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Quand un village marocain s’érigea en deuxième exportateur mondial de plomb

Au début du XXe siècle, le petit village de Sidi Boubker n’était pas encore connu de tous et fut surtout réputé pour abriter un marabout. Mais en 1925, cette situation changea, lorsqu’un architecte urbaniste français détecta un riche gisement naturel de plomb, de zinc et de souffre. Intégrant une forte composante sociale à ses créations, il fut connu jusque-là comme le transformateur de l’architecture hospitalière dans son pays. Il s’agit de Jean Walter, né en 1883 dans la région de Bourgogne-Franche-Comté. Cette trouvaille l’érigea au rang de véritable acteur économique mondial, puisqu’il fut même approché par les Etats-Unis.

Mais avant cela, l’aventure Zellidja débuta par un simple hasard pour Jean Walter. Au commencement, «des honoraires impayés lui avaient donné des droits dans une petite concession qu’un de ses clients avait au Maroc», indiqua le magazine Bilans hebdomadaires dans son édition du 31 juillet 1953. Voulant savoir à quoi ressemblait cette exploitation, l’urbaniste se rendit sur les lieux, avant de partir en exploration dans le désert. «Jean Walter retrouva à 25 km de là les pentes d’une falaise (…) L’analyse des prélèvements qu’il rapporta à Paris démontra qu’il avait découvert un gisement très riche en plomb et en zinc», relata la publication.

Les vies multiples de Zellidja

Se projetant dans un avenir prospère, Jean Walter poursuivit l’exploitation artisanale existante. Compagnie minière française créée en 1881, l’Union minière et métallurgique de Penarroya lui octroya «les droits de recherches, que celle-ci possédait sans les exercer, dans la zone désertique qu’il avait explorée». Avec l’aide de son fils ainé, Jacques, il commença l’exploitation du gisement de «la plaine de Zellidja» à Sidi Boubker en 1926. Cependant, le climat hostile de la région ne les aida pas à stabiliser une main-d’œuvre durable.

De plus, la Grande dépression (crise de 1929) était à ses prémices. Les cours internationaux du plomb connurent une chute brutale. Jean Walter fut contraint de fermer sa mine, mais il resta accroché à son investissement, auquel il redonna vie à partir de 1936. Au lieu de rester une contrainte, la situation de l’exploitation l’aida considérablement, puisque sa proximité avec l’Algérie lui facilita l’exportation de minerais via le port le plus proche, celui de Ghazaouet (région de Tlemcen), anciennement appelée Nemours.

Cette activité connut un nouvel arrêt en 1940, sur fond de Seconde guerre mondiale (1939 – 1945). Jean Walter ne put rouvrir son exploitation qu’après le débarquement américain. A ce moment-là, les Etats-Unis «avaient besoin d’importer autant de plomb qu’ils en produisaient», rappela Bilans hebdomadaires, indiquant que «l’aide américaine fut le coup de fouet qui devait assurer le plein succès de l’entreprise». Cette dernière vit son financement se renforcer d’un prêt-bail de 210 000 dollars, ainsi que des avances de 7 600 000 $ et remboursables en minerai.

Dans la même période, «Zellidja donnait naissance à une nouvelle société, la Nord-Africaine de Plomb, 51% française et 49% américaine, pour l’exploitation d’une nouvelle zone du gisement de plomb et de zinc découvert par Jean Walter», et qui s’étendait au-delà de la frontière maroco-algérienne.

Un tissu social vint se greffer au gisement minier

Au bout d’une vingtaine d’années, Zellidja bénéficia d’un écho mondial et devint un symbole de réussite économique, dans un univers encore en reconstruction après la Seconde guerre mondiale et en pleine lutte contre la colonisation française. Ainsi, Bilans hebdomadaires décrivit cette évolution : «Là où s’élevait, solitaire, le marabout de Bou Baker, s’étend maintenant une ville neuve de 10 000 habitants, avec sa médina, son quartier européen». La société devint la seconde exportatrice mondiale de plomb.

Par ailleurs, Jean Walter avait créé, depuis les années 1930, la Fondation des bourses de Zellidja, qui permettait à 2 000 lycéens de se faire financer leurs vacances. Il fit également un don au ministère français de l’Education nationale. A travers la Fondation d’aide aux étudiants qu’il créa aussi, il contribua à la mise en place de cent chambres au pavillon Maroc à la Cité universitaire de la région. Par ailleurs et en véritable urbaniste social, Jean Walter mit en œuvre les concept du «tout intégré» à Sidi Boubker (alimentation, distractions multiples, services sociaux, etc.).

Ainsi, l’entrepreneur devint un acteur économique clé, présenté comme «un personnage d’importance au Maroc», car «non seulement il a renoué avec Penarroya-Maroc, mais il exerce une influence prépondérante au Crédit Marocain où il a repris une grande partie des participations de ceux qui le contrôlaient avant la fusion avec la Société Financière Transafricaine». Quant à son fils, il repris la direction générale de l’exploitation, tout en contrôlant «un quotidien au tirage de 30 000 exemplaires : Maroc Presse, et un hebdomadaire financier : Le petit casablancais». S’il se disait apolitique, Jacques Walter préféra financer une presse «modérée», en opposition à celle du groupe Pierre Mas, alors foncièrement affiliée à la politique française.

La mémoire de Zellidja conservée par ses enfants

En 1957 à Dordives (France), Jean Walter se rendait au restaurant où il déjeunait une fois par semaine, lorsqu’il fut renversé par une voiture. Son épouse tint à le conduire elle-même à l’hôpital de Montargis, avec l’aide de son amant médecin. Arrivé aux urgences, Jean Walter était déjà mort. Son beau-frère, Jean Lacaze, fut placé à la tête de la mine de Zellidja.

L’effondrement du cours des matières premières dans les années 1970, mais également «une gestion économique un peu négligée», selon les acteurs associatifs locaux, entrainèrent un arrêt de l’exploitation. Par conséquent, tout un village fut privé de son activité principale. Les anciens habitants, déplacés depuis le temps, évoquèrent la nostalgie de cette époque où les gisements miniers rendaient possible une source de revenu et un emploi stable à tous. Le village se rétrécit et compta tellement peu de population qu’il aurait été rattaché administrativement à Touissit, commune voisine.

Du tissu social essentiellement ouvrier naquirent des enfants, dans ce village communément appelé «Zellidja». Beaucoup émigrèrent, mais d’autres restèrent, créant des ponts pour maintenir une certaine cohésion sociale entre les natifs de la région. Ce fut l’exemple de l’Association des enfants de Zellidja, axée sur le sociale et basée à Paris ainsi qu’à Sidi Boubker. Précédemment contacté par Yabiladi, Aziz Lamrani qui la présida avant de devenir conseiller souligne que cette structure contribue considérablement à venir en aide aux écoliers et au femmes du village, avec l’appui des natifs installés en France.

«Sur place, nous avons même un centre social, avec une boulangerie solidaire qui emploie trois à quatre filles et qui mène plusieurs actions dans le village», nous confia fièrement l’associatif, ajoutant que son organisation fournissait par exemple des pains au chocolat tous les matins aux enfants et aux écoliers, et proposait aux femmes des cours d’alphabétisation ou encore des formations en couture. Les natifs de Zellidja perpétuèrent les solidarités de cette ville minière qu’ils connurent tout petits.


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