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Marocains du Monde : Comment éviter la fracture intergénérationnelle ?

Ils sont fiers, patriotes et désireux d’une meilleure considération, les Marocains Résidant à l’Etranger (MRE) sont une richesse à la valeur incommensurable pour le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) qui a livré sa vision pour mieux les associer au développement du pays. Détails.

Au Mondial, l’équipe nationale a fait l’inimaginable en se qualifiant à la demi-finale au grand bonheur d’un peuple qui aspirait longtemps à redécouvrir le charme de la fierté nationale.

Au sein des Lions de l’Atlas, plusieurs joueurs viennent de l’étranger et ont montré un sens d’abnégation patriotique hors pair. D’où ce lien indissoluble entre les MRE et la mère patrie que l’expatriation ne saurait couper. Ils sont fiers de leur patrie, conclut le CESE qui a publié, mercredi, les conclusions de son avis sur les Marocains du Monde (MDM). Un rapport intitulé : « Renforcer le lien intergénérationnel entre les Marocains du Monde et le Maroc : les chances et les défis ». Pour scruter la diaspora marocaine, ses attentes et ses aspirations, le Conseil, présidé par Ahmed Réda Chami, a mené une enquête auprès de 5000 répondants. Les constats sont réjouissants mais ambivalents puisque les MRE sont autant attachés à leur pays d’origine et en sont ers bien qu’ils soient froissés par certains motifs d’insatisfaction.

Affirmation d’une fierté patriotique

Ils sont près de 6,5 millions personnes natives du Maroc ou descendantes de Marocains, réparties sur 100 pays, dont 89% en Europe. La France, rappelons-le, abrite la première communauté marocaine à l’étranger. Le rapport de 60 pages fait ressortir une conclusion importante : les deux tiers des MRE interrogés ont qualifé de « forts » leurs liens avec la mère patrie, et ce, pour plusieurs raisons, dont les liens familiaux grâce auxquels subsiste ce lien indissoluble.

Force est de constater que 94,3% ont déclaré rendre régulièrement visite à leurs familles et à leurs parents. Ce n’est pas tout. Aussi, les MRE éprouvent-ils une fierté proverbiale de leur pays d’origine, dont le CESE a décelé les motifs. En gros, les MRE sont ers de la monarchie et le rayonnement qu’elle donne au pays, des progrès économiques et sociétaux réalisés au cours des dernières décennies, de l’avancement des droits de la femme et la prévoyance du Maroc à leur égard qui se manifeste dans l’opération « Marhaba ».

Plus concrètement, nos compatriotes expatriés se montrent satisfaits de voir le Royaume évoluer à l’image de leurs pays d’accueil, raison pour laquelle plusieurs se déclarent fiers que leur pays soit doté du TGV. Outre cela, ils sont d’autant plus proches au Maroc par la religion. Tout le monde sait le degré de piété des MRE, dont 90% pratiquent le jeûne et célèbrent les fêtes religieuses. Le plus étonnant encore, c’est que plus les MRE sont bien intégrés dans leur pays de résidence, plus ils sont attachés au Maroc. « Un facteur très important », s’est réjoui le président du CESE Ahmed Reda Chami lorsqu’il a évoqué ce constat durant la conférence de presse.

Des motifs d’insatisfaction

Toutefois, le fait que la diaspora soit aussi attachée au pays de ses aïeux ne signifie pas qu’elle en soit 100% satisfaite. L’enquête a relevé plusieurs « motifs d’insatisfaction », dont certains datent depuis longtemps. D’abord, les MRE butent sur la corruption, dont ils en ont marre. Ici, on entend par corruption le fait d’obtenir impunément des droits indus ou d’être obligés de payer et soudoyer pour bénéficier d’un service qui revient de droit. L’administration figure bien évidemment dans la liste des griefs. Trop de bureaucratie, complexité des procédures… À cela s’ajoute la défaillance de la santé publique et les incivilités.

En parlant de l’administration, la performance des consulats et la qualité de leurs services refait surface, 71% en sont déçus. Plusieurs facteurs expliquent cela, dont « l’inégal maillage géographique du réseau consulaire, la faiblesse des moyens, l’inadaptation de certains locaux et l’insuffisance en personnel qualifié ». Le rapport souligne également la complexité des procédures et la difficile coordination entre les services consulaires. Manque d’information, longueur des délais, … les complications sont nombreuses.

Pour un guichet unique

Pour remédier à tout cela une fois pour toutes, il n’y a pas meilleur moyen que la digitalisation, insiste Fouad Ben Seddik, rapporteur de l’enquête du CESE. « Aujourd’hui, nous avons des Marocains répartis sur 100 pays au monde, il est impossible d’avoir une structure consulaire qui soit en mesure de couvrir tous les pays d’accueil, il y a des unités consulaires mobiles qu’il faut développer mais il est important, voire vital, d’accélérer la digitalisation », a-t-il plaidé dans une déclaration à « L’Opinion », ajoutant : « Il y a un effort qui a été consenti en la matière, mais c’est insuffisant ».

« La digitalisation n’est pas achevée puisqu’on vous demande des pièces qu’on doit ramener bien qu’elles soient téléchargeables sur le Net. Il y a encore de la complexité à laquelle il faut remédier », a-t-il conclu. De son côté, Ahmed Réda Chami plaide pour qu’il y ait une plateforme électronique qui soit exhaustive en contenant toutes les informations relatives aux MRE, faisant ainsi référence au guichet unique. Une idée qui plaît à 90% des répondants à l’enquête.

Retour d’un ministre délégué !

Face aux nombreuses épines rencontrées par les MRE sur le chemin de retour à la patrie, ils peinent à faire entendre leurs réclamations et leurs plaintes, faute d’un canal clair et unique. Le rapport souligne une pluralité d’intervenants. Raison pour laquelle le Conseil de Chami préconise le retour d’un ministre délégué chargé des MRE. Un portefeuille disparu dans le présent gouvernement.

Le président du Conseil a, dans ce sens, recommandé d’ériger la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger en établissement public stratégique qui constitue l’opérateur et le bras opérationnel pour le déploiement de la stratégie MDM, en concertation avec les autres acteurs et parties prenantes, ainsi que de créer au sein des ambassades du Royaume des antennes de l’établissement public stratégique chargées du déploiement de la stratégie MDM au niveau des pays d’accueil.

Anass MACHLOUKH


L’info…Graphie
Marocains du Monde : Comment éviter la fracture intergénérationnelle ?


Représentation des MRE
Le CESE réticent à l’idée de circonscriptions électorales !
 
Lors de la réforme du code électoral, la question du vote et de la représentation des MRE dans les assemblées élue (Parlement et autres) s’est vivement imposée dans le débat public. Le Parti de l’Istiqlal en a fait même un sujet central dans ses doléances. Le rapport du CESE n’a pas éludé ce débat. Il a plaidé simplement pour « développer la participation et la représentation des MDM dans les institutions consultatives, de régulation et de bonne gouvernance », tout en recommandant de mettre en place les dispositifs matériels, notamment digitaux, renforçant la participation des MDM aux scrutins législatifs.

Concernant la création de circonscriptions électorales dédiées aux MRE, aussi bien Ahmed Réda Chami que Fouad Ben Seddik se sont montrés réticents à cette idée. Selon Fouad Ben Seddik, la représentation parlementaire d’une diaspora n’existe que dans quelques pays comme la France, l’Espagne et le Portugal.

Selon eux, il est inutile, sur le plan pratique, que le Maroc réserve une représentation parlementaire aux MRE. L’article 17 de la Constitution, rappelons- le, stipule que « les Marocains résidant à l’étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d’être électeurs et éligibles. Ils peuvent se porter candidats aux élections au niveau des listes et des circonscriptions électorales locales, régionales et nationales ».

 


Investissement
Marocains du Monde : Comment éviter la fracture intergénérationnelle ?
Ouvrir le Fonds Mohammed VI aux transferts des MRE
 
Pour une meilleure association des Marocains du Monde (MDM) au développement du pays, le rapport recommande « d’ouvrir activement le Fonds Mohammed VI pour l’investissement aux apports des MDM et/ou mettre en place un fonds d’investissement dédié aux MDM dans le but de consacrer des ressources à des activités ayant un impact positif social et environnemental, au « private equity », et à l’économie sociale et solidaire ». Une façon de leur permettre de financer des projets en plus d’être des porteurs de projets.

Ahmed Réda Chami a expliqué que le Fonds Mohammed VI est, dans ce cas, un moyen d’attirer l’épargne des MRE pour la réinvestir dans des projets productifs. « C’est une sorte de fenêtre vers l’investissement », a-t-il poursuivi, en insistant sur l’importance d’améliorer le climat des a aires. Le Conseil a fait une hypothèse sur la plus-value d’une telle initiative. « Si trois millions de Marocains actifs à l’étranger contribuent à hauteur de 100 euros par moi, pendant cinq ans, on disposait de 180 milliards de dollars », a confié Fouad Ben Seddik.

Par ailleurs, le Conseil préconise d’encourager les acteurs du secteur financier marocain « à développer des produits d’épargne et de retraite complémentaires et attractifs dédiés aux MDM ». Outre cela, comme les conseillers économiques placés dans les ambassades ne suffisent pas, il est recommandé de créer des Chambres de commerce du Maroc avec la participation active des MDM opérateurs économiques dans les pays de résidence. Le rapport n’a pas manqué de revenir sur le sujet récurrent des compétences mal exploitées. La volonté est là, il suffit d’agir. 58,62% des MRE interrogés se sont déclarés satisfaits de leur savoir-faire.

Cela a poussé le Conseil à plaider pour « l’organisation des transferts de compétences et l’encouragement actif des échanges et de la co-construction avec les talents marocains expatriés, dans tous les domaines ». Actuellement, il est encore difficile d’attirer les compétences faute d’incitations.
 


3 questions au Professeur Abdelfattah Ezzine
Marocains du Monde : Comment éviter la fracture intergénérationnelle ?
« Les MRE représentent un soft power sous-exploité »
 
Abdelfattah Ezzine, professeur-chercheur à l’Institut Universitaire des Etudes Africaines, Euro-Méditerranéennes et Ibéro-Américaines à l’Université Mohammed V de Rabat, a répondu à nos questions.

– Que pensez-vous de la proposition du CESE qui plaide pour le retour d’un ministre délégué chargé des MRE ?

– Il ne s’agit pas seulement d’avoir un ministère, mais plutôt une politique transversale, étant donné que la migration aujourd’hui ce n’est pas uniquement des services, mais aussi de l’ingénierie créative de toute une société en mouvance dans le cadre de la mondialisation.

D’un avis personnel, j’estime que la Trans-nationalité qu’on a au Maroc, si elle est accompagnée d’une bonne politique, peut aider à desserrer l’étau autour de cette mondialisation néolibérale et sauvage. Dans la perspective de défendre les intérêts des MRE, il nous faut absolument une politique et une structure qui assurent la coordination, mais le plus important c’est d’arrêter de traîner les casseroles, notamment en ce qui concerne le dossier des Marocains expulsés de l’Algérie, de cette manière, les MRE auront confiance du rôle de cette structure.

– Que pensez-vous de l’idée d’ouvrir le Fonds Mohammed VI aux Marocains du Monde ?

– C’est une bonne idée pour bien gérer la participation économique des Marocains résidant à l’étranger, mais je souhaite que ses retombées ne soient pas juste au niveau « Macro », mais aussi au niveau « Micro ». Les gens émigrent de certaines régions du Royaume d’une manière plus forte que d’autres, pour cela j’estime que les retombées économiques de cette démarche ne doivent pas être concentrées juste au niveau national, mais aussi au niveau régional et locale, notamment dans les zones qui connaissent une pénurie de ressources humaines et d’infrastructures à cause de cette migration.

– Le CESE a conclu que plus les MRE sont bien intégrés dans leur pays d’accueil, plus ils sont attachés à leur pays d’origine, qu’en pensez-vous ?

– Je trouve que ce constat est très intéressant, puisque en s’intégrant dans d’autres pays, les MRE sont en train d’arrimer le Maroc et enrichir son existence au niveau international. C’est une forme de soft power que le Royaume doit intégrer dans son arsenal pour avoir un poids sur « la paix internationale », étant donné que concernant le soft power, il s’agit d’un ensemble d’ingrédients socio-culturels, de croyances humaines et de valeurs. Si on maîtrise ces ingrédients et on adopte une politique adéquate, nous arrivons à outiller nos Marocains du Monde à être nos ambassadeurs.

Recueillis par Yassine ELALAMI

 



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