Quand l’Union soviétique venait provoquer le Maroc dans les eaux au large du Sahara

Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide entre les deux grandes puissances, les États-Unis et l’Union soviétique en l’occurrence, commençait à peine à émerger. Comme plusieurs régions du monde, l’Afrique du Nord en général et le Maghreb en particulier, n’est pas resté en marge de ces rivalités. Alors que le Maroc avait choisi de s’aligner avec les États-Unis et les pays de l’Europe occidentale, son voisin de l’Est, l’Algérie, avait opté pour le camp adverse, à savoir l’Union soviétique et les pays d’Europe de l’Est.

Et avec l’émergence du différend du Sahara occidental, occupé auparavant par l’Espagne, Moscou et Washington avaient tenté d’imposer leur présence dans la région. Ainsi, après la création du Front Polisario en 1973, le mouvement séparatiste reçoit le soutien de ses parrains algériens et libyens, et donc l’appui indirect de l’Union soviétique. D’ailleurs, les premières armes d’El-Ouali Mustapha Sayed étaient de fabrication soviétique. Alors que le Maroc achetaient ses armes presque exclusivement des pays occidentaux.

Au fil du temps, la position du Maroc dans le conflit du Sahara s’est renforcée, notamment après la Marche Verte, suivie par la signature de l’accord de Madrid entre le Maroc, la Mauritanie et l’Espagne le 14 novembre 1975, aux termes duquel l’ancienne colonie espagnole était partagée entre Rabat et Nouakchott. Puis, en août 1979, la Mauritanie se retire unilatéralement, ce qui permet à l’armée marocaine d’intervenir pour récupérer la province d’Ouad Ed-Dahab. Le Maroc contrôle désormais l’ensemble du territoire.

Hassan II avec Jimmy Carter lors de sa visite aux Etats-Unis en novembre 1978 / DR

Des navires soviétiques qui pêchaient sans l’autorisation du Maroc

De l’autre côté, le soutien soviétique au Polisario n’était pas annoncé, mais s’effectuait de manière indirecte, à travers l’Algérie. Et cela changera à partir de décembre 1980, avec une situation sur le terrain qui connaîtra un changement à la fois soudain et spectaculaire. En effet, les responsables politiques de Moscou avaient décidé d’envoyer des navires de pêche dans les eaux du Sahara et ce, sans aucun accord signé avec les autorités marocaines.

Dans un article publié le 4 février 1981, le journal espagnol El Pais souligne que les quatre navires soviétiques, interpelés par l’armée marocaine, refusent alors de se conformer à la demande de celle-ci. L’armée du Maroc est contrainte d’agir, avec des tirs. L’intervention provoque ainsi la mort d’un marin soviétique blessé, après son transfert à Las Palmas.

Les navires russes sont alors bloqués au Maroc plusieurs jours, jusqu’à ce qu’ils soient relâchés à la suite de la visite à Moscou du ministre marocain du Commerce, Azeddine Guessous. Le Maroc contraint alors l’Union soviétique à lui payer des amendes prévues par la loi marocaine dans de tels cas.

Embarrassé devant l’opinion internationale, l’Union soviétique tente de minimiser sa soumission aux demandes marocaines. Le ministère soviétique de la Pêche déclare alors que l’acceptation de payer ces amendes au Maroc intervient «pour des raisons humanitaires et pour libérer [ses] citoyens détenus dans le port de Dakhla de manière négociée».

Léonid Brejnev a été président du Præsidium du Soviet suprême du 16 juin 1977 à sa mort le 10 novembre 1982. / Ph. DR

Quand le vent de la guerre froide soufflait sur le Maghreb

«L’Union soviétique ne reconnaît toutefois pas la souveraineté du Maroc sur les eaux du Sahara», a ajouté le communiqué, en précisant que «le paiement de ces amendes ne peut être interprété comme une reconnaissance de la souveraineté du Maroc» sur ce territoire.

La même année, l’armée marocaine arrête un navire cubain dans les eaux adjacentes de ses provinces sahariennes. A l’époque, Cuba est affilié au camp de l’Est et a reconnu la «RASD» dès le début de 1980 et est même parmi les plus importants soutiens au Front Polisario. L’armée marocaine annonce à l’époque que le navire appartenant à cet Etat insulaire transportait du «matériel informatique sophistiqué», laissant entendre qu’il pourrait s’agir d’espionnage.

Face à ces deux développements, le président américain Ronald Reagan dépêchera trois navires de guerre, l’US Navy, l’USS Newport et l’USS El Paso pour visiter les ports de Tanger et d’Agadir du 5 au 7 février 1981. Selon le journal espagnol, un responsable de l’ambassade des États-Unis à Rabat aurait confié à l’époque que l’administration Reagan «souhaitait montrer sa solidarité avec les pays amis».

Depuis, le vent de la guerre froide entre les deux camps soufflera sans discontinuer sur le Maghreb. Même après l’effondrement de l’Union soviétique, l’Algérie maintiendra ses relations avec la Russie, tandis que le Maroc renforcera ses liens avec les États-Unis.

La Russie défendra même, mais de manière plus discrète, le Front Polisario devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, tandis que Washington se montrera plus sensible à la position du Maroc, bien que son intérêt stratégique pour ce différend territorial ait considérablement diminué au fil des années.


Continuer la lecture

Quitter la version mobile