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« J’essaie d’être le plus photographe possible dans une époque où tout se monte et se trafique »

« Une photo qui ne donne pas de sens ne m’intéresse pas » (FENETRE)
 
Jusqu’au 25 février courant, des œuvres grandioses et exceptionnelles de l’artiste photographe international Gérard Rancinan sont accrochées aux cimaises de la galerie So Art à Casablanca. Des œuvres qui ont été exposées dans les plus grands musées du monde, dont le Musée d’art Contemporain de Shanghai, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, la Triennale de Milan, le Palais de Tokyo, rappelle la galerie qui célèbre cette année sa première décennie.

Libé : La galerie So Art présente vos œuvres sous le signe « Métamorphoses ». Quel message souhaitiez-vous faire passer en l’intitulant ainsi ?

Gérard Rancinan : Avec « Métamorphoses », je veux dire que tout se recommence et que l’artiste n’est pas là pour refaire le monde, réinventer la roue. Il s’appuie toujours sur les autres artistes, ceux qui ont avant lui été les témoins de leur propre époque.

Je veux dire par là que lorsqu’on parle d’Eugène Delacroix, Théodore Géricault, des artistes de la Renaissance ou des gens qui ont laissé des traces dans les grottes préhistoriques, on voit bien qu’ils ont tout écrit et que nous, nous recommençons en permanence. On ne change que le message intérieur.

En reprenant « Le Radeau de La Méduse » de Géricault, par exemple, j’ai mis des migrants à la place des naufragés qui, au péril de leur vie, sont prêts à aller se noyer et disparaitre pour quelques lumières, fringues, espoirs ou désespoirs.

En fait, je m’inspire de ce tableau par modestie et humilité, parce qu’on doit rester des gens modestes, humbles et savoir que tout a été fait avant.

Vous apportez tout de même une touche personnelle à ces œuvres ! Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans vos projets ?

D’abord, je suis le photographe. Cela veut dire que je fais de véritables photographies et pas des montages. Tout le monde est dans un studio, on met 3 ou 4 mois pour préparer la photographie et après on réunit les gens, on met les lumières, on fabrique ce radeau, la mer est en plastique et puis on met le ventilateur pour que les voiles se gonflent. Les modèles on les choisit avant de faire une photographie.
Ma spécificité, c’est d’essayer d’être le plus photographe possible dans une époque où tout se monte ou se trafique.

Cet exercice est-il aussi facile que vous le décriviez ?

Non, c’est un exercice difficile qui coûte très cher et nous engage. C’est une responsabilité. Cela dit, je ne suis pas tout seul dans mon studio, j’ai toute une équipe qui travaille avec moi. Ce n’est pas évident.

Vos photographies dépeignent des familles, des fruits et divers paysages. En général, que souhaitiez-vous mettre en valeur en premier ?

Le genre humain, l’humanisme, la fragilité de l’homme.  Que l’on comprenne que ces images sont en fait des petits brins de mémoire d’une humanité qui est passée, qui s’en va et qu’on oubliera ou n’oubliera pas. C’est ce que je veux dire à travers ces photos avec ces artistes magnifiques et prétentieux, ces gens portant des masques de Batman parce qu’ils veulent sauver le monde dans ces pays riches, alors qu’ils vivent dans leurs châteaux, font de la finance et ne sauvent en fin de compte qu’eux-mêmes.

Vos propos sont très empreints de modestie lorsque que l’on évoque vos œuvres photographiques…

Ce n’est pas une fausse modestie, c’est une humilité…

Pourquoi alors autant d’humilité face à des œuvres photographiques aussi grandioses et exceptionnelles ?

Parce que, quand j’étais apprenti-photographe, à l’âge de 15 ans, à l’entrée du studio, il y avait été affiché : tu ne vaux que ce que vaut ta dernière photo. Quand bien même j’ai réalisé tout cela, que je suis devenu quelqu’un d’autre et ai avancé, est-ce qu’aujourd’hui je suis capable de le refaire ou de faire quelque chose d’autre ? Donc je laisse ça à cet homme-là qui l’a fait, qui a conquis le marché, qui a vieilli, qui se met des lunettes noires et une casquette pour paraitre plus jeune (rire).

Quelle est l’idée qui vous vient en premier lorsque vous décidez de produire une photographie ?

C’est de savoir que ce n’est pas une bonne idée. Parce que la bonne idée, c’est dangereux, c’est pour les publicitaires et c’est surtout qu’il y a du sens à ce que je fais.

Je veux dire qu’on réfléchit en permanence avec Caroline Gaudriault, l’auteur écrivain qui travaille avec moi depuis 25 ans, sur quoi on veut parler ? Pourquoi on fait cette photo ?
Je ne parle pas de portraits d’artistes qui sont un peu particuliers. Mais, pour revenir à ce que je disais sur Batman, cette photo est amusante, mais derrière il y a quelque chose.

Ce qui est important ce n’est pas de faire de jolies photos. Parce que des photographes qui font de jolies photos il y en a des centaines et des milliers dans le monde. Ici, au Maroc, il y en a d’extraordinaires. Le problème n’est donc pas là.

Pour moi, la photo est un support. Ce qui compte, c’est ce qu’elle veut dire, raconte et l’émotion qu’elle laisse aux gens. La photographie qui ne donne pas de sens ne m’intéresse pas.

Vous avez commencé la photographie très jeune. Aujourd’hui, estimez-vous avoir atteint les objectifs que vous vous étiez fixés à vos débuts ?

D’une part oui, d’autre part je n’ai pas envie que ça s’arrête. Et donc, je suis toujours à la recherche d’une évolution, d’un travail et de nouveaux territoires.

Je veux rester curieux. Parce que ce qui m’a toujours tenu dans ma vie et dans mon métier, c’est la curiosité d’aller visiter des contrées, des paysages, des personnages nouveaux ; aller voir des peintres, des personnalités, de grands personnages et créer de nouveaux tableaux.

Un projet ?

On travaille sur un nouveau projet, avec Caroline, qui s’appelle « Traces » et qui va essayer de raconter nos traces actuelles qui s’inscrivent dans les pas de mon ancien.

Pour conclure, peut-on dire que le Maroc constitue une source d’inspiration pour vous ?

Absolument, parce qu’il est riche en mémoire, en beauté de paysage, en humanité et en rencontres. Je ne sais pas si cela va durer longtemps, mais il y a encore une forme d’humanité qu’on trouve un peu dans des villes mégapoles ultramodernes et qu’on a un peu perdues.

Propos recueillis par Alain Bouithy 
 
 Le vernissage de l’exposition a eu lieu jeudi 19 janvier dernier.
 
 

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