Santé

« Alice et les Infidèles » : 37 ans, mariée, 2 enfants, comment j’ai décidé de m’inscrire sur Gleeden

Je ne saurais vraiment expliquer pourquoi, un soir, c’était un peu après la Toussaint, alors que je me trouvais au lit, j’ai décidé de m’inscrire sur Gleeden, le mystérieux site dédié aux rencontres extra-conjugales fondé en 2009 par les non moins mystérieux frères Truchot – dont on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’ils se dorent désormais la pilule sous le soleil de Miami en faisant fructifier leur empire dans divers secteurs (sex-toys, football…).

Je crois que je m’ennuyais et que la perspective de l’hiver qui s’annonçait, avec son manque de lumière, ses courses à flux tendu au Monoprix et son lot de maladies infantiles, m’angoissait un peu. Je venais également d’achever la lecture de l’excellent roman « Le Cœur et le Chaos » de Jennifer Murzeau (Ed. Julliard) dans lequel Alice, chirurgienne de 40 ans, exprime son rejet des conventions sociales en trompant son compagnon avec de multiples amants rencontrés sur la fameuse plateforme à la pomme croquée.

Sous influence

Quelques jours auparavant, lors d’une soirée, une amie à qui j’avais confié, passablement ivre, que j’en avais un peu marre de naviguer sur une mer plate, sans surprises ni frissons, m’avait avoué qu’elle avait eu sa « petite période » Gleeden. Comme pour la Alice du roman, son couple n’avait pas tenu. Mais elle ne regrettait pas l’expérience, au contraire. Tout en me resservant une rasade de mauvais rouge, elle m’avait glissé, d’un air malicieux : 

« Tu vas voir, c’est un monde fascinant. » 

J’en étais donc là. 37 ans, mariée, deux enfants… et bientôt un double numérique de moi-même, plus séduisant et plus bronzé que dans la réalité, sur undarksite à la réputation à la fois sulfureuse et creepy, il faut bien se l’avouer. Dans mon esprit candide et monogame, Gleeden était un peu à la rencontre 2.0 ce que Vinted était au shopping de mode : le fond du panier.

Tromperie depuis le lit conjugal

Sans me cacher outre mesure de mon homme, plongé dans sa lecture du « Bûcher des vanités » de Tom Wolfe et à mille lieues de se douter de ce qui se tramait dans le lit conjugal, j’ai commencé à renseigner mon profil. Pour le pseudo, facile. J’ai repris le prénom Alice, qui présentait l’avantage d’être l’inverse du mien et d’évoquer l’héroïne du conte de Lewis Carroll.

En guise de description, j’ai décidé de surprendre mes futurs prétendants, qui semblaient avoir la fâcheuse tendance à faire des tartines sur leur vie, de leur œuvre et de leurs attentes, avec un hashtag un brin provocateur : #PostPartum.

J’ai saupoudré le tout de quelques tags qui me semblaient importants, comme le fait par exemple que j’étais fumeuse et née sous le signe du scorpion. Rien que du vrai, de l’authentique.

Dernière mission, et non des moindres, le choix de la photo. Après une longue hésitation, j’ai fini par sélectionner une silhouette de moi prise à contre-jour sur la plage, l’été dernier. S’agissant enfin de l’album privé, dont l’accès est strictement soumis à mon approbation, j’ai osé y dévoiler mes jambes perchées sur des talons de 12, ainsi que mon visage immortalisé dans le miroir de la salle de bains d’un hôtel breton lors d’un week-end en amoureux.

Une entrée fracassante

À peine avais-je validé mon compte qu’une dizaine de candidats à la débauche se manifestait déjà sur le tchat.

– « Bonsoir Alice, et bienvenue dans la confrérie des gens fidèlement infidèles ! »

– « Alors Alice, ça glisse au Pays des Merveilles ? »

– « Belle femme… Dites-moi Alice, aimez-vous les tables étoilées et les sacs à main de luxe ? »

– « Coucou toi, une petite sodo pour te guérir de ta dépression post-partum ? »

Au bout de quelques secondes, j’avais déjà une trentaine de messages de cet acabit(e) en attente. Je me suis déconnectée direct, effrayée par un tel déferlement de débilités salaces. Pour le coup, j’avais l’impression non pas d’être Alice mais le lapin en redingote catapulté, de nuit, sur une autoroute et prêt à se faire aplatir par quinze poids-lourds. C’était glauque. J’ai éteint la lumière, me suis roulée en position fœtale. Quelques instants plus tard, j’ai entendu mon conjoint faire de même.

J’avais l’impression, troublante, d’être tombée sur une mine d’or… et de merde.

Vers 2 heures du matin, mon téléphone a vibré sur la table de chevet. J’ai sursauté. Mince, je n’avais pas pensé à désactiver les notifications ! Manquait plus que je me fasse griller. Je me suis retournée vers mon mari pour m’assurer qu’il dormait puis je me suis glissée hors du lit pour rouvrir Gleeden dans le canapé du salon. À la lueur de mon écran, j’ai replongé dans toute cette « matière ». J’avais l’impression, troublante, d’être tombée sur une mine d’or… et de merde.

– « Slt Alice, envie d’une bonne grosse queue ? »

– « Félicitations pour votre récent accouchement. Garçon ou fille ? »

– « Hmmm très très bandante… j’adore… »

– « Vous êtes une femme vraiment très attirante et mystérieuse… »

– « Psy à Paris, je peux vous recevoir dans mon cabinet. Tentée ? »

– « Je bande comme un taureau rien qu’en imaginant tes petits seins en poire. »

– « Avez-vous envie de jouir, Alice ? »

– « Et j’ai crié, criéééé Alice pour qu’elle revienne… Alliiiiiiccccee !!! »

Je me suis bouché mentalement le nez et j’ai persévéré. Peu à peu, mon cerveau s’est habitué à ce nouveau langage mâtiné de vice et de cordialité. La journaliste en moi était surexcitée. La femme, elle, clairement moins. Quant à la féministe, elle était en PLS.

Et la galanterie dans tout ça ?

J’ai délaissé le tchat en direct – trop invasif – pour les messages privés. Jordan, agent immobilier de 28 ans, me demandait si j’acceptais de devenir sa « déesse » pour le dominer : « gode, ceinture, coups dans les couilles, uro… » était-il précisé dans sa requête qui s’achevait par « Au plaisir de vous lire ». Fabien, trader de 34 ans résidant à Londres, souhaitait pour sa part « lécher ma culotte sale » avant de se branler avec puis enfin de me sodomiser lors de ses fréquentes venues à Paris.

Heureusement, d’autres utilisateurs, des seniors en général, se montraient plus galants. À l’exemple de Jean, médecin généraliste de 62 ans, qui m’entreprenait pompeusement : « Permettez-moi de vous féliciter pour votre belle silhouette et votre corps extrêmement bien entretenu nonobstant le manque de visu de votre visage que je subodore aussi parfait que le corps… » Quand j’ai cliqué sur son compte, j’ai découvert un homme rougeaud au crâne dégarni, affublé d’une chaussette de sport sur chaque oreille, lui donnant un air de lapin triste et déconfit. Le lapin d’Alice.

J’ai fini par aller me coucher sans avoir répondu à aucune de ces étranges sollicitations. J’avais besoin de les digérer, je crois. J’ai quand même envoyé, pour rigoler, une capture écran de « Monsieur Chaussettes » à Jacinthe, ma meilleure amie, qui m’a répondu depuis le club où elle se déhanchait : « Mon Dieu. Mais qu’est-ce que tu fais ?? »

À vrai dire, je n’en savais foutrement rien.

Signes du destin ?

Quelques jours plus tard, alors que je descendais laborieusement d’un bus bondé avec mes marmots, je suis tombée sur une publicité pour Gleeden dont l’accroche était : « Que tu es belle. Depuis quand n’avez-vous pas entendu ces mots… ? » J’ai souri. Décidément, l’infidélité me pourchassait. En remontant la rue, chargée de mes courses et d’une trottinette Globber, j’ai réfléchi à cette question. Effectivement, ça faisait un bail que ma moitié ne m’avait pas lâché un compliment. Deux semaines – peut-être trois ? – que l’on n’avait pas fait l’amour. On est claqués aussi, je me suis dit en fouillant dans mon sac pour y trouver mes clés.

Étais-je susceptible pour autant de basculer dans l’infidélité comme les 33 % des femmes mariées ?

Je suis remontée à l’appartement en continuant à nous chercher des excuses. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de repenser à la manière dont j’avais regardé un homme dans ma librairie de quartier. Je l’avais trouvé absolument ravissant et je m’étais surprise à le suivre, comme aimantée, dans les rayons. Clairement, il y avait un truc qui ne tournait pas rond. Ou en tout cas, qui me travaillait. Mais étais-je susceptible pour autant de basculer dans l’infidélité comme les 33 % des femmes mariées interrogées par Ifop en 2016 (contre 49 % pour les hommes) ?

La désillusion

J’ai mis les enfants devant un dessin animé dans la chambre. Je me suis fait couler un café et me suis assise sur le canapé. Machinalement, je me suis connectée à mon compte. J’avais des dizaines de mails non lus, tous plus pathétiques les uns que les autres. J’ai allumé une cigarette à la fenêtre. J’ai repensé au garçon de la librairie. Je me suis dit que je n’étais pas faite pour les applis, moi qui n’ai jamais mis les pieds ni sur Adopt, ni sur Tinder. Ça va.

Avec mon pédigrée, je peux bien arriver à choper dans la « vraie vie ». Pas besoin de m’abaisser à racoler des vieux salaces sur un vulgaire forum. J’ai écrasé ma clope et me suis rassise dans le canapé. J’étais sur le point de supprimer mon compte pour de bon quand un certain Rabbit_Hole m’a envoyé un simple :

– « Bonjour Alice. »

J’ai cliqué sur sa photo. J’ai détaillé le dos musculeux, les fossettes dissimulées sous la barbe de trois jours, les cheveux noirs bouclés aux épaules. Mon cœur s’est mis à battre aussi fort que celui d’une lapine dans la cage d’un labo pharmaceutique. Mon bas-ventre me lançait comme des micro-décharges électriques.

Les doigts tremblants, j’ai répondu :

– « Salut… »

La suite au prochain épisode !

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