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Ahmed Azirar:L’économie nationale reste résiliente mais jusqu’à quand?

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Pour Ahmed Azirar, «ceux qui croient que le cycle inflationniste va s’infléchir très vite risquent d’être déçus».

Dans cet entretien, Ahmed Azirar, économiste, fondateur de l’Association marocaine des économistes d’entreprise, considère que l’économie nationale reste résiliente, mais cette résilience sera mise à rude épreuve de l’évolution de la conjoncture mondiale et interne et des facteurs qui sont à l’origine de la crise multiforme. Il estime que le cycle inflationniste risque de durer des années et qu’il est exacerbé par des pratiques déloyales qui touchent tous les produits et services nécessaires sans distinction. Face à la montée du dollar et à la faiblesse de l’euro, l’économiste préconise de porter une attention particulière à la valeur du dirham et aux réserves de change, à rationaliser les importations et le secteur public. Il note aussi que pour la souveraineté alimentaire, une refonte des pratiques est nécessaire, à commencer par la rétention des eaux pluviales perdues, l’activation de l’efficience hydrique et énergétique. Pour la soutenabilité de la dette, Ahmed Azirar souligne qu’elle dépend de la relance de la machine économique

Le Matin : L’économie nationale fait face, au même titre que l’économie mondiale, à la succession de deux chocs, la crise pandémique et le conflit russo-ukrainien. À votre avis, de quelle ampleur sera l’impact sur l’économie marocaine et est-ce que celle-ci dispose des ressources nécessaires pour absorber ces chocs ?

Ahmed Azirar : Les effets négatifs des chocs successifs sont multiples et fortement impactants. Le «carré macroéconomique» est fortement impacté. La croissance est en berne. L’inflation est au plus haut. Les déficits jumelés exacerbés. Le chômage et la pauvreté en aggravation. Et la dette publique et le besoin de financement en hausse. Bien entendu, les effets sociaux sont durs. Pour l’instant, et tout compte fait, l’économie reste résiliente. Jusqu’à quand ? Tout dépend de l’évolution de la conjoncture mondiale et interne et des facteurs qui sont à l’origine de la crise multiforme : pandémie, guerre, inflation mondiale, récession mondiale, perturbations des marchés et des chaînes logistiques, politiques monétaires, climat… Ce qui est sûr, c’est que socialement les couches moyennes et pauvres ainsi que les retraités accusent le coup. D’autant que les hausses des prix sont exacerbées par des pratiques déloyales et touchent tous les produits et services nécessaires sans distinction, y compris les intrants industriels. A-t-on les ressources suffisantes pour faire face à tout ce faisceau de contraintes ? Probablement peu. C’est pourquoi il faut prioriser, agir mieux et communiquer juste : Cibler les urgences, entreprendre des actions efficientes et expliquer. Et puis revoir les pratiques en matière de dépenses publiques et de leur gouvernance. Sans hésiter à taper aux portes des profiteurs des hausses en leur demandant de mettre la main à la poche. Des pays voisins comme l’Espagne ont pris des mesures qui méritent d’être étudiées. À conjoncture exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La stabilité du pays est un impondérable. Les appels aux revendications, surtout en ce moment précis, sont à éviter. Le parlement doit jouer son rôle, majorité et opposition.

Cet impact serait d’autant plus dur que l’Europe, notre principal partenaire, subit de plein fouet la crise en lien notamment avec la guerre en Ukraine et ses implications sur l’approvisionnement du vieux continent en gaz. Le Maroc doit-il s’attendre à un impact négatif lourd sur ses échanges avec l’Europe et sur son économie globalement ?

Oui, l’Europe est en grave crise et sa monnaie accuse le coup. C’est la grande perdante de la guerre en Ukraine et sa crise risque de durer. Par ricochet, nous subirons de multiples effets économiques, financiers et sociaux. La demande européenne, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), les IDE (Investissements directs étrangers), le tourisme… risquent gros. Il y a en contrepartie des opportunités en termes de colocalisations et d’effet de la baisse de l’euro.

Justement, la guerre en Ukraine a affaibli l’euro en faveur du dollar. Quel en sera l’impact sur le dirham et le Maroc ?

Le dollar confirme son rôle de monnaie de réserve en ces temps de fortes turbulences. Le dirham subit l’effet dollar qui impactera tant la facture des importations que le coût de la dette. En revanche, nos exportations en phosphates et engrais, facturées en dollar, en profitent. Quant à l’euro faible, il y a aussi pour le Maroc du positif et du négatif. Les exportations gagneront. Cependant, le tourisme et les transferts des MRE vont s’en ressentir. Étant donné les fortes liaisons de notre économie à l’Europe, nous risquons gros, en général. Une attention particulière doit être portée à la valeur du dirham et à nos réserves de change. Les marges de manœuvre sont étroites. C’est pourquoi il faut gérer au plus fin, rationaliser les importations et le secteur public. Le rôle du secteur bancaire est crucial.

Une des conséquences de ce contexte mondial mouvementé est la montée de l’inflation. À quel horizon ce cycle d’accélération de l’inflation au Maroc pourrait-il s’estomper ou s’inverser, à votre avis ? Et qu’est-ce que devra faire le Maroc pour juguler ou atténuer cette inflation ?

Le nouveau cycle inflationniste s’est déclaré avec la Covid et s’accélère depuis. Il risque de durer quelques années même si les efforts mondiaux sont conjugués pour en neutraliser les origines. Ceux qui croient que le cycle inflationniste va s’infléchir très vire risquent d’être déçus. La guerre et le dérèglement climatique sont, à titre, d’exemple des facteurs fortement influents. Pour notre cas, il y a des actions d’urgence et d’autres plus structurelles à entreprendre. C’est le cas de l’harmonisation des politiques économiques et le soutien au pouvoir d’achat. Plus profondément, il faut tout faire pour que la spirale inflationniste ne s’emballe pas. Les courroies intérieures doivent être neutralisées comme la spéculation, les marges opaques pratiquées par certains secteurs, le fonctionnement des marchés truffés d’intermédiaires voraces, les entraves à la concurrence…

Pour faire face aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et la pénurie des produits de base, le Maroc a opté pour la consolidation des bases d’une souveraineté alimentaire. Le pays a-t-il les moyens de ses ambitions à cet égard et comment doit-il s’y prendre ?

La souveraineté alimentaire est une priorité. L’IMIS (Institut Marocain d’Intelligence Stratégique) publiera incessamment un Policy Paper à ce propos qui insiste sur une vision multifactorielle basée sur la sécurité, l’intégration, la durabilité et l’innovation-digitalisation. L’indépendance alimentaire exige le prix qu’il faut. Dans la facture exigible, l’eau et l’énergie, deux intrants vitaux liés, sont les plus importants et les plus coûteux et exigent une poursuite structurée de l’action étatique. Le dessalement de l’eau de mer est un passage obligé, mais le nucléaire est pour ce faire une nécessité. Une refonte des pratiques est nécessaire, à commencer par la rétention des eaux pluviales perdues, l’activation de l’efficience hydrique et énergétique… Aussi, les structures agraires tardent-elles à être assainies.

Ce contexte de crise s’est également traduit par une montée de la dette publique globale qui devrait atteindre 83,6% du PIB en 2023, après 83,3% estimé en 2022 et 77,1% en moyenne en 2014-2021. Cet endettement est-il soutenable à votre avis ?

La soutenabilité de la dette va dépendre de la relance de la machine économique. La gouvernance publique est interpellée à tous les niveaux : établissements publics budgétivores et pléthoriques, entreprises publiques, achats administratifs… Il faut aussi suivre les taux d’intérêt mondiaux qui grimpent et qui impacteront les emprunts à taux variables. La question lancinante de la rentabilité réduite des investissements publics est à résoudre. La dette intérieure n’est pas à négliger non plus, tant elle pèse sur le Budget de l’État avec un retour faible. De manière plus générale, le financement du Trésor est à optimiser et le marché des capitaux à dynamiser.


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