Quand le Maroc accueillait des prisonniers allemands (GM I & II)

C’est un pan peu connu de l’histoire de la Première et Seconde Guerre mondiale au Maroc, dont le cimetière militaire de Ben M’Sick, à Casablanca, abrite encore les traces. Aux côtés des sépultures des soldats français et britanniques, le carré germanique est constitué de 344 tombes : 120 corps de la Première Guerre mondiale (1914-1918) et 224 de la Seconde (1939-1945), indique sur son site la revue «Chemins de mémoire», éditée par la Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives du ministère français des Armées. Les sépultures de ces hommes tués au combat ou morts en captivité au Maroc ont été rassemblées en 1978, ajoute la même source.

C’est que de nombreux prisonniers allemands furent envoyés en Afrique du Nord à la demande du général Lyautey, alors résident général de France au Maroc, indique France 24 dans un article consacré au «sort controversé des prisonniers allemands au Maroc». «Au début du conflit, le futur maréchal réclame un contingent de prisonniers pour remplacer la main-d’œuvre française absorbée par les besoins de l’armée. Sa demande est acceptée et les premiers soldats allemands prisonniers débarquent en février 1915», précise la même source.

Une vingtaine de camps au Maroc accueilleront ainsi pas moins de 5 500 hommes durant la Première Guerre mondiale. «Ils étaient principalement utilisés pour des travaux de construction ou de réfection des routes», indique l’historien allemand Markus Pöhlmann, de l’Université de Postdam, à France 24. Pendant la Seconde Guerre mondiale, à Casablanca, des prisonniers allemands (mais aussi italiens) travailleront également pour les sœurs de l’orphelinat et à l’école de la Maison d’Anfa, d’après le site Ouarzazate 1928-1956.

Freiner la propagande allemande

Abdellah Naguib, banquier à la retraite et passionné par l’histoire de la ville de Casablanca, livre, lui, une autre version de l’arrivée de prisonniers allemands au Maroc. «L’envoi au Maroc, par le gouvernement français de prisonniers allemands, avait pour objectif de contrecarrer la propagande allemande sur le déroulement des hostilités en Europe», écrit-il sur son site Histoire de Casablanca.

Les inimitiés entre Français et Allemands se retrouveront jusque sur les étals de l’exposition franco-marocaine, organisée en 1915 à l’initiative du gouvernement français pour exposer les produits de consommation courante français et le matériel de guerre. Et pour cause, un comité sera chargé du boycott des produits allemands au Maroc, d’après Abdellah Naguib.

Pour recueillir des témoignages, un représentant de la Croix-Rouge discute avec un prisonnier allemand dans le camp de Berrechid, près de Casablanca. / Ph. Archives Comité international de la Croix-Rouge

En attendant, les prisonniers allemands seront chargés des travaux de terrassement du vaste terrain de l’exposition situé entre le boulevard Mohammed V et l’avenue des FAR. «La présence des prisonniers allemands à Casablanca provoquera un réel malaise entre les autorités du protectorat et la colonie allemande, qui avait à sa tête le Tajer Carl Ficke. C’est ainsi que les membres de cette colonie seront arrêtés et mis en résidence surveillée dans la villa de Carl Ficke. Ce dernier sera inculpé de menées anti-françaises, il sera condamné à mort et exécuté en 1915. Il est inhumé au cimetière d’El Hank à Casablanca. Au lendemain de l’armistice, les biens appartenant à des citoyens allemands où en association, seront mis sous séquestre», ajoute Abdellah Naguib.

A Ouarzazate, détention drastique pour les prisonniers allemands

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Ouarzazate fut l’une des villes marocaines à accueillir des prisonniers allemands. En décembre 1944, soit quelques mois avant l’armistice du 8 mai 1945 qui sonna la fin de la guerre, près de 14 500 soldats allemands furent internés dans divers camps de prisonniers : 400 officiers à Ouarzazate principalement de l’Afrika Corps, 1 500 sous-officiers à Ksar Es Souk, les autres troupes sur l’ensemble du territoire marocain.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, au Maroc, et plus généralement en Afrique du Nord, les conditions de détention furent particulièrement draconiennes – plus que durant la Première Guerre mondiale, toujours selon le site d’après le site Ouarzazate 1928-1956. Dans l’Oriental, province de Figuig, Bouarfa est le théâtre de rudes conditions de vie : nombreux sont les prisonniers allemands à mourir de la malaria à cause d’une eau insalubre ; les baraquements sont décrits comme «inhumains», la nourriture manque souvent à l’appel et la discipline y est appliquée d’une main de fer.

Alors que certains prisonniers moururent de leurs blessures contractées durant les combats, d’autres seront transférés dans des hôpitaux au Maroc, et d’autres encore décèderont en raison des mauvaises conditions de détention. «Dans ce contexte, la Légion étrangère recruta des prisonniers allemands au Maroc, heureux de fuir une captivité éprouvante et parfois un passé nazi encombrant !», indique la même source. Enfin, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, et lors de la libération, certains prisonniers seront embauchés à la mine d’Imini, près de Ouarzazate, quand d’autres attendront la retraite ou l’indépendance du Maroc avant de quitter le pays. Les rudes conditions de vie des prisonniers allemands dans cette partie du Maroc n’empêcheront pas certains de faire preuve de talents impressionnants. Ainsi, un officier allemand, prisonnier à Ouarzazate, dessina une singulière et exceptionnelle carte de la région dessinée et aquarellée.


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