EconomieLe Matin

Ce que recommande Bank Al-Maghrib pour accélérer la transition verte

​Le temps presse et les risques climatiques ne font que s’intensifier. Pour gagner sa bataille de la transition verte, le Maroc a tout intérêt à accélérer ses stratégies d’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables et de mobilisation des ressources hydriques non conventionnelles. En fluidifiant l’opérationnalisation de ces différentes feuilles de route, le Maroc pourra limiter les risques économiques et sociaux qui en découleraient et, partant, bétonner sa performance industrielle à la veille de l’entrée en vigueur de la première phase du mécanisme d’ajustement carbone de l’UE à partir de 2023. Il s’agit d’enjeux stratégiques que Bank Al-Maghrib a minutieusement analysés dans son rapport annuel 2021 remis fin juillet au Souverain.

Stress hydrique : des pertes de PIB de près de 60%

Le Maroc est fortement exposé au phénomène du réchauffement climatique et aux risques économiques et sociaux que cela implique. Selon les données de Bank Al-Maghrib (BAM), contenues dans son rapport annuel 2021 remis fin juillet au Souverain, le pays a enregistré entre 1970 et 2020, une hausse tendancielle des températures de 0,21 °C en moyenne par décennie. De même, ses précipitations pluviométriques se sont inscrites dans un mouvement baissier de 4,2% par décennie. Face à cette situation, un changement de paradigme dans l’élaboration des politiques publiques s’impose. Pour la Banque centrale, une approche holistique et surtout ferme demeure nécessaire pour renforcer la prise en compte des exigences climatiques dans toute action publique ou privée. Dans la foulée de ces actions, le pays devrait augmenter ses investissements dans des infrastructures hydriques résilientes, afin de pouvoir réduire les pertes de PIB de près de 60% et atténuer les chocs sur la dette publique.

Pour les analystes de BAM, s’il est vrai que le Maroc dispose d’un potentiel important en ressources hydriques non conventionnelles, notamment le dessalement de l’eau de mer, les capacités de production de ces dernières restent encore faibles, limitées entre autres par le coût élevé de leur mobilisation. L’institut d’émission rappelle, par ailleurs, que le déficit hydrique du pays s’aggrave de manière préoccupante, accentué par la pression démographique et les besoins croissants des secteurs économiques notamment l’agriculture qui engloutit, à elle seule, près de 88% de la consommation nationale en eau. Un constat que confirme la Banque mondiale qui affirme dans ses différentes analyses que le Royaume fait partie des pays ayant le moins de ressources en eau par habitant avec un potentiel hydrique limité à 645 m³/habitant/an, bien en dessous du «seuil de pauvreté de l’eau» estimé à 1.000 m³ par personne et par an, et pourrait chuter d’ici 2050 à un niveau proche du «seuil de rareté extrême de l’eau» de 500 m³ par habitant.

Efficacité énergétique : un dispositif de suivi coûte que coûte

La Banque centrale recommande vivement la mise en place d’un dispositif de suivi de mise en œuvre des Stratégies nationales d’efficacité énergétique. Concrètement, il s’agit de décliner des objectifs sous forme d’indicateurs quantitatifs précis permettant d’évaluer les progrès et surtout d’apporter, en cas de besoin, les ajustements nécessaires aux politiques et aux choix opérés. Si BAM émet une telle recommandation, c’est qu’elle juge difficile, en l’absence de données détaillées et exhaustives, d’apprécier la contribution de ces politiques à l’amélioration de l’intensité énergétique du pays, et évaluer l’écart par rapport aux objectifs fixés.
Rappelons que le Royaume avait lancé en 2009 sa stratégie énergétique dans l’objectif d’atténuer sa dépendance à travers le développement de sources alternatives, notamment renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique. Les ambitions ainsi affichées à l’horizon 2030 tablent sur une part des sources renouvelables dans le mix électrique de 52%, en plus d’une économie d’énergie de 20%. Aux yeux de la Banque centrale, le concept d’efficacité énergétique reste «large et difficile» à cerner. Toutefois, souligne l’Institution, il existe plusieurs indicateurs qui permettent d’appréhender son évolution, en particulier l’intensité énergétique. Celle-ci est calculée en rapportant la consommation totale d’énergie en volume au PIB à prix chaînés. Sa baisse indiquerait ainsi une amélioration de l’efficacité énergétique et vice versa. Elle peut être calculée en utilisant la consommation brute «intensité primaire» ou la consommation finale «intensité finale». Pour les besoins de l’analyse effectuée par la Banque, c’est cette deuxième mesure qui a été retenue.

En effet, l’analyse de l’évolution de l’intensité énergétique finale entre 2004 et 2019 laisse distinguer trois phases. La première allant de 2004 à 2009 a affiché un recul de 1,8% en moyenne annuelle à 15,3 TEP/MDH. Cette évolution recouvre une baisse de 3,4% dans le résidentiel, une quasi-stagnation aussi bien dans le tertiaire, qui accapare 49,1% de la consommation nationale d’énergie, que dans le secondaire, en plus d’une hausse de 1,6% dans le primaire. Pour ce dernier, le recours accru à l’irrigation au cours des années de faibles précipitations se traduit souvent par une augmentation de l’intensité énergétique. Au total, l’intensité énergétique aura accusé un repli de 13,2% entre 2004 et 2019, soit 0,9% en moyenne annuelle.

Taxe carbone-UE : le temps presse

Au regard des délais que requiert l’adaptation des processus de production aux exigences en matière de contenu carbone et des coûts élevés que cela engendre, en préparation au futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE (CBAM), l’Institut d’émission estime que le Maroc a tout intérêt à accélérer la mise en œuvre de ses différentes stratégies dans ce domaine, notamment celles de l’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables ainsi que celle à bas carbone à l’horizon 2050, qui ambitionne en particulier d’atteindre une électricité décarbonée de 80%. Si BAM souligne l’urgence de ce chantier, c’est que l’Union européenne (UE), qui enclenchera la première phase de ce mécanisme à partir de l’année prochaine, demeure le principal partenaire économique du Maroc, absorbant plus de 60% de ses exportations en moyenne. En 2020, sur un chiffre d’affaires à l’export de 167,8 milliards de dirhams, environ 3% ont été réalisés par les secteurs qui seront concernés par la première phase du CBAM dont essentiellement celui des engrais. Selon une étude réalisée par la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), une taxe sur les émissions de CO2 induirait une diminution des exportations nationales des produits à forte intensité énergétique de 1,06%, pour un tarif fixé à 44 dollars la tonne et de 1,95% pour un barème de 88 dollars par tonne. Pour les analystes de la Banque centrale, le CBAM aurait cependant un impact beaucoup plus important si son champ d’application est étendu à une liste plus large de produits et de services ou aux émissions indirectes, notamment celles provenant de l’électricité utilisée dans les processus de production.

En effet, explique BAM, l’économie marocaine reste très intensive en émissions. Selon les données de la Banque mondiale, par unité de valeur ajoutée, le Royaume émet 46% de CO2 de plus que la moyenne mondiale et 3,4 fois plus que la zone euro. Comparativement à ses principaux concurrents sur le marché de l’UE, son taux d’émission est comparable à celui de l’Égypte, plus élevé que ceux des pays tels que la Turquie et les États-Unis, mais reste inférieur à ceux d’autres économies comme la Russie ou la Chine. Rappelons que dans le cadre de son initiative «Paré pour 55», la Commission européenne avait présenté en juillet 2021, plusieurs propositions afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et devenir d’ici 2050 un continent neutre pour le climat. L’une des plus importantes est la mise en place à partir de janvier 2023 du CBAM. La formule consistera à instaurer une taxe sur les importations à forte intensité carbone. Cela permettra de créer les conditions d’une concurrence «équitable» entre les entreprises de l’Union et celles des pays partenaires notamment les économies émergentes et en développement où les exigences des politiques nationales en matière de climat sont souvent moins contraignantes. Dans une première phase allant jusqu’à fin 2025, ce dispositif ne comportera qu’une obligation déclarative du bilan carbone et sera limité à six secteurs : l’électricité, le fer, l’acier, les engrais, l’aluminium et le ciment. Outre la barrière tarifaire, le CBAM exigerait des exportateurs vers l’UE l’évaluation du contenu carbone de leurs produits, ce qui se traduirait par une charge technique et administrative importante particulièrement dans les pays moins avancés où les entreprises n’ont pas en général l’expertise et la compétence nécessaires.


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