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[L’Heure Sciences Po] Etat, Armée et Sécurité en Afrique: les termes d’une équation.

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La conflictualité sur le continent africain est en constante augmentation depuis les années 90 suite à la fin de la guerre froide et l’avènement de formes renouvelées de crises et de tensions dans un espace mondial globalisé ou l’usage de la force et l’affirmation de volonté de puissance forment plus que jamais la trame des relations internationales.

Ainsi à « la décennie ensanglanté» des affrontements en Afrique centrale (RDC- génocide rwandais, RCA), en Afrique de l’Ouest (côte d’ivoire, Libéria et Nigéria) et dans la corne de l’Afrique (Ethiopie, Soudan, Erythrée, Somalie) ont succédé les bouleversements des années 2000, avec la guerre contre le terrorisme dans ses dynamiques d’expansion transnationale sahélo-saharienne et la multiplication de coups d’état frappant brutalement des sociétés fragilisées par les conséquences de la pression démographique, l’accélération de la dégradation environnementale des territoires- en particulier les espaces ruraux, les pénuries de ressources naturelles et alimentaires, et l’accroissement considérable des inégalités socio- économiques.

Il résulte de ces tendances convergentes un risque accru d’escalade et de montée aux extrêmes entre Etats, dans le cadre de conflits interétatiques et trans-étatiques. Et de telles évolutions sont de nature à rendre les rapports entre Etats africains plus instables, en abaissant les seuils de déclenchement d’une confrontation, favorisant ainsi les ruptures en incitant à rechercher systématiquement l’initiative d’une première agression.  L’étude de ces nouvelles formes de violence contemporaines conduit à la conclusion que les moyens militaires ne peuvent seuls imposer une paix qui parait par ailleurs aujourd’hui quasi- insaisissable par l’extension du domaine d’une violence incontrôlée, récurrente aux crises socio-économiques, dont les dynamiques, la plasticité et parfois les acteurs semblent échapper à toute forme d’anticipation.

En effet, guerres civiles, guerres privées, guerres irrégulières ne reposent plus seulement aujourd’hui sur l’emploi et dans l’affrontement de forces conventionnelles, mais sur l’expression plus ou moins coordonnée, et plus ou moins organisée de violences sociales de toute nature. Ces violences ont la caractéristique d’être manipulées par de nouveaux acteurs infra-étatiques, d’être souvent liées à des mouvements sociaux et d’exprimer la plupart du temps la faiblesse institutionnelle des États au sein desquels elles s’exercent. Par-là, le conflit se déplace des États vers les sociétés et les objectifs géopolitiques de toutes formes d’intervention militaire, ou d’opération de restauration et de maintien de la paix sont confrontés aux logiques locales et régionales mettant aux prises les populations avec les armées, ou obligeant celles-ci à évoluer au milieu de celles-là.

La multiplication des coups d’état militaires ces dix dernières années en Afrique subsaharienne relève aussi de ces nouvelles formes de dérèglements socio-politiques, car le basculement dans la guerre irrégulière du fait des faiblesses militaires et d’un ennemi asymétrique, conduit à une augmentation de la durée de la guerre, donc de son coût, en même temps qu’à un affaiblissement politique et social, mais aussi matériel et moral de son adversaire régulier, qu’il relève de l’Etat et donc des armées nationales, mais aussi de forces de projections étrangères établies par des accords bilatéraux, multilatéraux ou sous mandats internationaux. Ainsi, s’il apparaît que l’action militaire se montre impuissante à obtenir un résultat déterminant dans la lutte contre un ennemi asymétrique, c’est essentiellement pour des raisons qui engagent le domaine politique, dans le cadre global et non pas seulement sécuritaire de la résolution des crises et des conflits.

C’est donc dans ce champ qu’il convient d’agir par la mise en œuvre d’organisations et de capacités militaires de lutte adaptés aux caractéristiques des conflits irréguliers, afin de vaincre l’adversaire sur son territoire stratégique. Mais il s’agit aussi de rendre aux armées nationales leur caractère fondamental d’Institution au service de l’Etat et de la Nation, portant dans sa forme wébérienne, le légitime exercice de la violence dans le cadre de la Loi et des Institutions légales, la reconnaissance des populations et celle de la communauté internationale, dans le respect des règles et conventions internationales (je pense ici au Droit des conflits armés). Par ailleurs, nombre de longs conflits en Afrique subsaharienne s’expliquent par l’intérêt que certains protagonistes extérieurs ont à faire durer l’affrontement. Les armées s’imposent ainsi comme des acteurs incontournables de la stabilité politique de sociétés en crise et d’« ultima ratio » face à l’insécurité locale et régionale à laquelle la communauté internationale échoue ou tarde à apporter une réponse efficace et durable.

Force est de constater qu’il ne peut y avoir de solution que globale. Elle passe à mon sens tout d’abord par la nécessaire affirmation de la souveraineté des Etats africain et dans celle, essentielle de l’état de droit, dégagé des contraintes hégémoniques, géoéconomiques et géopolitiques des puissances internationales, pour agir en pleine et consciente indépendance. Seules les Institutions internationales et les Institutions régionales du continent sont en mesure d’y parvenir. Compte tenu de l’incapacité des Etats faibles à faire face aux différents enjeux sécuritaires socio-politiques et économiques de manière simultanée, l’aide internationale est cependant plus que jamais nécessaire pour renforcer les moyens et les capacités des armées africaines. Mais il faut être conscient que seuls des Etats forts sont en mesure d’assumer leurs responsabilités régaliennes : développement et prospérité à partager, justice et progrès social à développer, sécurité et protection des populations à assurer, viendront à bout du péril du terrorisme international et de ses officines continentales, lutteront efficacement contre toutes les formes de trafics et les réseaux de la criminalité internationale, dépasseront les communautarismes trop souvent désignés comme l’incontournable fatalité d’une Afrique immuable dans ses contradictions.

A ce titre, je crois donc pour ma part aux armées Africaines et je distingue dans leurs difficultés présentes – souvent le fait de mécanismes extérieurs aux intérêts opposés- la volonté de se reconnaitre et de se réaliser dans un état de droit, qu’il s’agit de soutenir et de pérenniser. Comme Abraham Lincoln affirmait en une maxime le concept de Démocratie : du peuple, par le peuple pour le peuple, il s’agit de renforcer sur le continent les Etats de droit souverains et indépendants et des armées nationales dévouées au service de l’état selon les volontés des Africains, pour les Africains, par les Africains. A cet effet, la mise en place de l’architecture de paix et de sécurité pour l’Afrique (APSA) au travers de la création du Conseil de paix et de sécurité (CPS), a permis de réaliser un ensemble d’organisations et de normes permettant la prévention, la gestion et le règlement des conflits sur le continent. Elle privilégie le rôle de l’UA sur le continent et la recherche de solutions africaines, en partenariat avec d’autres acteurs et bailleurs de fonds ou fournisseurs de moyens, en particulier les Nations Unies, dont le conseil de sécurité chargé de la sécurité internationale et du maintien de la Paix.

L’APSA a pour responsabilité de mettre en œuvre une Force Africaine d’Attente (FAA) constituée de contingents multinationaux, stationnés dans leurs pays, aux capacités complémentaires portant sur l’ensemble des domaines d’opérations de la prévention, du contrôle, voire de l’aide humanitaire au déploiement de forces d’intervention pour rétablir la paix. L’UA a par ailleurs marqué un changement radical de doctrine en consacrant le droit de l’Union d’intervenir dans un État membre en cas de crime de guerre, de génocide et de crime contre l’humanité. Au lieu de critiquer, de remettre en cause et de dévaloriser de manière systématique le dispositif africain, il faut plutôt en saisir les acquis et contribuer à son renforcement et sa consolidation. Les actions combinées de l’ONU, de l’UA et des CER (Communautés économiques régionales) africaines forment la trame à développer de cette architecture de Paix pour l’Afrique réalisée et mise en œuvre pour les crises africaines par les Etats africains. Cependant à la lumière des crises de la République centre africaine et de la guerre au Mali depuis 2013 se posent à nouveau les problématiques du financement, des moyens à mettre en place, et de la durée des interventions pour les différents acteurs : Etats africains de la région et du continent, acteurs internationaux (dans le cas du Mali : ONU- UE- France) et celles des structures opérationnelles (cas du G5 sahel) pour leur mise en œuvre opérationnelle et la conduite dédiée des opérations, renouvelant ainsi la nécessité d’une approche globale qui ne peut pas se différencier de celle, essentielle, du renforcement des capacités des Etats africains à assurer l’ensemble de leurs missions régaliennes en œuvrant dans un esprit de coopération partagé.

Cette volonté existe. Preuve en est l’annonce faites le 23 novembre 2022 dans la capitale ghanéenne, par les chefs d’état à l’origine de l’initiative d’Accra lancée en 2017 (Burkina Faso, Bénin, Côte d’ivoire, Niger, Mali, Ghana et Togo) , visant à intensifier les efforts contre les menaces des groupes djihadistes, par la création d’une force multinationale conjointe de 10.000 hommes qui sera basée à Tamalé (Ghana) dans le cadre d’un soutien mutuel, du partage du renseignement et d’opérations conjointes dont une partie du financement doit être réalisée sur les fonds propres des participants. La CEDEAO a annoncé par ailleurs être disposée à fournir tout ou partie des 550 millions de dollars US, nécessaires à la mise en place de cette Task Force Ouest Africaine. Ainsi et pour conclure cette mise en perspectives des armées africaines dans une situation internationale et continentale contemporaine ponctuée par le développement des crises, les ruptures et renouvellement d’alliances et de relations stratégiques, comptant par ailleurs 5 coups d’état militaire ces deux dernières années en Afrique subsaharienne, il apparait que: les opérations de maintien de la paix et les interventions militaires mêmes les plus efficaces, ne peuvent remplacer la politique.

D’où la nécessité préalable de lutter contre toutes les formes de gouvernement non démocratique et, d’appliquer les principes de l’acte constitutif de l’UA (article 4) rappelant le fondement même de l’antique règle impériale de la Pax Romana : Arma cedant togae (les armes cèdent à la toge) La paix en Afrique nous concerne tous, et pas seulement pour des intérêts particuliers, à trop l’oublier nous participons au malheur du monde.

Michel Boyer / Professeur associé près de Sciences Po Rabat – Université internationale de Rabat

Présentation de l’auteur

Docteur en Histoire des relations internationales, spécialisé dans l’analyse des crises et des conflits – expert près de la CPI – en droit humanitaire international et droit des conflits armés, le professeur Michel Boyer a enseigné à l’Ecole de guerre et l’Ecole d’état-major françaises et, de 2007 à 2009, près du Collège Royal de l’Enseignement Militaire Supérieur des Forces Armées Royales. Professeur associé près de l’Institut d’études politiques de l’Université internationale de Rabat, chercheur affilié de 2013 à 2018 au Centre d’études des mondes africains ; il participe par ailleurs en qualité d’enseignant-chercheur aux travaux du CGS (Center for Global Studies) de l’UIR, en relation avec différentes Universités étrangères et Institutions internationales d’études et d’analyse géopolitique.

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