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La France et l’Afrique, une relation problématique

– On parle aujourd’hui d’une crise qui ne dit pas son nom entre le Maroc et la France, partagez-vous ce constat ?

– Au-delà de ce qui se dit actuellement, je puis dire une chose dont je suis certain. Les relations entre le Maroc et la France sont tellement exceptionnelles, uniques et mutuellement bénéfiques que je ne doute pas une seconde que les quelques problèmes qui subsistent aujourd’hui seront surmontés. Je dis cela parce que les liens ont toujours été cordiaux et puisent leurs racines dans l’Histoire et une culture partagées.

Depuis l’indépendance, Rabat et Paris ont su préserver cette relation amicale malgré les bourrasques et les rares crises qui ont surgi de temps à autre, sachant qu’il y a eu souvent des intérêts convergents. Cela dit, je demeure, pour ma part, optimiste quant à l’avenir des relations bilatérales. Il n’y a rien à craindre puisque les rapports sont, et je pèse mes mots, irremplaçables. J’en reste là.

– Le Maroc diversifie ses partenaires comme beaucoup de pays africains, comment perçoit-on cela du côté français?

– Aujourd’hui, nous nous trouvons au coeur d’une mondialisation qui ressemble à un jeu. Donc, chaque pays joue les cartes qu’il peut. La France n’a pas un seul partenaire classique. C’est le cas aussi de plusieurs pays africains, dont le Maroc, qui s’estime en droit d’avoir des relations étroites avec d’autres pays partenaires. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il faut oublier que les relations d’exception, comme celle qui réunit le Maroc et la France, ne doivent pas être négligées au milieu de ce jeu d’intérêts. J’ajoute qu’il ne faut pas retenir de cela qu’il faut privilégier la France par exemple dans les contrats, mais il est important de garder ce cordon ombilical.

– Parlons d’Afrique, comment vous analysez la montée du sentiment anti-français après les changements de régime qui ont eu lieu ces dernières années ?

– C’est un sujet complexe. D’abord, il faut que la France se pose la question de savoir de quoi s’agit-il. De mon point de vue, c’est un énervement des jeunes africains contre leurs gouvernements. Ils l’expriment parfois contre la France qu’ils accusent d’entretenir des relations avec ces gouvernements. Il y a aussi beaucoup d’ignorance exploitée parfois par des réseaux d’influence pour alimenter la haine contre la France. Ça peut être des réseaux extrémistes ou russes. Mais là, c’est aux Africains eux-mêmes de faire le ménage et de discerner le vrai de la propagande fallacieuse.

En somme, si on veut rester pragmatique et avoir une grille de lecture réaliste de ce qui se passe actuellement, il est illusoire de croire que tous les Africains sont devenus subitement et d’un seul coup anti-français. Ce n’est pas du tout le cas. Ceci est d’autant plus vrai, à mes yeux, que quelques nouveaux dirigeants des pays qui ont connu des coups d’Etat, sont le produit de la formation française et leurs enfants étudient et vivent en France.

– Il semble clair que la France perd de son influence en Afrique de l’Ouest qui a été considérée autrefois sa chasse gardée, au profit de nouveaux acteurs comme la Chine et la Russie. Qu’en pensez-vous ?

– Je pense qu’il faut penser cela avec flegme et faire la part des choses. Les pays qui se livrent à des campagnes de dénigrement et qui ouvrent les bras à l’influence russe par exemple jouent un jeu dangereux. Je le pense profondément puisqu’il se peut que cela se retourne contre eux. On accuse maintenant la France de soutenir les terroristes au Sahel et notamment au Mali, c’est hallucinant si on garde en tête que la France est intervenue militairement à la demande du gouvernement en place.

Certes, la France ne peut elle seule éradiquer le terrorisme au Sahel, un territoire aussi long que l’Europe. Cela n’est pas possible tant que les Etats de la région sont aussi incapables de contrôler leurs territoires. A mon avis, il faut être lucide, il faut penser les relations franco-africaines avec une nouvelle perspective, d’abord, il faut se rendre compte que la France-Afrique au sens ancien n’existe plus puisqu’elle a fait place à de nouvelles formes de partenariat.

– L’Afrique semble tout de même se tourner plus vers la Chine, n’est-ce pas ?

– Gardons à l’esprit que la Chine a une stratégie claire en Afrique. Elle a besoin de matières premières pour ses industries, de terre arables et de marchés pour déverser ses marchandises. Donc, elle en cherche partout dans le monde et non pas uniquement en Afrique.

De leur part, plusieurs pays africains se disent pourquoi pas la Chine puisqu’elle construit des infrastructures et fait du business sans faire la morale aux gouvernements en question. Je rappelle que le partenariat avec la Chine n’est pas toujours aussi bénéfique qu’on le croit.

Voyons les cas du Sri Lanka et de Djibouti pour s’en rendre compte. Donc, la Chine n’est pas une organisation philanthropique ou une ONG humanitaire. Par ailleurs, pour les Européens et moi personnellement en tant qu’ex-homme politique français, il serait insensé de s’opposer au partenariat sino-africain. Au nom de quoi allons-nous s’y opposer en toute honnêteté ? On peut, par contre, mettre en garde nos partenaires. Les Africains ont bien sûr intérêt à coopérer avec la Chine, mais en mesurant le degré d’exposition à Pékin pour leur propre souveraineté.

– Quid de la Russie dont la présence est de plus en plus remarquable dans plusieurs pays ?

– D’abord, je rappelle que la Russie est en déclin. Ils sont incapables de se lancer dans un projet aussi gigantesque que les Routes de la Soie de la Chine, ne serait-ce qu’en Afrique. Certes, Moscou voit dans la faiblesse de quelques Etats africains une occasion de s’y infiltrer par l’intermédiaire de Wagner et de renforcer la coopération militaire. Mais au-delà de ça, les Russes ne peuvent aller plus loin. Pour ce qui est du bras de fer avec la France, je parie que ceux qu’on agite pour aller manifester devant les ambassades de France vont finir par se retourner contre les Russes au bout du compte.

– Parlons de la guerre en Ukraine qui a bouleversé l’Ordre mondial. Une grande partie du monde ne s’est pas alignée systématiquement sur l’Occident. Comment interprétez-vous le non-alignement des pays en développement comme le Maroc ?

– Il est évident qu’une partie importante de la communauté internationale n’a pas condamné la Russie comme souhaité par l’Occident. Personnellement, cela ne m’offusque pas si ça n’a pas été fait naïvement. La majeure partie de ces pays n’aiment pas la guerre et n’y sont pas favorables, mais ils ont insinué, par leur abstention ou leur absence du vote de la Résolution de l’ONU, qu’ils ne veulent pas être du camp occidental. Si cela veut dire l’émergence d’un nouveau mouvement des non-alignés, les Occidentaux doivent l’admettre et gérer cette situation comme ils l’ont fait au temps de la guerre froide.

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