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William Eddy, le missionnaire qui éliminait les espions de l’Axe à Tanger

Pendant la Seconde guerre mondiale (1939 – 1945), les Etats-Unis savaient que «les missionnaires étaient les meilleurs espions». William Alfred Eddy était donc le profil idéal, à l’époque où les Allemands manifestaient leur grand intérêt pour l’Afrique du Nord. Ce natif de Sidon avait servi dans la marine pendant la Grande guerre (1914 – 1918). Dans le temps, il avait déjà été recruté par les Américains pour identifier les espions étrangers dans la ville de Tanger.

Né en 1896 à Sidon (Saïda), troisième grande ville du Liban, Willian Eddy parlait couramment l’arabe. Il étudia les lettres et enseigna la langue anglaise, à la fin des années 1930 et au début des années 1940. Il fut également ministre américain des Affaires étrangères en Arabie saoudite et consultant de la Compagnie pétrolière arabo-américaine (ARAMCO).

Ainsi, il eut un rôle clé dans le développement des relations des Etats-Unis avec le royaume wahhabite et les autres pays du Moyen-Orient, d’autant qu’il connaissait bien cette région pour y avoir grandi.

En effet, ses parents étaient des missionnaires presbytériens américains qui vivaient au Moyen-Orient. Sur leurs traces, il devint missionnaire à son tour, «partageant l’évangile chrétien avec des étudiants du monde musulman», écrivit le Time Magazine dans un article consacré à ses multiples missions.

Mais dans les années 1940, le missionnaire décida de rejoindre les rangs de la US army, dans la guerre des Alliés contre les nazis. En effet, il fut recruté pour «participer au lancement du premier bureau de renseignement extérieur des Etats-Unis, l’Office of Strategic Services (OSS)», et pour s’acquitter d’autres missions «secrètes» au Maroc.

De missionnaire à espion à Tanger

Vétéran décoré au moins dix fois de médailles et légions honorifiques au sein de l’armée américaine, William Eddy fut nommé en décembre 1941 «attaché naval à Tanger», selon Andrew Bouchanan dans son livre «La grande stratégie américaine en Méditerranée pendant la Seconde Guerre mondiale», (Cambridge University Press, 2014).

Mais la vraie mission d’Eddy au Maroc était bien plus sensible et n’avait pratiquement pas de rapport avec l’armée navale américaine. «La véritable mission d’Eddy (…) était de coordonner des opérations secrètes à travers le Maghreb», nota la même source.

Selon le Time, Eddy aurait également été recruté pour «mettre à profit sa connaissance du Coran, ses années de pratique de la langue arabe et ses partenariats avec les dirigeants musulmans pour préparer le terrain à l’opération Torch», également connue sous le nom de Débarquement américain à Casablanca.

A Tanger, l’ancien colonel côtoya des espions et des agents des pays de l’Axe (Allemagne, Italie et Japon). En guerre contre leurs hommes et au service des Alliés, Eddy était même l’instigateur d’«attentats à la voiture piégée, de sabotages, de séries d’assassinats et d’intimidations», rappela la plateforme AramcoExpats.

Ainsi, Eddy s’avéra être une recrue réellement féroce, qui «monta des complots pour tuer tous les membres des commissions d’armistice allemande et italienne au Maroc et en Algérie au moment du débarquement», rapporta le Time. Il avait même déjà dit à la tête de l’OSS qui avait dans sa ligne de mire «des douzaines de personnes» qu’il «avait ordonné l’exécution de tous les agents connus de nationalité allemande et italienne».

Alors qu’il dirigeait les opérations de l’OSS en Afrique du Nord, Eddy «plongea littéralement dans le monde de l’espionnage, et des intrigues sexuelles, sous l’emprise des fantasmes orientalistes des Américains», écrivit Bouchanan. Et pour exécuter ses plans, le vétéran a recruté des hommes de main français, ajoute le Time.

Des missionnaires et des espions

Comme tous les autres missionnaires recrutés pour servir d’espions, William Eddy cherchait à justifier ses actes et ses activités secrètes par tous les moyens. Dans ses lettres à son épouse et à sa famille, il écrivit un jour qu’il «priait» pour que «nous traversions tous des jours meilleurs lorsque la miséricorde et la charité referont leur retour sur cette terre».

A l’époque, William Eddy disait qu’il pensait également à «honorer la mort et la résurrection du Seigneur et Sauveur : pas de films, pas de de relations sexuelles charnelles et pas d’alcool (…)». Mais entre-temps, il organisait secrètement l’assassinat d’agents allemand, japonais et italiens depuis le Maroc.

Sauf que William Eddy se trouvait face à un grand paradoxe. Sa qualité de missionnaire et les valeurs qu’il devait prôner en tant que telles était totalement opposées à l’ensemble de ses véritables activités et de sa mission secrète en Afrique du Nord. Dans l’une de ses lettres, il admettait à ce propos qu’il méritait d’«aller en enfer à [sa] mort».

«La question reste ouverte et sans réponse, sur le fait de savoir si un agent mandaté par l’OSS ou par la CIA pourrait redevenir un jour quelqu’un d’honorable», écrivit-il dans une autre lettre.

A la fin de sa mission dans le pays, William Eddy s’en vit confier d’autres, ailleurs. Ainsi, il continua de voyager, officiellement en tant que missionnaire, officieusement pour continuer à traquer les espions allemands et italien là où ils étaient. Il vécut ainsi jusqu’à ce qu’il retourna au Liban, où il passa les derniers jours de sa vie. Décédé en 1962, il fut inhumé dans le cimetière chrétien de sa ville natale, Sidon.


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