Les inégalités sociales, la pauvreté et la vulnérabilité s’accentuent

Les pouvoirs publics vont avoir fort à faire pour réduire les inégalités sociales, la pauvreté et la vulnérabilité dont l’ampleur est révélée ou plus tôt confirmée dans une récente étude réalisée par le Haut-commissariat au plan  (HCP).

Le premier enseignement tiré de cette étude, qui porte sur l’évaluation de l’impact de court terme des contextes de la pandémie de Covid-19 et du choc inflationniste sur la situation des inégalités sociales, confirme ce que l’on savait déjà  ou presque : les effets induits par la pandémie de Covid-19 ont porté un sérieux coup au niveau de vie des ménages.

Chiffres à l’appui, l’étude rapporte que sous les effets de la crise sanitaire, le niveau de vie des ménages a annuellement régressé de 2,2% entre 2019 et 2021, de 2% en milieu urbain et de 2,6% en milieu rural.

Dans une note intitulée «Evolution des inégalités sociales dans un contexte marqué par les effets de la Covid-19 et de la hausse des prix», l’organisme public explique qu’entre octobre 2019 et décembre 2021, le niveau de vie moyen des ménages, mesuré par la dépense de consommation par tête en valeur nominale, a baissé de 20 400 DH à 20 040 DH au niveau national, de 24 620 DH à 24260 DH dans les villes et de 12 800 DH à 12 420 DH à la campagne.

Selon la note, rendue publique récemment, « sur cette période, le niveau de vie des 20% des ménages les moins aisés a connu une baisse de 7.000 DH à 6.860 DH, soit une baisse annuelle moyenne de 2,3% en termes réels. Celui des 20% des ménages les plus aisés a chuté de 2,5%, passant de 47.780 DH à 46 620 DH ».

Quant au niveau de vie des 60% des ménages intermédiaires, le Haut-commissariat constate qu’il a baissé de 15.730 DH à 15.570 DH, soit une baisse annuelle moyenne de 1,9%.
Après analyse, il apparaît que « les ouvriers, les commerçants et les exploitants agricoles sont les plus touchés par les effets de la crise sanitaire», a souligné le HCP.

Ainsi, selon la catégorie socioprofessionnelle des chefs de ménages, l’étude montre que le niveau de vie moyen a annuellement baissé de 3,6% pour les «Ouvriers non qualifiés», passant de 14.130 DH en 2019 à 13.440 DH en 2021; 3,6% pour les « Artisans et ouvriers qualifiés» (17850 à 16.970 DH); 2,8% pour les «Commerçants et les intermédiaires commerciaux» (19.920 DH à 19.270 DH); 2,4% pour les «Exploitants et ouvriers agricoles» (12.950 DH à 12.650 DH); 1,8% pour les «Responsables hiérarchiques et cadres supérieurs.
Les conséquences de toutes ces variations sur la structure de consommation n’ont évidemment pas tardé à se manifester.

En effet, sous les effets de la crise sanitaire, les ménages en sont venus à réduire fortement les dépenses allouées aux «Equipements et meubles de maison», lesquelles ont été marquées par une baisse, aux prix constants, à raison de 19,1% par an.

Ils ont eu le même reflexe pour ce qui est des dépenses attribuées aux activités de loisirs qui ont également enregistré une baisse annuelle à deux chiffres, soit 14,3%, a souligné le HCP notant par ailleurs que cette tendance à la baisse s’établit à 5,9% pour les dépenses d’habillement, à 2,4% pour les dépenses alimentaires, à 2% pour les dépenses de transport.

Dans sa note, le HCP relève que les dépenses allouées aux «Soins médicaux»  et aux «Biens et services de communication» ont à contrario enregistré une hausse annuelle respectivement de 10,9% et 4,6%.

D’après les explications de l’institution publique, « ce rebond est lié au surcoût de dépense des mesures de précaution pour lutter contre la propagation de la Covid-19 et à l’intensification des usages des technologies de communication depuis le début de la crise sanitaire». 

Quoi qu’il en soit, le Haut-commissariat note que le « repli du niveau de vie s’est traduit par une accentuation des inégalités sociales, de la pauvreté et de la vulnérabilité».

En effet, «la part des dépenses afférentes aux 20% des ménages les plus aisés est passée de 46,1% au cours de la période d’avant-pandémie à 47,7% en 2021, contre une baisse de 7% à 6,5% pour les 20% des ménages les moins aisés».

Autre constat, et non des moindres, sur la même période, il ressort que « les inégalités sociales ont connu une hausse de près de deux points de pourcentage, passant de 38,5% à 40,3% au niveau national, de 37,2% à 39,1% en milieu urbain et de 30,2% à 31,9% en milieu rural ».

Ce n’est pas tout. Les contrecoups de la pandémie de Covid-19 sur le bien-être socioéconomique des ménages se sont traduits par une augmentation de l’incidence de la pauvreté absolue de 1,7% en 2019 à 3% en 2021 au niveau national, de 3,9% à 6,8% en milieu rural et de 0,5% à 1% en milieu urbain.

Comme si cela ne suffisait pas, l’étude révèle, par ailleurs, que le taux de vulnérabilité a connu une importante hausse, passant de 7,3% en 2019 à 10% en 2021 au niveau national, de 11,9% à 17,4% en milieu rural et de 4,6% à 5,9% en milieu urbain.

S’agissant des effets de l’inflation catégorielle sur le niveau de vie des ménages, l’étude montre que, de janvier à juillet 2022, les prix à la consommation ont augmenté plus vite et le taux d’inflation moyen, en glissement annuel, a atteint 5,5%, soit un niveau 5 fois supérieur à celui enregistré entre 2017 et 2021.
 

Le Maroc se retrouve avec le niveau de pauvreté et de vulnérabilité monétaires de 2014

Selon une analyse des résultats de cette étude,  «cette inflation moyenne cache des évolutions différenciées selon le milieu de résidence : la hausse des prix, en glissement annuel, a été en moyenne plus élevée pour les ménages ruraux (6,2%) que pour les ménages urbains (5,2%) », a-t-il estimé précisant que cette poussée inflationniste est essentiellement tirée par la hausse des prix des produits et services du quotidien, le transport et l’alimentaire.
L’étude précise en outre que plus de la moitié de la hausse des prix (58%) est due à la composante «Produits alimentaires»,  22% à la composante «Transport» et 20% aux autres composantes.

Ainsi, note le HCP, « 80% de l’inflation en œuvre s’explique par la hausse des prix à la consommation des produits alimentaires et du transport ». 

L’analyse des données montre d’emblée que la hausse des prix est plus prononcée pour les 20% des ménages les moins aisés (6,2%) que pour les 20% des ménages les plus aisés (5,2%) et les 60% des ménages intermédiaires (5,6%).

Elle indique par la suite que les écarts inflationnistes sont plus accentués par composante d’inflation, notant que la hausse des prix des produits alimentaires a atteint 10,4% pour les ménages les moins aisés contre 7,7% pour les ménages aisés et 9,2% pour les ménages intermédiaires.

3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté ou dans la vulnérabilité

En revanche, l’étude ressort que les prix des produits et services du «Transport» ont augmenté plus vite pour les ménages aisés (14,3%) et les 60% des ménages intermédiaires (10,6%) que pour les ménages les moins aisés (6,1%).
Autre enseignement : la hausse des prix a été plus accentuée pour les ménages dirigés par les «Exploitants et ouvriers agricoles».

En fin de compte, et selon toujours le HCP,  les effets combinés de la pandémie de Covid-19 et de l’inflation auraient entraîné une baisse du niveau de vie par personne, en termes réels, de 7,2% au niveau national, entre 2019 et 2022, passant de 20.400 DH à 18.940DH; 6,6% en milieu urbain (24.620 à 23.000 DH) et 8,9% en milieu rural (12.800 DH à 11.650 DH).

Par catégorie sociale, le niveau de vie par personne aurait baissé de 8% pour les ménages les moins aisés entre 2019 et 2022, passant de 7.000 DH à 6.440 DH;  6,6% pour les ménages intermédiaires (15.730 DH à 14.700 DH)  et 7,5% pour les ménages les plus aisés (47.780 DH à 44 200 DH).

Partant de toutes ces observations, le HCP en déduit qu’environ 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 million) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions). Et de préciser que « près de 45% de cette exaspération de la pauvreté et de la vulnérabilité est due à l’effet de la pandémie et 55% à l’effet de la hausse des prix à la consommation ».

Pour mieux évaluer la gravité de la situation, ce sont «près de sept années de progrès vers l’élimination de la pauvreté et de la vulnérabilité qui ont été perdues », a souligné le HCP constatant qu’en 2022, le Maroc se retrouve avec le niveau de pauvreté et de vulnérabilité de 2014.

Alain Bouithy

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