Santé

Alice et les infidèles : « Comment un faux-plan m’a fait douter de mes prochains dates  »

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Rude semaine. Le journal auquel j’espérais vendre une série de reportages me l’a refusée en bloc. J’ai découvert le mail de la rédactrice en chef au réveil. Moi qui suis d’un naturel obstiné, je commence à être lasse de ma vie de pigiste payée au lance-pierre. Pire, je me suis mise à douter de la pertinence de mes idées, de mon intelligence, de mon talent. Et mon mari, toujours prompt à me soutenir, ne se gêne pas pour en rajouter une couche : « Il faut parfois toucher le fond pour rebondir », me lâche-t-il en mâchant sa tranche de pain Harris tartinée de Bonne Maman.

Rendez-vous explosif

Si je voulais être vilaine, je leur balancerais, à son CDI et lui, que j’ai rendez-vous ce soir avec un beau gosse de Gleeden. Non, pas un beau gosse. Une bombe. Mais c’est vendredi, il est 7h53, et je dois filer me laver. Les enfants sont encore en pyjama, il faut se dépêcher. 

Sous la douche, je pense à la photo de Charles, le torse à moitié immergé dans une piscine, le visage déformé par l’effort. Dans la section « hobbies », il a renseigné « water-polo ». Voilà. Ce soir, j’ai rendez-vous au Zimmer, place du Châtelet, pour boire un verre avec Charles, 29 ans, trader à La Défense et champion de water-polo. Et cette seule perspective suffit à me donner l’énergie de sortir de chez moi et d’affronter la vie.

Sur le chemin de l’école, je talonne mon mec en consultant Gleeden. Cédric, le fétichiste des pieds, me propose pour la énième fois de se retrouver à la pause déjeuner au Love Hotel de la rue Sainte-Anne. Il me fume celui-là ! Je décide de le bannir définitivement. Done.

J’ouvre Telegram. Charles m’a envoyé une photo. Ou plutôt un selfie. Je clique, mes yeux sortent de leurs orbites. Une pure gueule d’ange. Le teint mate, les cheveux bouclés, les yeux noisette, la bouche pulpeuse, un grain de beauté juste au-dessus. Cindy Crawford en mec. 

Il m’écrit juste après : 

– « Salut, c’est Charles de Gleeden. » 

– « Oh CDG ! Comme l’aéroport ! »

– « Haha. T’es drôle. À ce soir. » 

Esprit en voyage

Après avoir déposé notre progéniture, on se « sépare », mon mari et moi, au pied du métro. Lui part au bureau, quant à moi, je décide d’attendre l’ouverture de la bibliothèque à la terrasse du Flash. Je commande un crème au patron chinois, allume une cigarette et sors mon téléphone pour mater une nouvelle fois la photo de mon avion de chasse

Pile à ce moment-là, je sens quelqu’un frôler ma cuisse en s’asseyant sur la chaise à ma droite. Cette manie qu’ont les gens, à Paris, de se coller les uns aux autres, ça me tend d’une force… Je lève des yeux furieux vers l’individu. Aymeric, le papa de la petite Lola, me décoche un grand sourire.

D’un coup, j’ai une suée. À-t-il eu le temps d’apercevoir CDG sur mon écran qui, visiblement, ne portait pas de tee-shirt ? Par réflexe, je retourne mon téléphone sur la table. 

– « Tu t’es inscrite ? » me demande le quadra d’un ton enjoué.

Mon coeur fait un Fosbury au-dessus d’une artère :

– « Pardon ? » 

– « Sur le site. T’es inscrite ? » me répète Aymeric.

– « Le site… ?? » 

– « Bah l’ENT, le truc de l’école, tu sais, pour mardi… » 

Je percute. Aymeric veut savoir si je fais partie des parents volontaires pour encadrer la sortie de classe au cinéma. J’éclate de rire en mode « Bien sûr que non ! J’ai une vie, moi. LOL !!! » Aymeric me dévisage à présent comme si j’étais folle.

Oui, je sais, je n’ai pas tellement le look de la femme active en ce moment, plutôt celui d’une chômeuse en fin de droit. Mais bon, je suis journaliste-pigiste, il faut me comprendre. Je peux écrire le cheveu gras et en Crocs, si ça me chante. Ça n’altère en rien la qualité de mes chroniques – n’est-ce pas ? On échange encore quelques banalités à propos de nos enfants puis je file à la bibliothèque. Tandis que je m’éloigne, je sens son regard fiché entre mes omoplates. J’ai eu chaud.

Une attente craintive 

Je passe le reste de la journée à me débattre entre mon actualisation Pôle Emploi, l’écriture d’une chronique et la retranscription de notes pour un hypothétique roman. Je surveille l’heure. J’ai rendez-vous à 19 heures 30 au Zimmer. Je repasse chez moi déposer mon ordinateur et changer de tee-shirt. Devant mon dressing, je ne résiste pas à l’envie d’envoyer à mon tour un selfie plus que suggestif à Charles : « À tout de suite ! » J’enfile un autre tee-shirt et ressors.

Il fait bon ce soir, j’enfourche mon vélo. En dévalant le boulevard Saint-Michel, j’offre mon visage aux derniers rayons du soleil. Quand je fends l’île de la Cité, mon coeur se met à cogner. On se rapproche. Je gare ma bicyclette devant le théâtre du Châtelet, fais un dernier « check » dans le miroir de poche, et entre dans le café. Je suis un peu en avance. Je m’installe à droite le long de la baie vitrée, précision que je communique à mon « date ». J’ai faim et soif. Sans réfléchir, je commande du tarama au caviar avec des toasts grillés, plus un panaché. Cette commande ne ressemble à rien mais j’ai une excuse : je suis stressée. 

Garçon ? Un autre verre s’il vous plaît

Les minutes passent. Charles n’a toujours pas vu mon message. Les toasts et le tarama arrivent. Le panaché arrive. Je commence à manger et boire, lentement d’abord, je ne voudrais pas être surprise en train de me bâfrer. Je vérifie une nouvelle fois Telegram. Toujours rien. 

Je termine le pot de tarama au doigt, engloutis la fin de ma bière d’une traite. Quand le serveur me demande si je souhaite autre chose, je fixe la chaise vide en face de moi et articule :

– « Un autre panaché. »

– « En demi ou en pinte ? » 

– « Pinte, il ne va pas tarder à arriver… »

Le pingouin s’éloigne en haussant les épaules.

Au bout de trente minutes, il est clair que Charles ne viendra pas. J’écris à Raphael, mon meilleur ami, pour savoir ce qu’il fait. Je tombe bien. Son mec vient de le lâcher, il a une place en rab pour un spectacle dans un théâtre du Marais. Parfait, qu’il ne bouge pas, je suis à côté. Je règle mes consommations et sors récupérer mon vélo. Je slalome entre les voitures et les trottinettes jusqu’au BHV. 

Mirage amoureux

Raph me tombe dessus. Il me demande où j’étais. J’aimerais bien lui mytho mais je n’en ai pas la force, je suis déjà pétée et en plus, il sait. Jacinthe et lui sont les seuls à connaître mon délire sur Gleeden. Je lui avoue que je viens de me faire planter par un maxi beau gosse. Je joins le geste à la parole en lui fourrant mon téléphone sous le nez. 

Sans être surpris le moins du monde, mon ami me sort du tac au tac :

– « Ah c’est Kiko… »

– « Quoi Kiko ? Kiko qui ? » je lui fais, interloquée.

– « Bah Kiko Henriques, le mannequin portugais. C’est drôle, j’ai failli me branler sur lui ce matin. »

Je lève alors les yeux vers l’immense publicité Éric Bompard qui surplombe le BHV. Je cligne des yeux. Incroyable, c’est lui, qui nous toise ! Charles. Enfin Kiko… Quelle conne ! Je me suis fait totalement avoir, et en quatre par trois. Je me rue sur Instagram. En quelques scrolls, je retrouve la fameuse photo dans la piscine, qui est en fait une campagne Abercrombie. Quant au selfie de ce matin, il a été pris en décembre aux Canaries, où il réveillonnait avec sa petite amie, Alécia Morais, mannequin elle aussi. 

Je mate sa dernière story : comble de l’ironie, Kiko se trouve à quelques mètres de là, dans un studio photo, avec toute l’équipe du Vogue. Je range mon téléphone, dépitée. Mon pote se marre :

– « Si ça se trouve c’est vraiment lui et il a pris du retard ! »

Il me tire par la manche : « Allez oublie. » 

Mannequin Portugais, à temps partiel 

Pendant le spectacle, impossible de me concentrer. Je pense à la manière dont je vais pouvoir me venger. Je laisse passer le week-end avant de sonner la charge. Le lundi, je relance : « Alors c’était bien ton shooting pour Vogue ? » Contre toute attente, le goujat me répond que « Oui, tout s’est bien passé, merci. » J’embraye direct : « Mais t’es qui, en fait ? » En toute détente, le mec m’explique qu’il s’appelle Sébastien et qu’il s’est créé un faux profil car le « vrai » ne fonctionne pas des masses auprès de la gente féminine.

Il me refile sans que j’ai besoin de lui demander son autre pseudo. Quand je parviens à l’identifier, je découvre un gars en parka Balibaris avec un début de calvitie. Le sosie du comédien Benjamin Lavernhe qui jouait le marié dans le film « Le Sens de la fête ». Tu m’étonnes qu’il ait du mal à serrer, je ricane. On est loin, très loin, de Kiko Henriques. 

J’hésite à le couvrir d’insultes, à le menacer de l’attaquer au pénal pour « tromperie » – ça aurait du panache, tiens ! – voire pour « viol virtuel ». Mais les mots me manquent et je clos la conversation par une pirouette pitoyable : « Heureusement que je t’ai allumé avec un selfie d’Eva Mendès. »

Une safe-place frauduleuse 

Dans la foulée, je me fends d’un mail à l’assistance pour signaler le faux Kiko, captures écran à l’appui. Une heure plus tard, « Emma de Gleeden » – décidément, cette communauté raffole des particules- m’écrit qu’elle est navrée d’apprendre que j’ai eu une mauvaise expérience sur le site.

Elle me remercie chaudement de lui avoir fait remonter l’information, la plateforme étant farouchement engagée « au côté des femmes » pour censurer les propos haineux et fournir « un lieu de rencontre idéal et sécurisé ». Son service va enquêter sans tarder afin de déterminer si l’utilisateur a effectivement enfreint les règles. 

Je lui réponds ironiquement qu’utiliser les photos d’une star pour obtenir des « nudes », ça ne fait pas très « safe place ». Il va de soi que je n’aurais jamais dévoilé ma poitrine à Benjamin Lavernhe et que maintenant, je me sens flouée et salie.

EDG me le répète : elle est sur le coup. Quelques jours plus tard, sans nouvelles d’elle, je relance pour savoir si le compte a bien été clôturé. Je ne voudrais pas que d’autres utilisatrices se fassent avoir. Ce à quoi la modératrice répond de façon sybilline : « Nous le surveillons de près. »

Drôle de coulisse 

Je ne suis pas tellement étonnée par son inaction. Je suis peut-être naïve mais pas au point de gober le slogan fièrement mis en avant sur la home page : « Gleeden, la rencontre extra conjugale pensée par les femmes ! » 

Déjà, les fondateurs sont deux hommes. Deux frères même. Ravy et Teddy Truchot. Et je ne suis pas sûre que la première pensée qui les traverse, lorsqu’ils se lèvent dans leur penthouse baigné de lumière de South Beach, à Miami, est de savoir si leurs utilisatrices se sentent heureuses et épanouies. 

Et puis, ça serait trop bête de perdre un client capable de raquer pour deux profils – le panier moyen étant de 40 euros mensuels par membre sur Gleeden. Je suis même prête à parier le montant de ma pige pour cette chronique que derrière la mystérieuse Emma se cache en fait un Charles, un Sébastien, un Benjamin, ou bien un Kiko, qui sait ? On a encore le droit de rêver…

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