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Alice et les Infidèles : « Comment mon fantasme s’est transformé en obsession »

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Dans le TGV bondé qui nous emmène à Bordeaux pour le week-end, je scrolle Gleeden pour tuer l’ennui. En face de moi, dans le carré, mon mec est plongé dans son Tom Wolfe tandis que les jumeaux font des coloriages. Je fais défiler mes derniers mails reçus mais ne réagis à aucun.

Depuis une semaine, je suis focus sur une seule personne : Sayed, alias Rabbit_Hole, mon fantasme ambulant expatrié au Danemark (lire l’épisode précédent). J’ai l’impression d’avoir 14 ans. Je guette la moindre de ses relances, m’oblige à laisser passer au moins vingt minutes avant d’y répondre pour me donner un air détaché. Je dors mal. Je me réveille la nuit en pensant à lui. J’imagine notre première rencontre, élabore dans ma tête différents scénarios allant du plus romantique au plus débridé.

L’infidélité et le patriarcat

J’ai déjà l’impression d’avoir basculé dans l’infidélité. D’ailleurs, où commence-t-elle, l’infidélité ? Le seul fait de consacrer autant de temps à penser à un autre homme que le mien représente, pour la monogame que je suis, un début d’incartade. Je joue un jeu dangereux, je le sais. Heureusement qu’il habite un autre pays, ce qui réduit drastiquement les chances qu’il se passe quelque chose pour de vrai. J’espère arriver à éteindre l’incendie avant qu’il ne soit trop tard.

Je suis encore tout émoustillée par la photo de son torse

Mais si on arrivait à se voir, parviendrait-il à me faire « céder » ? J’ai toujours trouvé cette expression déprimante. Comme si une femme ne pouvait pas être à l’initiative d’un rapport sexuel. Comme si l’on était, par essence, faites pour être baisées et non l’inverse. J’en veux terriblement au patriarcat de nous avoir enfermées dans une tour d’ivoire du haut de laquelle on serait censées tout faire pour protéger notre supposée vertu.

Et, si par malheur, un prétendant plus agile que les autres arrivait à se hisser tout en haut pour nous prendre sauvagement, alors il faudrait imputer cette « faute » à une passion irrépressible, un amour fulgurant, qui aurait eu raison de notre bonne conduite. Comme si, en fin de compte, il nous était interdit d’être amorales, transgressives. Je trouve ça profondément injuste.

Secouer les mentalités masculines

Quand je m’en suis ouverte à Jacinthe, qui lit Mona Chollet, bell hooks et Gloria Steinem religieusement chaque soir, tout en enchaînant les « dates » insipides sur Tinder, elle m’a asséné, visage fermé : « Tu n’arriveras jamais à dynamiter le système en te comportant comme eux (les mecs). Tu vas perdre, dans tous les cas. Et puis je te rappelle que tu es mariée. » Sa sentence m’avait franchement agacée.

J’en veux terriblement au patriarcat de nous avoir enfermées dans une tour d’ivoire

Depuis mon inscription sur Gleeden, il y a près de six mois, j’ai l’impression, au contraire, de contribuer à faire évoluer – un peu – les mentalités masculines. J’ai parfois des discussions extrêmement intéressantes avec des utilisateurs qui finissent par admettre qu’ils gagneraient à arrêter d’objectiver les femmes et à prendre un peu plus en compte leurs propres émotions. Quand je lui ai rapporté ça, mon amie m’a coupée d’un air navré : « C’est du bullshit, ils (les mecs encore) finissent toujours par nous niquer ! » Du coup, je me suis bien gardée de lui parler du « nude » que j’ai envoyé à Rabbit_Hole avant de le retirer, prise de panique.

Rêverie et fantasme au dîner de famille

Cinq heures plus tard, me voici à table avec ma belle-famille. Je ne tiens pas en place. Je prends le moindre prétexte pour me rendre à la cuisine de façon à pouvoir vérifier discrètement si Sayed m’a envoyé un message. Au moment du café, mon mari, qui a fini par griller mon petit manège, me lance devant tout le monde : « Donc tu vas passer tout le week-end sur ton téléphone ? » Je baisse les yeux et me rassieds, rouge de honte.

Je tente de me faire oublier en feignant de rabrouer mes enfants, qui semblent décidés à démonter le store de la baie vitrée. Tandis que les « adultes » poursuivent leur conversation – « Tu avais déjà entendu parler de chemsex, toi ? » lance mon beau-père à mon conjoint en référence à l’affaire Palmade – moi, je continue à rêvasser sur Sayed.

Je suis encore tout émoustillée par la photo de son torse, ceint dans une simple serviette blanche, qu’il m’a envoyée l’avant-veille. Je me demande ce qu’il fait de son week-end. Je ne suis jamais allée à Copenhague mais je l’imagine volontiers déambuler dans des rues proprettes en doudoune et lunettes Ray-Ban au bras de sa compagne, sorte de Heidi Klum jeune, avec leurs fillettes.

– « Mais il est toujours avec Michèle Laroque ? » me demande mon mec en me donnant un coup de coude.

– « Hein ? »

– « Palmade. Il n’est pas avec Laroque ? »

Ma belle-mère ne me laisse pas le temps de répliquer :

– « Mais non, il était marié avec Sanson, mais c’était une couverture. »

– « Quoi, Pierre Palmade est gay ??? » s’exclame ma moitié.

J’éclate de rire. Un truc incontrôlable. Je n’arrive plus à m’arrêter. Mes beaux-parents me fixent d’un air interdit avant de se bidonner eux aussi. On en pleure. Au bout de quelques minutes, j’arrive enfin à articuler :

– « Mais chéri, tout le monde le sait ! »

L’étincelle parisienne

Au moment de me mettre au lit, je ne peux pas m’empêcher de souhaiter « Bonne nuit » à Sayed avec une photo de la lune prise depuis la fenêtre de la chambre. Je glisse mon iPhone sous mon oreiller et m’abandonne aux bras de Morphée. Vers 2 heures du matin, je me réveille en nage. Je crois que j’ai fait un cauchemar. J’attrape mon téléphone et ouvre Telegram. Je découvre alors une photo de la tour Eiffel illuminée légendée : « Et moi qui te cherchais. » Je cligne des yeux devant le cliché. Non, je n’ai pas rêvé, Sayed est bel et bien à Paris. Et moi à 600 bornes ! J’ai un énorme seum.

L’info tourne en boucle dans mon cerveau comme la sirène des pompiers. Sayed est à Paris. Sayed est à Paris. Je ne comprends pas qu’il ne m’ait pas prévenue de son arrivée. Moi qui pensais qu’il n’avait qu’une hâte de me rencontrer. Cela dit, il comptait peut-être me faire la surprise, et puis rien ne dit qu’il ne reste pas quelques jours pour le travail, auquel cas on aura certainement l’occasion de se croiser dans la semaine… Je lui envoie : « Je rentre demain soir. On se voit ? » À côté de moi, mon mari se met à marmonner dans son sommeil : « Ton putain de téléphone… » Je l’éteins aussi sec et essaie de me rendormir malgré les pulsations de mon cœur qui bat la chamade. En vain.

Une secousse émotionnelle

La journée du lendemain me paraît interminable. Sayed n’a pas répondu à ma proposition de rendez-vous. Tandis que l’on se promène en ville avec les enfants, je me demande à quoi a pu ressembler sa première soirée parisienne. L’a-t-il passée en compagnie d’une autre maîtresse Gleeden ? J’ignore combien on est à patienter sur sa liste, mais visiblement je ne suis pas sa priorité. Je sens monter en moi une colère sourde piquée de jalousie. Jalouse d’une potentielle femme qui aurait hypothétiquement couché avec un type que je n’ai jamais rencontré de ma vie ! Je suis vraiment pathétique.

Plus aucune envie de frayer avec des quadras déprimants

J’essaie de me calmer en me répétant que tous ces sentiments qui me traversent n’ont aucun sens parce que bâtis sur du vent. Mais rien à faire. Ce que je ressens est non seulement réel mais très désagréable. Je maudis Gleeden et les autres applications du même acabit de jouer avec nos nerfs, nos failles, nos carences affectives. Je les déteste pour leur capacité à détruire notre estime de nous-mêmes à coups d’algorithmes pervers et de mises en concurrence déloyales.

Si j’en avais les moyens, je les assignerais en justice, histoire de les obliger, a minima, à me rembourser mes séances de psychanalyse, que j’ai dû reprendre depuis que j’ai décidé de m’inscrire sur le site, tellement cette expérience me secoue. Soixante euros par semaine, quand même. 240 euros par mois, ce n’est pas rien.

Mise à jour de la recherche

Dans la voiture conduite par mon beau-père qui nous ramène à la gare, je consulte une énième fois Telegram. Toujours rien. J’ouvre Gleeden pour vérifier son statut de connexion. Son voyant est rouge, ce qui signifie qu’il s’y est rendu récemment. Je serre les dents. OK Sayed, tu veux jouer, tu vas être servi. Je range mon téléphone le temps de dire au revoir et de monter à bord du train.

Une fois partie, je vais me poser au wagon bar, déterminée à faire le plein de nouvelles targets. Plus aucune envie de frayer avec des quadras déprimants, à partir de maintenant je veux uniquement du jeune et joli. Dans le champ de recherche, je sélectionne ma nouvelle tranche d’âge désirée : 20-30 ans. Ça lui fera les pieds à Sayed. « Alice la Milf » est dans la place !

Le candide jeune amant

Au bout de quelques scrolls, je finis par débusquer Felipe, 25 ans. Une gueule d’ange blond. Une peau dorée de surfeur. Il se présente comme un jeune étudiant en master originaire de Saint-Jean-de-Luz. Nickel. Je lui envoie un coup de cœur virtuel assorti d’un « Hello émoji sourire ».

Celui-ci ne tarde pas à me répondre. Il m’explique qu’il cherche une femme « mature », d’au moins dix de plus que lui, pour une aventure plus ou moins suivie. Je lui demande s’il a déjà trouvé son bonheur sur Gleeden. Il me dit « Pas encore ». Je serai donc la première ! Il me précise qu’il vit en coloc mais qu’il peut me recevoir durant la journée, car il n’y a personne. « Ça fait un peu gamin dit comme ça, mais je te promets que tu ne vas pas le regretter » s’empresse-t-il d’ajouter. Son audace et sa candeur me ravissent. Je décide de l’enregistrer dans mes favoris et de reconsidérer sa proposition à tête reposée. Je retourne m’asseoir dans le carré. L’arrivée à Paris est imminente.

Vingt minutes plus tard, alors que l’on s’engouffre dans un taxi devant la gare Montparnasse, je m’aperçois que Sayed a fini par se manifester : « Excuse-moi, j’ai passé la journée au chevet de ma mère. Je reprends l’avion ce soir… Mais je pense fort à toi. » Et comme par magie, j’oublie toute ma rancœur.

La suite au prochain épisode !

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