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Quand Mouammar Kadhafi voulait envoyer des soldats pour renverser le régime Hassan II

Une tentative de coup d’Etat contre Hassan II a eu lieu le 10 juillet 1971. A ce moment-là, un grand nombre de militaires et d’officiers ont été dépêchés en urgence vers Rabat, mais le putsch a échoué.

Même si tout est rentré dans l’ordre le jour-même, certains putschistes ont été tués et d’autre arrêtés. Certains ont été emprisonnés et même condamnés à mort. Le régime libyen est allé loin dans la manière de traiter l’information du putsch raté. D’après le livre de Talha Jibril, «Al Malik Wa Al Aakid» (Le roi et le colonnel), dès que la radio libyenne a appris la nouvelle du coup d’Etat, des bulletins d’informations ont été diffusés pour soutenir «la révolution au Maroc». Les communiqués des putschistes ont également été relayés.

En Libye, des rapports fictifs concernant l’évolution de la situation ont été diffusés et la radio de Tripoli a annoncé «le soutien du conseil de commandement de la révolution en Libye» aux «officiers libres du Maroc».

Plusque cela, le conseil de commandement de la révolution libyenne a dépêché en urgence un membre de sa délégation en Algérie pour rencontrer le président Houari Boumédiène et demander l’autorisation d’atterrissage et de survol aérien d’avions libyens, avec à leur bord des milliers de soldats pour soutenir «la révolution au Maroc».

Le chef d’Etat algérien n’a pas approuvé cette requête, déclarant que l’Algérie n’était pas au courant de ce qui se passait au Maroc. Ainsi, elle n’autorisait pas l’utilisation de son territoire pour le transport d’armes ou de soldats.

Des répercussions de taille

Quand la situation s’est apaisée, Hassan II a reçu des rapports concernant les réactions diplomatiques. Lorsqu’il a entendu parler de ce que manigançait le gouvernement libyen, une fureur l’a envahi et il a décidé de réagir.

La première réaction du Maroc a été de demander à l’ambassadeur libyen, Youssef Chibani, de quitter le royaume en plus de fermer l’ambassade libyenne. Les relations entre les deux pays ont été rompues.

L’ancien souverain a alors convoqué Mohammed Osman al-Said, Premier ministre du roi déchu Idris El-Senussi, qui était en exil au Maroc. Il souhaitait discuter et analyser ce qui se passait. Hassan II lui a alors déclaré, selon les propos de l’ancien premier ministre :

«Mais que veulent donc ces gens ? Il s’est passé ce qui s’est passé et ils ont renversé le régime monarchique en Libye, et je suis resté silencieux alors que j’avais le droit de parler puisque le roi Idris El-Senussi [est descendant de Hassan Ibn Ali Ibn Taleb et c’est la descendance des rois alaouites marocains] et j’ai le droit de manifester mon opposition. Alors que je n’ai pas parlé et je ne m’y suis pas opposé. Mon ambassadeur est resté à Tripoli et l’ambassadeur libyen de même à Rabat. Je vous ai même invité à assister au sommet islamique alors que l’invitation était destinée au roi Idris El-Senussi. J’avais envoyé une autre invitation au conseil de commandement de la révolution libyenne qui avaient envoyé l’ambassadeur à Rabat pour les représenter.»

Selon le livre de Talha Jibril, le roi Hassan II a indiqué qu’il ne souhaitait pas interférer dans les affaires libyennes. Le souverain a alors déclaré à Mohammed Osman al-Said : «Nos deux pays sont lointains, deux pays nous séparent. Je ne me doutais pas qu’il me haïssaient à ce point et qu’ils avaient ce genre de pensées à mon égard. C’est pour cela que j’ai le droit de me défendre.»

Hassan II a interrogé l’ancien Premier ministre libyen sur la situation interne en Libye et sur la manière à adopter pour contrer ce nouveau régime. Mohammed Osman al-Said s’est empressé de contacter des personnalités libyennes installées à l’étranger pour trouver un moyen d’agir contre Kadhafi et ses hommes. Quand il a rassemblé les informations nécessaires, l’homme politique libyen a rencontré Hassan II encore une fois et l’a informé qu’agir contre le régime libyen était extrêmement difficile.

L’intervention militaire en Libye

Mohammed Osman al-Said a dit à Hassan II que le seul pays frontalier avec la Libye à ne être content de ce qui s’y passait était le Tchad. Il lui a assuré qu’il avait des amis là-bas en relation avec le président tchadien, François Tombalbaye, et que ces derniers étaient prêts à apporter leur aide pour contrer le nouveau régime libyen.

Le souverain a alors appelé le président tchadien pour militariser conjointemet un groupe de libyens établis au Tchad. Le roi s’est chargé de leur assurer un transport vers le Maroc. Il a même prévu des planques secrètes au sein des bases militaires marocaines pour les héberger. Ces derniers ont été entraînés par les officiers marocains. Ainsi, un grand nombre de Libyens en provenance du Tchad allaient être déplacés vers le Maroc dans l’espoir de préparer un coup d’Etat dans leur.

L’appel téléphone qui renverse la situation

L’heure du voyage s’approche à grand pas. L’affrontement militaire entre le roi et le colonel se précise. Toutefois, une rencontre entre le colonel Abderrahmane Ali Al-Said, responsable des armées libyennes, et Mohamed Osman Al-Said, va complètement bouleverser la situation.

Vers la fin décembre 1974, Abderrahmane Al-Said appelle Mohamed Osman Al-Said de Genève. Ce coup de téléphone marque un tournant dans les relations maroco-libyennes. Le chef des armées de Tripoli tient à rencontrer Osman «à propos d’un sujet important». Ils se retrouvent alors à Genève et lors de leur rencontre, Mohamed Osman Al-Said propose aux membres de sa famille de visiter le Maroc, assurant qu’il allait prendre en charge la logistique de ce voyage.

Mohamed Osman Al-Said revient au Maroc et informe Hassan II de ce qui s’est passé entre son proche et lui, de sa proposition de visiter le royaume. Le souverain n’exprime pas de réserves.

Ainsi, Abderrahame Al-Said se rend à Rabat. C’est le premier responsable libyen à fouler le sol royaume, dans un contexte de tensions extrêmes entre les deux pays. Le chef des armées libyen a été accueilli en grande pompe.

Peu après la visite d’Abderrahmane Al-Said, des communications informelles entre le Maroc ont contribué à rétablir les relations entre les deux pays. La Libye a choisi le général Abdellah Souissi, un officier haut placé au sein de l’armée libyenne, pour être ambassadeur au Maroc, tandis que Hassan II a nommé Idriss Al Fallah à Tripoli.

Les relations maroco-libyennes se sont améliorées suite à ces événements. La situation s’est stabilisée pendant une courte période, jusqu’à ce que le Front Polisario effectue des opérations militaires contre les Espagnols dans le Sahara.

Mouammar Kadhafi a armé le Front qui s’est fait un fief dans le sud algérien. Ce soutien s’est manifesté officiellement le 15 avril 1980, quand la «République arabe sahraouie démocratique» a été reconnue par la Libye.

Le Maroc a alors rompu encore une fois ses relations diplomatiques avec la Libye. Mouammar Kadhafi a continué à fournir «des aides financières à de nombreux pays africains pauvres, en contrepartie de leur soutien au Polisario».

D’ennemis à alliés

La date du 13 août 1984 marque un autre tournant dans l’histoire des deux pays. En effet, la situation s’est complètement inversée à la veille de l’accord d’Oujda entre Rabat et Tripoli, annonçant «à la nation arabe de l’océan atlantique au Khalij et au monde entier l’intention du royaume du Maroc et la république de la Libye de travailler main dans la main pour l’évolution des deux pays frères dans tous les domaines». Cet accord constite la première étape pour établir l’Union du Maghreb arabe (UMA). Ce n’est que lors d’un discours de Hassan II que le secret a été divulgué. Le souverain a déclaré :

«Nous avions mentionné ce sujet le 13 juillet 1984, le 13 août de la même année nous avons pu signer l’accord de l’unité à Oujda. 30 jours seulement après que l’idée de l’unité a été mise sur la table, nous avons pu la concrétiser.»

Tandis que Mouammar Kadhafi, lui, a déclaré :

«Nous sommes arrivés à une étape qui rassemble l’ensemble de la nation arabe, où le royaume s’allie à la république, vu les défis et les dangers imminents. L’unité est devenue essentielle entre le royaume et la république, entre le roi et le leader de la révolution. L’alliance entre les deux pays semble contradictoire, même si les plus grandes contradictions restent le sionisme, l’impérialisme et le sous-développement.»

La lune de miel entre le Maroc et la Libye s’est interrompue brusquement deux ans plus tard, suite à la tempête politique qui a suivi la visite du Premier ministre israélien Shimon Peres, le 21 juin 1986 à Ifrane.

Tentative d’assassinat du roi Hassan II

Après la rencontre entre l’homme politique israélien et le souverain marocain, les relations entre la Libye et le Maroc se sont tendues. Mouammar Kadhafi a même envisagé d’assassiner Hassan II.

Lors d’une interview sur la chaîne Al Alarabiya, Atef Aboubakr, ancien directeur du cercle politique dans le mouvement Fatah palestinien, a déclaré que Kadhafi avait coordonné avec Sabri Khalil El Benna, alias Abou Nidal, fondateur du conseil révolutionnaire du Fatah et connu pour être un tueur à gages. Ils se sont coordonnés pour assassiner Hassan II.

Selon la même source, après l’accord sur le plan d’assassinat, «Abou Nidal et les services secrets libyens ont envoyé des armes au Maroc en 1987, cachés dans des avions en provenance de Tripoli. Un plan d’action a été mis en place avec un opposant marocain».

L’opération a été annulée de peur des violentes représailles de Rabat contre Tripoli, sur fond d’affaires politiques et sécuritaires entre les deux régimes. La plus connue étant celle du Maroc qui livre l’officier Omar Al Mahichi, établi dans le royaume, à la Libye, et qui avait participé à un putsch raté en 1975 contre le régime de Kadhafi.

Le Polisario et la répression de la révolution libyenne

En février 2011, le Printemps arabe a balayé la Libye. Les manifestations se sont étendues aux principales villes libyennes pour se transformer en affrontements armés entre les pro-Kadhafi et ses opposants. Les agences de presse internationale ont relayé une information concernant l’implication du Polisario dans la répression de la révolution. Selon l’institut Gatestone, «556 combattants du Front Polisario ont été parmi les révolutionnaires libyens arrêtés». Kadhafi a «soutenu financièrement et logistiquement» le Front depuis la fin des années 1970.

200 combattants entraînés sur les techniques de guerre des gangs ont été choisis. Ils avaient en leur possession des Kalashnikovs, des grenades, des lance-roquettes et des véhicules tout-terrain.

Ali Richi, ex-ministre libyen de la Migration et des affaires des migrants qui s’est joint aux manifestants, avait déclaré à la chaîne Al Mohajir que les «mercenaires du Polisario combattaient aux côtés des forces du régime de Kadhafi contre le peuple libyen».

Selon le quotidien d’information britannique «The Telegraph», Mouammar Kadhafi a déboursé près de 3,5 millions de dollars pour embaucher des mercenaires d’Afrique du Nord. Chacun aurait été payé 10 000 dollars pour une durée de deux mois. La plupart de ces mercenaires étaient des Sahraouis en provenance du Sahara occidental.

Le printemps arabe remet de l’ordre dans les relations entre les deux pays

Les opposants de Kadhafi ont fondé un conseil révolutionnaire. Alors que les combats ont atteint leur paroxysme, le conseil à émis des communiqués soutenant «la marocanité du Sahara» et refusant de reconnaître «la République arabe sahraouie démocratique». Ali Kassem, envoyé spécial du conseil national de transition libyen au Maroc, a alors déclaré à la presse : «La Libye n’est plus un soutien au Front Polisario, comme l’a été le régime du colonnel Mouammar Kadhafi. [Notre pays] va soutenir l’unité territoriale marocaine.»

Le 20 octobre 2011, le colonnel Kadhafi a été tué par ses opposants dans la ville de Sirte. Le 16 juillet de l’année d’après, les décideurs à Tripoli ont annoncé officiellement le retrait de la reconnaissance de la «RASD». Le Polisario a alors perdu l’un de ses alliés les plus forts dans le continent.

Lorsque les conflits armés ont éclaté entre l’Est et l’Ouest de la Libye, le Maroc a choisi de ne pas prendre parti. Il est plutôt intervenu en tant que médiateur pour mettre un terme au conflit.

Le 11 juillet 2015, les «frères ennemis» libyens sont parvenus à un accord, espérant mettre un terme à la situation de division accrue après des négociations marathoniennes dans la ville de Skhirate. Un accord qui porte bien son nom : «paix et réconciliation».


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