références dans la doctrine sunnite, Malek Ibn Anas qui est à l’origine du courant Malékite et Abu Hanifa Nouamane, à l’origine du courant Hanafite. Ces derniers soutenaient les Alaouites, dont fait partie Idriss 1er, pour affronter le Califat Abasside. Le journaliste soutient que si les Idrissides étaient chiites, ils n’auraient pas eu le soutien de Malek Ibn Anass. Ce dernier avait déclaré concernant les chiites : «Ne leur parlez pas, n’en parlez pas. Ce ne sont que des menteurs.»

L’historien égyptien Taqieddine al-Maqrizi avait soutenu avec détermination les mêmes points dans son livre «Enseignements tirés par les Hanafites des informations des imams fatimides du califat». L’auteur a indiqué que le chiisme n’est entré au Maroc qu’à travers le royaume Fatimide. A ce moment-là, les Marocains ont été forcés d’emprunter le courant chiite. L’une des premières actions du calife fondateur des Fatimides Ubayd Allah al-Mahdi, était l’obligation de «citer son nom lors du prêche du vendredi et que tous le pays l’appelle Al Mahdi prince des croyants. Un de ces disciples imposait aux gens le jour du vendredi d’emprunter le courant chiite, sinon il les tuaient.»

Enfin, d’autres historiens déclaraient que si le royaume des Idrissides était chiite, les Fatimides (chiites) ne les auraient pas combattu, et vaincu en l’an hégire 365.

Idriss Hani : Idriss 1er était chiite

Du côté du penseur chiite, intellectuel et homme politique marocain Idriss Hani, les personnes qui disent que Moulay Idriss n’est pas chiite, «défendent une position extrême. A cette époque-là on ne parlait ni de sunnites, ni de chiites».

L’ancien secrétaire général de la section arabe de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) a déclaré à Yabiladi que : «l’historiographie de la période d’Idriss 1er était surtout politique. Quand nous racontons l’histoire de Moulay Idriss, nous parlons du chiisme qui s’opposait au courant Omeyyade et Abasside. A cette époque-là, le sens propre du chiisme et du sunnisme n’existait pas encore. La plupart des sensibilités étaient surtout politiques. Il serait incorrect de dire qu’Idriss 1er était sunnite au sens sectaire, mais plutôt qu’il est chiite étant de descendance alaouite. Il était un leader essentiel de ce mouvement aux côtés de son frère Yahya. Sa loyauté revenait à «Ahlou Al Bayt» (la famille du prophète, ndlr). De là provient le vrai sens du chiisme.»

Le mouvement alaouite auquel appartenait Moulay Idriss «représente la forme qu’avait le chiisme à l’époque. Il est donc chiite. Plusieurs historiens marocains ont soutenu cette idée, tels que Abdelhadi Tazi, Abdellah Laroui, Ibrahim Harakat. D’autres historiens indiquent que Moulay Idriss était de confession zaidiste ou mutaziliste», explique l’historien Idriss Hani.

«Personne ne peut affirmer avec certitude que Idriss 1er et son fils n’étaient pas chiites. Certains maskoukates (monnaie ancienne, ndlr) le prouvaient. Sur la monnaie, qui existait au temps de Moulay Idriss, figuraient les noms de Fatima, Ali et Mohamed, etc.»

Pour répondre à ceux qui avancent que si les Idrissides étaient chiites ils n’auraient pas été attaqués par les Fatimides, Idriss Hani explique que : «Il n’y a pas eu d’offensive mais des coupures historiques. Il n’y a pas eu de bataille, mais des divergences politiques. Sinon, on pourrait dire que tout ceux qui se sont battus durant l’histoire ne partageaient pas la même doctrine. L’affaire du chiisme d’Idriss 1er est prouvée, et évidente.»

Pour conclure, l’homme politique précise que «le père de Moulay Idriss, Abdellah Al Kamil alias Abdellah Al Mahd est enterré en Irak, sa tombe se trouve dans un environnement chiite, avec des traditions purement chiites. Certaines personnes influencées par les déformations des salafistes viennent interpréter l’histoire comme si elle était fausse, puis ils veulent la déformer.»

Un débat historique et religieux passionant mais loin d’être tranché. L’occasion de suivre notre série d’articles sur l’histoire du chiisme au Maroc.


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