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Abécédaire amoureux : que dit vraiment votre langage de l’amour ?

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« C’est lui », « C’est elle », « On s’est trouvés »… Nos histoires d’amour sont uniques, pourtant elles sont mises en paroles, commentées et vécues avec des mots partagés par tous. Que dévoilent-ils de la nature de nos sentiments ? Déjà auteure de « Je parle comme je suis. Ce que les mots disent de nous », la linguiste Julie Neveux publie un essai de linguistique hybride et génial qui fera date. Tout simplement parce que « Le Langage de l’amour » (éd. Grasset) est ni plus ni moins que l’équivalent pour les années 2020 de l’ouvrage de Roland Barthes « Fragments d’un discours amoureux », devenu culte dès sa parution à la fin des années 1970. Comme Barthes en son temps, Julie Neveux raconte l’amour d’aujourd’hui : les pincements au cœur lors des premiers SMS, le langage chamboulé par les usages d’Internet, les anglicismes à gogo, l’écriture inclusive… Le registre amoureux est traversé par les changements de la société, la foi dans le couple n’est plus la même, la pudeur non plus, mais l’intensité avec laquelle nous vivons l’amour reste identique. Le monde va si mal en ce moment que ce livre est un baume à offrir à ceux que l’on aime. Une histoire d’amour tendre et espiègle sert de support romancé à l’analyse de Julie Neveux, qui déroule tous les stades d’une belle rencontre entre une Juliette et un Roméo d’aujourd’hui, depuis l’éblouissement des prémices jusqu’à la constitution du couple, mais aussi le moment où le bateau se met à tanguer, jusqu’à la rupture. Drôle et hyper moderne, cette jeune femme, pleine d’esprit, mêle des références littéraires pointues à celles de séries télé et des paroles de chansons. Quand Barthes ou Flaubert croisent Bergman et la série « Fleabag », mais également Barbara, NTM ou Jul… Agrégée d’anglais, normalienne, dramaturge, cette prof en linguistique à la Sorbonne, que l’on devine grande amoureuse et vraie romantique, se prête pour nous au jeu de l’abécédaire.    

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À quoi tu penses ?

« Cette question arrive souvent dans le moment de redescente après le coït ! Elle exprime le désir de prolonger cette intimité, de rester collés jusqu’à vouloir connaître les pensées de l’autre pour que la fusion ne cesse jamais. Le paradoxe, c’est qu’à cet instant, l’autre ne pense pas. Il est dans un état de langueur, d’ouverture ou de volupté, que cette question vient interrompre. Au fond, en contraignant l’autre à élucider ses pensées, on accentue la distance. »

Mon bébé                                                                      

« Mon bébé, ma puce, mon loulou… : les petits noms de l’amour apparaissent quand l’amour devient possession. Ce mode d’affection linguistique permet de faire exister l’unicité d’une relation, de dire “tu es ça pour moi, et seulement pour moi”. À la fois mignon et excessif, “mon bébé” me fait rire parce que c’est le plus infantilisant ! On sent ici une pulsion d’aliénation : on dit simultanément “tu es ma petite chose, tu es vulnérable, je vais te chérir”, mais aussi “je suis là pour toi quoi qu’il arrive, tu peux me faire tout ce que tu veux”. Le risque de ces petits noms est de réduire l’identité de l’autre à la seule relation qu’il a avec soi. C’est une forme d’abêtissement joyeuse et tendre, parfois gaga, mais qui peut aplatir celui qu’on aime, au risque de l’enfermement ou de l’asphyxie. Un cocon linguistique en même temps qu’une prison ! »

C’était écrit                                                                                                                  

« On présente la rencontre comme inscrite dans le destin, comme pour élucider le foudroiement de l’amour et reprendre pied après le moment extraordinaire de la découverte de l’autre. Cette idée permet le plaisir de mettre en scène cette histoire, forcément la plus belle de toutes les histoires d’amour de la terre. En construisant un récit qui rappelle l’inéluctable de cet amour, on transforme le hasard en destin. On voit des signes, on surinterprète tout, comme si une force extérieure avait décidé pour nous. Cela rend l’amour unique, nécessaire, et justifie que l’on y cède, en faisant taire les doutes. Le récit prend une ampleur épique qui nous aide à solidifier le lien. »

J’ai un coup de foudre                                            

« C’est une métaphore ancienne indispensable, qui permet de dire à la fois la lumière projetée sur la personne qu’on est en train de rencontrer, et comment, sous ce choc, tout le reste du décor plonge dans la pénombre. Le coup de foudre est rare, il ne préjuge pas de la suite de l’histoire d’amour, mais il restitue la brutalité du choc émotionnel. »

Chuis pas jaloux, mais…                                            

« Une réplique typique de jaloux ! Elle commence par le déni, puisque la jalousie est très mal considérée. Personne n’a envie de l’être. Dans le théâtre ou le roman, le jaloux est le personnage ridicule, le faible du couple, le repoussoir. Ce sentiment humain douloureux est l’envers du désir de fusion. L’idée que l’être aimé nous échappe est angoissante. Notre dépendance à l’amour nous fragilise, surtout si on la vit comme une prise de risque que l’autre n’accueille pas. C’est une tragédie : plus l’autre résiste, plus on sombre dedans. Même le langage devient suspect, les mots changent de sens, dans un cercle vicieux infernal qui enfonce le jaloux. Il va surinterpréter chaque mot pour débusquer le moindre signe de trahison. Son esprit turbine en dehors de la réalité. »     

Et si on se rappelle jamais ?                                                                                  

« Au seuil d’une histoire d’amour, on bascule dans un grand moment d’hésitation et d’incertitude. C’est un temps de rêverie où on envisage tous les scénarios possibles, une explosion de fantasmes et de créativité qui peut tourner à vide, puisqu’on imagine tout ce qui pourrait ou non avoir lieu. Le lien à l’autre est très aléatoire, c’est le moment de la contingence pure, du fantasme pas encore confronté à la réalité. »

Faut qu’on parle…

« Le début des ennuis… C’est une formule traître parce qu’elle semble proposer un dialogue, alors qu’elle arrive souvent trop tard et signifie “je n’en peux plus, j’ai besoin de partir”. Elle fait naître l’espoir d’une discussion, sauf qu’elle sonne le glas de leur amour. Et elle dit surtout “il faut que je te parle”, signe que la discussion a échoué auparavant. L’impératif de parler ne concerne que celui qui envisage de partir ! »

Il était une fois…                                                                                        

« En couple, on aime se raconter la rencontre comme le début idyllique d’un conte de fées. On partage avec les autres on la fête à chaque anniversaire. C’est le mythe fondateur du couple, le récit commun des origines qui contribue à le solidifier. Très beau, très précieux. Avec le temps, ce récit se fige petit à petit, devient une ritournelle sucrée nécessaire, mais… en convoquant sans cesse le passé, elle montre aussi en creux combien on a tous du mal à vivifier l’amour au présent, à créer un récit commun au sein d’un quotidien que l’on peine à glamouriser. Dommage. »

Je t’aime                                                                                        

« Le tout premier “je t’aime” est un risque et une déclaration. Il clarifie un sentiment qui, tant qu’il n’est pas formulé, reste opaque à l’autre et parfois même à soi-même. Si l’autre accueille ce qu’on lui propose, il va dire “moi aussi, je t’aime”. C’est beau. Cela devient une formule performative, qui modifie la réalité. Ce mini-dialogue change la donne, c’est la reconnaissance du lien amoureux et la possibilité d’en faire quelque chose. Ensuite, au long de la vie d’un couple, “Je t’aime” prendra une signification différente selon le contexte, et pourra dire, par exemple, “merci”, “bon courage”, “bonne journée”, “je te soutiens”… »

Juste toi et moi                 

« C’est la naissance du duo amoureux, quand le couple est au plus intime de son histoire. On entend le désir de fusion, l’idée que l’autre est tout pour moi et que je suis tout pour lui. On se suffit, on se comble dans cette complétude. Un moment magnifique. Les pronoms suffisent, parce que l’on sait qui est l’autre, c’est tellement évident que l’on n’a plus besoin d’expliciter. C’est le maximum de la connivence, de la complicité, du chuchotement. »

Mon ex                                                                                        

« Très paradoxal. Avec “mon”, on inscrit cette personne dans son entourage proche, avec un réflexe d’ancien propriétaire, une forme de fierté, pour signifier combien elle a compté pour nous. “Ex” est un préfixe qui se met devant toutes sortes de mots, mais le domaine des sentiments est le seul où l’implicite est tellement fort qu’il n’a pas besoin d’être précisé. L’amour est tellement central dans nos constructions mentales que tout le monde comprend. »

On l’a fait                                                                                        

« Cet euphémisme permet de dire qu’on a fait l’amour sans vraiment le nommer. C’est une évidence… comme si la seule chose la plus importante à faire dans la vie, la chose la plus indicible, sacrée et précieuse, c’était l’amour ! Les non-dits linguistiques, sous forme d’ellipses ou d’euphémismes, s’épanouissent dans les contextes de nos vies où il y a de l’innommable, de la pudeur, du tabou… »

Pour toujours                                                                                         

« Cette promesse dit le besoin des amoureux passionnés de viser l’éternité. L’amour puissant est un moment où nous sommes ramenés à notre dimension matérielle, corporelle, puisqu’on éprouve du désir, mais aussi à notre dimension la plus exaltée, spirituelle. Nous sommes comme portés, hissés hors de notre condition humaine, jusqu’à imaginer sortir de l’échelle du temps. Ce “toujours” confiant dans la puissance de l’amour signifie aussi “au-delà de la mort”. C’est magnifique quand c’est une pure déclaration d’amour intense… Mais si cela se traduit ensuite par une attente de quelque chose qui serait dû, cela est très différent, c’est un genre de contrat qui peut faire fuir ! »

Stop aux SMS ?                                                                                         

« C’est un fait nouveau dont on n’a pas encore pris la mesure. Beaucoup de relations commencent de cette manière écrite/orale qui laisse libre cours à l’illusion, à la méprise sur ce que l’autre est vraiment. Cela crée de facto une très grande intimité immédiate. C’est très jouissif, intense, addictif et facile, l’effet est immense. On a l’impression qu’il se passe quelque chose, alors que ce n’est qu’un mode de communication. L’interaction dans la vraie vie reste beaucoup plus difficile ! La disproportion entre l’excitation induite et la connaissance réelle d’une personne est immense et, me semble-t-il, potentiellement toxique pour la suite. C’est seulement une connivence de surface, une appréhension très partielle de l’autre qui va forcément, dans le réel, se révéler différemment. »

Tu aimes ça ?                                                                                        

« Commenter les gestes de l’amour pendant qu’on le fait permet de signifier que l’on y consent, de demander à l’autre ce qu’il ressent et s’il y consent. C’est aussi se mettre en scène comme sujet érotique (je te prends) ou comme objet (prends-moi). Ce répertoire érotique permet des jeux de rôle qui nous aident à nous mettre dans la peau de la personne sexuelle, il nous excite et permet de confirmer à l’autre notre participation corporelle mais aussi mentale, donc c’est très rassurant. Le seul risque, avec un registre transgressif, c’est de heurter la pudeur de l’autre et de briser l’excitation avec un mot mal reçu… Cette verbalisation peut être ludique et connivente, mais elle a des limites ! »

Tomber amoureux                 

« On perd le contrôle, on “tombe” parce que c’est la sensation que provoque l’irruption du désir en soi. Notre corps se rappelle à nous, on se met à désirer, on éprouve des sensations décuplées. On passe de notre tête à notre corps, c’est en ce sens que j’interprète cette idée de la chute, comme une descente dans le centre du corps. »

Viens je t’emmène                                                                                         

« Avec la naissance de l’amour, il y a l’idée d’un voyage qui commence, formulé avec des métaphores qu’on retrouve parfois dans les poèmes ou les chansons, comme “faire un bout de chemin ensemble”. C’est le même champ sémantique que celui de l“’aventure”. On sort du présent de la cristallisation, on a besoin de s’imaginer en mouvement ensemble… L’amour est toujours un déplacement. »

« Le langage de l’amour », de Julie Neveux (éd.Grasset)

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