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Toumliline, le monastère qui marqua une génération d’intellectuels et de décideurs

Au cœur du Moyen-Atlas, un monastère bénédictin vit le jour en octobre 1952, à cinq kilomètres d’Azrou. Au fil des ans, le lieu devint une véritable maison pour les enfants de la région, qui étaient nourris, logés et suivaient un apprentissage jusqu’à leur départ pour les études supérieures.

Il s’agit de Toumliline, signifiant «pierres blanches» en amazighe, qui ouvrit ses portes également aux lecteurs, chercheurs et étudiants désireux de consulter sa bibliothèque – l’une des plus importantes du Maroc de l’époque – ou encore regarder un film dans son espace cinéma. Les moines y donnaient également des cours de langues, de philosophie ou proposaient encore une formation professionnelle.

Plus qu’une maison d’éducation et de formation des enfants, orphelins, issus de milieux pauvres ou bénéficiaires externes, Toumliline mettait à la disposition de tous un dispensaire équipé. Il fut également un lieu de rencontres rassemblant les croyants de différentes confessions, mais aussi des résistants de l’Armée de libération marocaine, auxquels les moines étaient proches.

Une formation de l’esprit et une éducation à la mixité sociale

Toumliline devint ainsi un «carrefour durant les mois d’été pour tous ceux, des quatre coins du monde, que hante le souci d’une action commune, d’une confrontation des idées, d’une mutuelle et sans cesse plus profonde compréhension des hommes», comme le décrivit Marie-Rose Mayeux, dans «Cours internationaux d’été de Toumliline : 1956-1957-1958-1959».

Dans ce sens, le documentaire «Les cloches de Toumliline» du réalisateur Hamid Derrouich, suivit les traces de la naissance de ce monastère et de la centralité qu’il occupa dans la région d’Azrou, devenant une véritable institution où furent formées des élites issues de milieux populaires. Plusieurs parmi eux témoignèrent de cette marque que Toumliline laissa à jamais dans leur vie.

Ce fut dans ce lieu que l’anthropologue marocain Abdellah Hammoudi développa son engouement pour la philosophie, où la diplomate Aïcha Belarbi bénéficia de camps d’estivage, où Hassan Alaoui, directeur de publication de Maroc Diplomatique, découvrit sa passion pour le journalisme, et où l’universitaire Jilali Saïb consacra de grandes parties de ses journées à la lecture. Là-bas, des enfants en situation de rue furent également recueilli, recevant une formation solide pour devenir ensuite cadre des Forces armées royales (FAR) par exemple.

«La proximité de Fez et de son Université coranique, la célèbre Qaraouyine, l’annuel pèlerinage des Jeunes chrétiens – et des moins jeunes –, la messe du lundi de Pentecôte, font de ‘Toum’ un haut lieu du Maroc», décrivit de son côté Marie-Rose Mayeux, évoquant la situation qui fit de Toumliline un espace œcuménique du rayonnement du savoir.

«Les ‘hauts-lieux’ musulmans ne manquent pas sur cette terre des confréries (…) Le paradoxe de Toumliline est d’être devenu un ‘haut-lieu’ pour tous ceux qui cohabitent dans l’Empire fortuné – pour ceux même qui ont franchi les océans pour assister aux Cours Internationaux d’Eté.»

Marie-Rose Mayeux

Les «Rencontres internationales de Toumliline»

Cette mission de promotion du savoir et de la formation pour tous, en plus de l’adoption discrète des revendications marocaines d’indépendance par le personnel du monastère, eut un écho international. Cependant, au lendemain de l’Indépendance (1956), ce travail se renforça avec la naissance des «Rencontres internationales».

De 1956 à 1968, le lieu accueillit en effet une série de débats et de conférences. Les participants venaient de différentes régions du Maroc et d’autres pays d’Afrique, du monde arabe, d’Asie, d’Europe et d’Amérique. Le premier cycle de ces rencontres se tint sous l’égide du roi Mohammed V. La session de 1957, elle, fut présidée par Hassan II, alors prince héritier, en présence de la princesse Lalla Aïcha. «Toumliline accueillit une expérience qui témoigna de la possibilité d’ouvrir à nouveau des espaces de dialogue sur les affaires de la cité et du citoyen à portée universelle», nota la même source.

Entretien avec le père Gilbert, un des premiers moines du monastère. / Ph. Nicolas Michel

«Ces rencontres sont nées de circonstances assez fortuites», souligna pour sa part Marie-Rose Mayeux. «Dès 1955, une quarantaine d’étudiants venus d’horizons divers : théologiens de la Qaraouyine, lycéens et collégiens de toutes les villes du Maroc, membres de l’Université de France, se réunirent au monastère pour approfondir certaines questions qui leur semblaient mériter une commune attention», écrivit la chercheuse.

A cet effet, il fallut imaginer un cadre dédié, à travers des conférences portant sur différents thèmes, de la littérature à l’astronomie, en passant par les arts, l’histoire et la philosophie. C’est ainsi que naquirent ces rencontres internationales, qui regroupèrent lors de leur première édition 120 sessionnaires venus de 12 pays pour participer à 52 conférences, ce qui fit une partie importante du succès national de Toumliline.

La deuxième édition fut marquée par la participation de 26 Etats et de 200 chercheurs venus de ces pays. Le succès grandit, jusqu’en 1958 où l’organisation fur modifiée, avec la participation de 13 pays et de 175 sessionnaires. Le nombre de conférences fut diminué et des séminaires de travail virent le jour, donnant lieu à un contact plus étroit entre les étudiants et les conférenciers.

«Du 21 au 31 juillet, la session revêtit un caractère inhabituel puisque, roulant sur ´le problème communal’, elle s’adressait non plus à des étudiants mais à des spécialistes des questions communales ou à des personnalités susceptibles de s’y intéresser : élus, experts de l’ONU ou de l’UNESCO, fonctionnaires, journalistes, économistes.»

Marie-Rose Mayeux

D’autres sessions furent consacrées au «statut personnel en pays musulman et son évolution», la question du choix entre l’enseignement originel et l’éducation moderne, ou encore les questions de coexistence entre les cultures et les religions.

Les vies multiples de Toumliline

Au fur et à mesure de leur tenue, les «Rencontres internationales de Toumliline» s’adaptèrent aux questions saillantes rattachées aux débats publics nationaux et internationaux. Le rendez-vous, comme toutes les fonctions à caractère social du monastère, fut maintenu jusqu’à la fermeture du lieu en 1968.

La chapelle de Toumliline à Azrou / Ph. Nicolas MichelLa chapelle de Toumliline à Azrou / Ph. Nicolas Michel

Plusieurs explications furent données par les chercheurs à cette décision, dont la faiblesse de la présence chrétienne au Maroc depuis son indépendance, l’institutionnalisation des relation internationales par le gouvernement marocain, ou encore des raisons politiques moins apparentes, telles que certaines pressions exercées sur des préposés chrétiens présents au Maroc.

Ce qui resta sûr, c’est que le retrait de la gestion de Toumliline au personnel de l’Eglise était inéluctable, surtout au vu des contraintes financières auxquelles le lieu fut confronté, dans les dernières années de sa vie.

«Ce que nous savons, c’est que les tentatives du père Denis Martin [à Toumliline] pour trouver des fonds afin de garder en vie le monastère ont été vaines.»

Hamid Derrouich

Ainsi Toumliline fut-elle convertie en centre de formation professionnelle pendant quelques années, avant sa fermeture définitive. Son fond documentaire, lui, ne bénéficia pas à la reprise d’une activité éducative au profit de la région. Ces dernières années, des initiatives furent lancées pour garder la mémoire de ce lieu, notamment par la FMA qui porta le projet «Réinventer Toumliline» à travers la centralisation de photos et de publications à son sujet.

«L’objectif est d’ouvrir, dans un lieu chargé d’histoire, un espace nouveau, s’inspirant d’une démarche antérieure positive et destiné à contribuer à la mise en place et à la déclinaison de l’actuelle stratégie d’ouverture, articulée entre autres autour des problématiques contemporaines de la citoyenneté, de la culture, de l’éducation et de l’environnement».

Fondation mémoires pour l’avenir

Au-delà de la transmission de la mémoire, il s’agit de témoigner de la diversité et de la mixité culturelle qui fut partie de l’ADN de la société marocaine. Autant de valeur qui ne furent pas «de l’ordre de la posture» mais bien une composante historique, que la FMA veut remettre en lumière.


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