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“L’actualité politique est éphémère, l’art reste intemporel”

TelQuel : D’où vous est venue l’idée de « Jours d’été » ? Comment était le processus de création du film ? Qu’est-ce qui est venu en premier ?

En premier, il y avait plusieurs désirs si je peux dire. Alors, y a ce défi de dire moi qui aime énormément filmer les grands espaces, la nature, etc., me donner le défi comme ça de tourner un film totalement en intérieur. Profondément, je n’aime pas beaucoup tourner dans les intérieurs, je préfère tourner à l’extérieur. Et donc je me suis donné comme un défi de dire : allez, je vais être presque contre moi-même sur ce film-là, contre ce que j’aime en fait. Et c’est vrai que je travaille sur ce qui est de moins fort chez moi, presque. Comment arriver à filmer uniquement à l’intérieur d’une maison ? De créer, un monde, une atmosphère, créer de la rythmique à l’intérieur d’un espace fermé. C’était un défi qui m’intéressait beaucoup et qui me poussait comme ça a peut-être aussi me renouveler et ne pas rester dans ma zone de confort. Et puis j’ai fait 10 années de théâtre et j’aime beaucoup Anton Tchekhov. La Cerisaie est l’une des plus belles pièces de théâtre au monde. J’ai toujours eu envie de l’adapter et j’avais surtout envie de donner aux comédiens marocains la possibilité de jouer des rôles dans le répertoire mondial. C’est une pièce de théâtre qui a été jouée par des générations de comédiens, les plus grands acteurs russes et les plus grands acteurs européens et je pense que nous n’avons pas aujourd’hui à rougir dans notre interprétation d’une œuvre colossale comme celle-ci. Et puis c’était un énorme plaisir aussi le travail avec les acteurs.

Vous avez parlé du décor, cette somptueuse villa de Tanger est un peu un personnage à part entière dans le film. Pourquoi avoir fait le choix du huis clos ?

Les villes dans mes films ont toujours été des personnages. Casablanca dans WWW. What A Wonderful World, Tétouan dans Mort à vendre, j’aime beaucoup révéler l’âme d’une ville à travers mes films. Et là, le défi, c’était de révéler l’âme de cette maison. Comment la filmer ? Comment lui donner une présence, une âme ? Elle est le sujet du film. Ça aussi, c’était important pour moi. Avant de commencer à tourner, j’ai passé beaucoup de temps tout seul dans cette villa, dans ce domaine. Je venais à des moments différents de la journée pour voir la lumière du jour, celle de la nuit. Et le découpage du film, je l’ai fait à partir de ces observations…

Le film raconte l’histoire d’une famille criblée de dettes qui s’accroche à un passé qu’on sent qu’elle ne veut pas oublier. Dans la majeure partie du film, vous plongez vos personnages dans le passé. Êtes-vous un nostalgique de nature ?

Oui, je le reconnais. C’est vrai. J’ai un rapport comme ça avec le temps qui passe et Tchekhov aborde beaucoup le sujet dans ses écrits. C’est très mélancolique, c’est très touchant, c’est très beau aussi, ce que fait le temps sur les gens, sur les choses, sur les êtres, sur les lieux, sur le rapport entre les gens, etc. C’est quelque chose qui me touche beaucoup. Et c’est important que le cinéma arrive aussi à capter cela parce que la question du temps, dans le cinéma est une question centrale. Jours d’été, c’est un peu la rencontre entre tout ça, c’est un film sur le temps qui passe dans cette maison et le temps qui passe aussi dans la vie de ces gens, le fait qu’ils refusent profondément d’accepter que les temps aient changé, qu’on a basculé dans un autre monde. Une transition qu’ils refusent, et d’ailleurs, ils vont payer le prix très cher pour ce très bel aveuglement. En fait, on aimerait beaucoup quand le film démarre savoir qui a tort et qui a raison. Ce qui est beau avec Tchekhov, c’est que personne n’est méchant dans cette histoire et personne n’est innocent non plus. Tous les personnages sont complexes.

Voilà. D’une part, on a ceux qui s’aveuglent volontairement. Et puis il y a le personnage que joue Mouhcine Malzi, il était peut-être sincère lui aussi, mais on ne sait pas, quand il leur proposait de les aider, moi, je pense qu’il était totalement sincère. Par exemple ça, on s’est posé beaucoup la question avec le comédien : est-ce qu’il est parti en sachant qu’il allait acheter la maison ? Est-ce qu’il voulait vraiment acheter la maison ? Où est-ce que c’est une idée qui est arrivée au moment où il y a eu les enchères et qu’il voyait lui-même cette maison partir et que la seule manière de ne pas la perdre, c’était de l’acheter ? Cette complexité justement des personnages est très belle dans le film et dans plusieurs autres films que j’ai réalisés.

La question de l’engagement politique ou pas du réalisateur à travers ses films a suscité une petite polémique entre certains membres du jury lors de leur première conférence de presse ici à Marrakech. Quel est votre avis sur cette question ?

Je pense qu’il ne faudrait pas que ce soit quelque chose d’imposé. Je pense qu’on est dans la politique qu’on le veuille ou pas, quelque part. Dans le bon sens du terme, pas dans la politique politicienne. Parce que parler de politique, c’est aussi parler de la philosophie quelque part. Mais, ce que je n’aime pas, c’est quand c’est l’étendard politique, c’est de dire attention, attention, regardez-moi comment je suis engagé. Je pense que ça, ça ne fait pas les grandes œuvres. Les grandes œuvres ? Pourquoi les œuvres de Tchekhov sont encore universelles et intemporelles ? C’est parce que je pense que l’art y est au-delà de tout. Il faut que l’art prenne le dessus. Et c’est comme ça que l’art peut être visionnaire aussi et peut capter des choses au-delà de l’actualité. Il ne faut pas se dire quel est le sujet qui fait l’actualité en ce moment ? Allez, je vais en faire un film. Par exemple, la question de la femme me tient à cœur avec le mouvement #Metoo. Mais il ne faut pas prendre la vague de manière, je dirais volontariste et carrément presque arriviste. Il faut que l’art transcende, il faut que l’art reste. Et c’est ça qui permet, je me répète les œuvres restent intemporelles. Finalement, l’art n’est pas éphémère. C’est l’actualité politique qui est éphémère, mais l’art reste intemporel.

Que pensez-vous du système de subventions mis en place au Maroc ? Y aurait-il d’autres moyens pour appuyer la production cinématographique nationale ?

Figurez-vous « Jours d’été » est un bon exemple ? C’est un film où on a décidé avec la production et Rajaa Hassani et toute son équipe de Medprod de ne pas demander de fonds. Sur ce projet-là, particulièrement, je ne voulais pas passer deux ans à trois ans à aller chercher tous les fonds, etc., au Maroc ou ailleurs. Et donc on ne l’a pas fait. Et à mon avis, c’est l’arrivée de gens qui croient en le cinéma et qui investissent de l’argent propre de leurs boîtes de production dans le cinéma qui offre un nouveau chemin possible pour appuyer la production cinématographique nationale. J’espère aujourd’hui que la production peut s’auto suffire grâce aux entrées du public, grâce à la distribution des films, grâce aux ventes, grâce à la distribution à l’internationale.

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