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Gare aux amalgames sur fond de racisme

«Nous ne sommes que des migrants, nous ne sommes pas des criminels», «non à la violence», «non à la discrimination», c’est ainsi que des dizaines de migrants en séjour irrégulier ont manifesté leur colère jeudi dernier au quartier Milan à Casablanca, pour protester contre l’agression d’un des leurs.
 
Agression

Selon plusieurs témoignages recueillis sur place, les faits remontent à jeudi dernier lorsqu’un jeune migrant soudanais a été agressé par deux jeunes marocains qui lui ont volé son portable et l’ont battu. L’intervention d’autres migrants, venus nombreux réclamer justice, s’est soldée par le déclenchement d’un conflit violent avec certains jeunes du quartier. Plusieurs cas de blessures ont été enregistrés parmi les migrants dont certains graves. Des dégâts matériels ont également été constatés.

«Les jeunes du quartier étaient nombreux. Et on ne savait pas avec qui on se battait. Les coups pleuvaient de toutes parts et nous étions incapables d’identifier les malfaiteurs dont certains portaient des couteaux», nous a raconté un migrant soudanais, témoin de l’incident survenu jeudi. Et de poursuivre : « Moi-même j’étais victime de plusieurs coups de couteau au  niveau des mains, du visage et de la tête. Le pire a été évité de justesse».

«Nous avons été victimes d’injustice et de discrimination. Et ce n’est pas la première fois», s’est insurgé un autre migrant. Et de préciser : «Souvent, l’un des nôtres est victime d’une agression physique ou morale de la part de la population locale qui nous traite comme des voleurs, des violeurs ou des trafiquants de stupéfiants alors que nous ne sommes que de simples migrants qui ont fui leur pays et qui cherchent la protection internationale en Europe».
 
Regrets

Ahmed, un jeune du quartier, considère les évènements de jeudi comme «regrettables» puisque leurs acteurs sont des jeunes connus comme des «délinquants», «sans scrupule». «Nous n’avons rien vu de mal de la part de ces jeunes Soudanais dont certains travaillent en tant qu’aides commerçants ou autre dans le quartier. Ce qui est arrivé  est grave et ne nous honore pas», déplore-t-il.

«Nous n’étions pas des témoins directs de ce qui s’est passé mais nous savons que les migrants soudanais installés depuis peu dans le quartier n’ont rien d’agressif. Ils sont plutôt calmes et gentils», témoigne un autre habitant du quartier.
 
Préjuge

Cet incident serait-il en relation avec ceux survenus en janvier dernier entre les migrants irréguliers installés aux alentours de la gare routière d’Ouled Ziane et les riverains ? «Absolument pas», nous a répondu S.A, militant associatif casablancais. « Nous sommes face à une autre configuration. Dans le quartier Milan, ces migrants habitent dans un grand hangar et ne sont pas en contact direct avec la population riveraine. Ces migrants dont une grande majorité sont des Soudanais vivent dans des conditions d’hygiène  lamentables mais discrètement et loin des yeux des curieux», précise-t-il.

Toutefois, notre interlocuteur estime que l’image des migrants s’est beaucoup dégradée ces derniers temps. «Nous sentons une certaine tension depuis janvier. Les gens sont plus méfiants et peureux. Une situation amplifiée par certains médias, notamment ceux non conventionnels qui propagent des stéréotypes et des préjugés et rapportent des informations sans vérification et sans filtre», nous a-t-il confié. Et d’ajouter : «Il faut préciser, cependant, que cette situation de tension est observée uniquement au niveau de Derb Soultan où se sont installés plusieurs migrants en situation irrégulière.    Dans les autres quartiers de la ville, comme Aïn Sebaa ou Oulfa, où une importante population immigrante réside, rien n’a été signalé. Les migrants vivent en toute tranquillité à l’instar d’autres villes marocaines».

Cohabitation

Notre source estime, en outre, que la cohabitation entre les migrants irréguliers et la population locale restera fragile notamment dans un contexte marqué par l’augmentation du nombre des candidats à la migration et qui est dû à la difficulté du passage vers l’Europe vu le renforcement du contrôle ces dernières années. «C’est l’invisible qui devient visible. Il y a des craintes que la situation à Casablanca devienne identique à celle de Calais en France qui connaît depuis plusieurs années une conjoncture critique avec des centaines de migrants qui  errent dans la ville en espérant rejoindre le Royaume-Uni. Ici, la situation est pire puisqu’aucune structure n’a été mise en place pour les accueillir. D’autant qu’une certaine frange de la population locale est agacée par les soi-disant «incivilités et  comportements inappropriés  de certains migrants ».
 
Responsabilité

Et qu’en est-il de la commune urbaine de Casablanca ? «Elle nie toute responsabilité dans la gestion de ce dossier tout en expliquant que le problème de la migration dans la ville est multifacette  puisqu’il touche la sécurité, l’économie, le social, la culture et autres domaines et chaque secteur doit être traité dans le cadre de la mission de chaque partie et dans les limites de ses responsabilités», nous a indiqué S.A. Et de conclure : «Il y a eu dernièrement l’idée de la mise en place d’un bureau chargé de cette question, ainsi que la création d’une plateforme numérique destinée aux migrants, une sorte de numéro vert avec toute une équipe qui a pour objectif d’orienter et de sensibiliser les migrants concernant leurs devoirs et droits. Mais, il s’agit là de solutions de façade puisque les besoins et les attentes sont énormes.

D’autant que ce dossier est compliqué. Ses enjeux et ses ramifications sont multiples. Et du coup, il est difficile d’établir l’équilibre entre l’ensemble des parties concernées .

Hassan Bentaleb

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