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Najib Cherfaoui : «Le Maroc est largement en mesure de lancer une compagnie maritime nationale de fret» 

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Contrairement à l’aérien, le Maroc qui avait une vraie flotte de fret jusqu’à la fin des années 1990, dépend, depuis, quasiment des armateurs mondiaux pour son transport maritime. Si, aujourd’hui, les opérateurs continuent de plaider pour le retour d’une flotte nationale marocaine de fret, le CESE semble être de leur avis. La création d’une compagnie maritime nationale de fret est-elle nécessaire ? La réponse de Najib Cherfaoui.

Challenge : Parmi les nombreuses recommandations du CESE pour faire face au choc inflationniste, figure l’étude de faisabilité de la mise en place d’une flotte maritime de fret gérée par une compagnie nationale. Selon le Conseil, une compagnie maritime nationale de fret réduirait la dépendance du Maroc des compagnies étrangères tout en atténuant l’impact de la flambée des tarifs de transport imposés par ces dernières en période de crise. Qu’en pensez-vous ? 

Najib Cherfaoui : Il y a effectivement une dépendance et cette dépendance est totale avec, en conséquence, la symptomatique sensibilité aux fluctuations tarifaires. Je pense au transport des céréales, agrumes/primeurs, phosphates et produits énergétiques (charbon, GNL, GPL & pétrole raffiné). Il s’agit de rétablir progressivement notre autonomie dans le secteur du transport maritime. Autrement dit, il faut travailler à la reconstitution de notre flotte stratégique qui permettrait d’assurer en temps de crise la sécurité des approvisionnements de toute nature, des moyens de communication, des services et des travaux maritimes indispensables à la bonne marche des activités économiques du pays. L’objectif raisonnable serait de se fixer une couverture correspondant à 25% des besoins en vrac solides/liquides pour 2030 ; puis de passer à 50% à l’horizon 2040.

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Challenge : Est-ce possible de lancer une compagnie maritime nationale de fret avec des navires marocains qui soient compétitifs par rapport aux autres flottes étrangères, notamment les géants du secteur qui sont tous présents au Maroc ?

N.C. : La question n’est pas celle de la concurrence face aux grandes alliances ou d’un quelconque souci de rentabilité. Il s’agit surtout de la nécessaire et urgente prise de conscience de disposer d’une compagnie maritime nationale de fret pour y domicilier la flotte stratégique. Et il faut bien garder à l’esprit qu’une flotte stratégique n’a aucun caractère protectionniste. C’est avant tout, un outil de développement pour permettre de contourner ou de surmonter la difficulté à se financer sur le marché bancaire. Il n’est évidemment pas question de subventions, mais plutôt de la mise en place d’un dispositif de garantie publique et de financements spécifiques pour favoriser les projets d’acquisition ou de renouvellement des navires. Cela dit, il est réconfortant de rappeler que tout au long du XXème siècle, le Maroc a armé exactement 300 navires de commerce comprenant phosphatiers, pétroliers, gaziers, chimiquiers, conventionnels, porte-conteneurs, rouliers et car ferries.

Le haut niveau de maîtrise des mers atteint par nos marins, montre que le pays est largement en mesure de lancer une compagnie maritime nationale de fret avec des navires purement marocains. 

Challenge : Une flotte nationale permet de réduire sa balance de paiement. Un argument que les partisans des flottes avancent. Selon vous, quelle économie en termes de devises le Royaume gagnerait-il à lancer sa propre compagnie nationale maritime de fret ?

N.C : En 2022, la flotte de commerce chute au niveau le plus bas jamais atteint depuis 1960 ; soit 17 navires jaugeant 145 000 tonneaux ; ce qui, rapporté à la population du pays nous ramène effectivement un demi-siècle en arrière. Soit 4 tonneaux pour 1 000 habitants en 2022 contre 18 tonneaux pour 1 000 habitants en 1978.

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Il en résulte pour l’État une sévère hémorragie en devises fortes : deux milliards de dollars par année, y compris les surestaries (600 millions de dollars), relatives à la facture du transport maritime des marchandises importées et exportées. 

Ainsi, en lançant sa propre compagnie nationale maritime de fret, le Royaume pourrait convertir une partie de ses charges en investissements induisant d’une industrie navale génératrice d’emplois et permettant une économie durable par rapport au volume des devises actuellement engagées. 

Challenge : Au cours de la décennie 1980/1990, le drapeau marocain sillonnait toutes les mers du globe. En 1986, par exemple, la flotte franchissait pour la première fois le seuil historique des 405 000 tonneaux de jauge brute avec 63 navires générant plus de 25 000 emplois. A quoi cette grande performance était-elle due ?

N.C : Cette grande performance est due aux mesures d’accompagnement et d’encadrement du pavillon national. Parmi les mesures d’appui au secteur, il faut souligner le Code des investissements (1973 et 1985), qui stimule l’acquisition de nouveaux navires ainsi que la participation de l’État en tant qu’armateur dans plusieurs compagnies : Comanav, Limadet, Petramar et Marphocéan. Cependant, en 1995, on décide d’abroger l’ensemble des codes y compris celui des investissements maritimes de 1985. En l’absence de soutien, la flotte commence alors à perdre peu à peu de son élan et de sa dynamique.

Mais, c’est au moment où le marché de transport maritime marocain est libéralisé (2006), que commence l’effondrement. Pour rappel, cette libéralisation (appelée aussi « Open Sea ») permet à tous les pavillons étrangers d’opérer librement en provenance et/ou à destination des ports marocains sans aucune restriction. Cette année-là, la flotte est encore forte de 40 navires [frigorifiques (1), cargo (1), ferries (13), porte-conteneurs (13), rouliers (5), chimiquiers (4), tankers (3)].

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Les armateurs marocains sont alors brutalement livrés à eux-mêmes dans un marché globalisé, avec en perspective, le spectre général des faillites en cascades. Ils ne disposent plus d’un cadre fiscal, réglementaire, commercial et opérationnel qui puisse leur permettre de survivre à leurs charges d’exploitation, notamment aux frais de carburant car le pétrole a atteint 151 dollars le baril en juin 2008. Résultat: la flotte actuelle ne compte que 17 navires opérationnels.  En plus des effets de la libéralisation, il faut citer la crise financière mondiale de 2008. En l’absence de fonds de roulement, les compagnies nationales jettent l’éponge. Armement emblématique et 3ème transporteur mondial d’acide phosphorique (1988), Marphocéan est démantelé en juillet 2009. Il en est de même successivement pour Limadet, Imtc, Comarit et Comanav-ferry (2011).

Au final, en 2022, on ne compte que 17 unités [ferries (6), porte-conteneurs (7), tankers (4)]. Il y a donc un lourd recul des ferries & des porte-conteneurs, avec disparition complète des vraquiers, chimiquiers & rouliers.


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