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Quand la niyya fait défaut !

Toute nation a, dans son histoire, des dates fondatrices et des repères chronologiques essentiels qui permettent à ses citoyens de se retrouver et de redynamiser les liens sacrés qui en font un peuple. Et l’histoire multiséculaire du Maroc est abondamment sertie de ces repères dont le merveilleux temps de la Coupe du Monde FIFA Qatar 2022.

En effet, le formidable parcours footballistique de la sélection nationale a procuré au peuple marocain une joie et une fierté incommensurables et lui a fait oublier, le temps de la compétition, un quotidien loin d’être réjouissant pour la majorité des citoyens.

Mais le plus important enseignement qui jaillit de la marche glorieuse des Lions de l’Atlas concerne, à mon sens, le rôle de la niyya dans la réalisation de tout exploit. Il ne s’agit pas ici de l’intention dans son acception religieuse mais de la volonté active d’agir collectivement et individuellement pour l’intérêt commun. C’est ce qu’a montré la bande à Walid Regragui qui a subjugué le monde entier parla symbiose qui unit son groupe, le respect des ascendants, l’amour du drapeau, en un mot la fierté de représenter son pays de la plus belle des façons.

Cette magnifique épopée ne doit pas, pour autant, nous faire oublier les tares et sentiments d’injustice qui éreintent bon nombre de citoyens. La cause principale de cette situation réside dans l’absence de la niyya, l’intention sincère et citoyenne. Cette carence souvent volontaire ne cesse de handicaper la marche en avant du pays. Les dirigeants politiques successifs font, souvent, mine d’ignorer les orientations de S.M le Roi Mohammed VI dans son discours à la nation, à l’occasion du 18ème anniversaire de la Fête du Trône, et dans lequel le Souverain lança un appel franc à la mise en œuvre du principe constitutionnel qui établit une corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes, seul gage pour la concrétisation d’une gouvernance optimale.

Plusieurs exemples illustrent le décalage entre cette volonté Royale moderne et soucieuse du bien-être des citoyens et une classe politique sclérosée, hélas, trop préoccupée par ses propres intérêts.

La cherté de la vie et l’inflation galopante qui frappent de plein fouet les citoyens sont un bon exemple pour illustrer ces affirmations. Il est inadmissible, en effet, qu’un pays riche en terres arables, en barrages et dont la majorité de la population vit dans les campagnes se retrouve avec un panier alimentaire aussi cher qu’en Europe.

Le Souverain a lancé un appel franc à la mise en œuvre du principe constitutionnel qui établit une corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes, seul gage pour la concrétisation d’une gouvernance optimale.

Certains justifieraient cette situation par la sécheresse, le Covid, la guerre russo-ukrainienne ou encore par l’impact du coût de l’énergie. Prendre appui sur ces explications relève de la tentative de noyer la vérité. La situation désastreuse dont souffrent effroyablement des millions de familles est, en somme, l’enfant légitime du fameux plan « Al-Maghrib al-Akhdar » dévoyé, intentionnellement ou non, de son but initial. Il est évident que le côté business a pris le dessus sur l’objectif fondamental de ce plan qui est, rappelons-le, de garantir la sécurité alimentaire de tout un peuple. Pour étayer ce propos, on peut avancer les constatations suivantes :

– Le plan « Maroc vert » aurait dû prendre en compte, en premier lieu, la garantie des approvisionnements en eau potable pour les citoyens avant de penser à produire des avocats ou d’autres cultures gourmandes en ressources hydrauliques. Les restrictions ou coupures d’eau estivales dans les villes et les images effroyables de familles à la campagne en train de chercher désespérément de quoi étancher leur soif sont les preuves irréfutables de l’étroitesse de vision des concepteurs du plan cité ci-dessus.

– La construction des barrages fut souvent précédée d’achats, à prix dérisoire, de terres collectives considérées comme zones de pâturage et de transhumance par les populations. Ce « délit d’initié » qui profite aux grands investisseurs prive, dès l’avant-projet, les locaux du fruit de ces ouvrages et les transforme en journaliers sur leurs propres terres !

-Ce plan a un impact social dramatique dans des régions comme le sud-est du pays où la fixation des populations dans ces régions excentrées est étroitement tributaire de la pérennité des ressources naturelles. Les populations y vivaient de cultures vivrières qui permettaient, bon an mal an, une autosuffisance alimentaire. Plusieurs cultivateurs des oasis et ksours de Darâa et de la vallée de Guir, pour ne citer qu’eux, furent contraints d’abandonner leurs lopins de terre, leur source nourricière vitale, pour se muer en ouvriers non qualifiés et bon marché dans les complexes industriels de Tanger ou comme journaliers dans les exploitations de fraises et de tomates au nord du Royaume.

Ce déséquilibre dévastateur et ses effets néfastes sur le phénomène migratoire de la campagne vers la ville constituent, à mon sens, la preuve évidente de l’incompatibilité du plan « Maroc vert » avec les besoins vitaux de ces régions.

Cette carence en intention sincère concerne, aussi, la gestion du dossier de la SAMIR, un des fleurons de la vie économique du pays.

La raffinerie de Mohammadia a été mise en liquidation judiciaire en 2016 suite à une décision du tribunal de commerce de Casablanca, et ce une année après avoir cessé ses activités pour accumulation de dettes. Le feuilleton de cet énorme gâchis est trop long et riche en mauvaise gestion et en tricheries fiscales. Il mérite, à lui seul, un article à part entière. Mais ce qui choque en premier abord, c’est l’atermoiement de la résolution de ce grand dossier par les gouvernements successifs. A qui profite la situation ? Pourquoi on n’opte pas pour une renationalisation pure et simple de cette entreprise hautement stratégique?

Cependant, la crise énergétique accentuée par la guerre russo-ukrainienne interpelle, à juste titre, les consommateurs qui se retrouvent obligés de payer à prix d’or le plein de leurs véhicules. Alors que la SAMIR permettait au pays de se procurer du brut à un prix préférentiel auprès de l’OPEP, notamment les pays du Golfe et d’offrir un carburant à prix abordable aux consommateurs, le Maroc s’est retrouvé dans l’obligation d’acheter des produits raffinés, ce qui augmente considérablement la facture énergétique et, par ricochet, le prix du litre à la pompe. Et c’est là où les distributeurs rentrent en scène pour réaliser des marges inacceptables. C’est notamment le cas de cette fameuse société qui est sur toutes les langues et qui domine le marché. La ligne de démarcation entre le business et la mission politique d’intérêt général s’en trouve, de facto, malléable et poreuse.

Les deux exemples évoqués ci-dessus illustrent le désarroi des populations qui se sentent injustement exploitées et contraintes de se saigner à blanc pour faire bouillir la marmite.

Plusieurs exemples illustrent le décalage entre cette volonté Royale moderne et soucieuse du bien-être des citoyens et une classe politique sclérosée, hélas, trop préoccupée par ses propres intérêts.

Le peuple marocain est un peuple fier, pacifique et mâture. Il peut, au nom des intérêts suprêmes du pays, accepter les plus lourds des sacrifices. Toutefois, il ne supporte point d’être spolié de son droit à une vie digne. Il a besoin de femmes et d’hommes politiques qui prennent leurs missions pour un réel sacerdoce laïc et qui sont prêts à mettre la main dans les rayons de la roue de l’histoire, pour paraphraser Max Weber.

Les portes des abus deviennent grandes ouvertes quand la niyya fait défaut. Sans la sincérité dans l’engagement politique, les décisions risquent fort d’être entachées d’irrégularités car, comme l’affirme Ibn Khaldoun, la justice, entendue ici dans son sens large, est à la base de toute civilisation.

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