Santé

Alice et les Infidèles : « Je voulais du frisson, de l’inédit »

Je fais le pied de grue devant l’Orchidée, un modeste trois-étoiles proche de la gare Montparnasse. L’air est doux. Je sors mon téléphone. Mehdi m’a envoyé un message : il a été ralenti par le trafic sur le périph’, il ne devrait plus tarder à arriver. Je décide d’entrer dans l’hôtel pour l’attendre. À l’intérieur, la réceptionniste m’indique un patio arboré. Plusieurs clients sont attablés autour de jus d’orange fluorescents et de mini viennoiseries décongelées. Des hommes d’affaires en transit et un couple de touristes. Je prends place autour d’un guéridon en fer forgé et commande un allongé. Je promène mon regard le long de la vigne vierge qui court sur le mur d’enceinte, offre mon visage aux rayons du soleil matinal, savoure le calme inédit qui règne dans ce lieu anonyme et préservé de l’agitation extérieure. 

Je ne me sens pas du tout nerveuse. Au contraire. C’est moi qui ai proposé hier soir à ce jeune homme de 28 ans de réserver une chambre pour le lendemain. J’avoue être un peu lasse des échanges interminables et souvent vains sur Gleeden. Le jeune surfeur ferré dans le TGV à mon retour de week-end a battu en retraite, pris soudain de scrupules. Il avait une petite amie. Sans compter que je suis terriblement frustrée d’avoir loupé Rabbit_Hole, aka Sayed, lors de sa brève venue à Paris (ici l’épisode précédent). Je voulais du frisson, de l’inédit : je suis servie. Un serveur s’amène avec mon café.

Un scénario trop osé

Mehdi pénètre dans le hall habillé de cuir, casque de moto sous le bras. Il est beau. Un genre de Belmondo jeune, version rive sud de la Méditerranée. Je lui adresse un signe depuis la terrasse. Il me sourit et vient s’asseoir à ma table. « Tu n’as pas osé monter dans la chambre… » note-t-il. Effectivement, j’avais envie de voir à quoi il ressemble avant d’y aller, quitte à casser un peu le délire. Je le sens déçu, il aurait préféré qu’on s’en tienne à notre scénario. On avait convenu de monter ensemble dans l’ascenseur où il m’aurait embrassée, puis, une fois dans la chambre, je lui aurais prodigué une fellation avant qu’il me prenne debout contre le mur. Tout était parfaitement orchestré. Mais finalement, nous voilà assis l’un en face de l’autre comme le couple de retraités derrière nous.

Mehdi louche sur mon café d’un air résigné, regarde sa montre et hèle le serveur pour lui en commander un. Il ajoute : « Je savais que tu te dégonflerais, mais c’est pas grave. Moi aussi je flippais. » Je me surprends à poser ma main sur la sienne pour le rassurer. Ce garçon est vraiment à croquer. Je lui demande ce qu’il fait comme boulot. « Brancardier », même s’il est informaticien de formation. Je l’incite à m’en dire un peu plus. Il me scanne de ses yeux noirs : « C’est bizarre, j’ai l’impression qu’on n’est pas du tout là pour la même chose, toi et moi… En fait, tu veux tout savoir, c’est ça ? » 

Chez nous, on partage tout

J’acquiesce en silence. Il me raconte alors son histoire. Celle d’un gamin de Casablanca issu de la classe moyenne qui a rencontré sa copine, Samia, au lycée. Ils ont suivi les mêmes études à l’université avant de s’expatrier en France. L’oncle de Mehdi, qui habite Bagneux, héberge le couple le temps pour eux de trouver un appartement à louer. Deux mois après leur arrivée, ils emménagent juste à côté. Samia obtient rapidement un poste dans sa branche. Lui, non. Alors il enchaîne les petits boulots comme vendeur chez Footlocker, magasinier chez Franprix puis livreur Deliveroo. « Quand j’ai commencé à bosser, j’hallucinais sur votre mentalité. Le chacun pour soi. Chez nous, au Maroc, on partage tout. Ici par exemple, chacun paye sa part au restaurant. J’étais choqué ! » L’an dernier, un cousin lui dégote un job d’agent hospitalier à la Pitié Salpêtrière. Il s’intègre rapidement à l’équipe, se donne à fond. Après la fin de son contrat, il migre à Bichât où il dit s’épanouir. « J’aime l’ambiance, l’action, la solidarité avec les collègues. » 

Une nouvelle piste 

Ses collègues de l’hôpital sont vite devenus une deuxième famille, soudée autour du sport. Ensemble, ils s’entraînent quasi quotidiennement dans différentes disciplines. J’observe les muscles de ses épaules rouler sous son pull à col V tandis qu’il continue à me parler. Je ne peux m’empêcher de relever qu’il semble bien plus « tanké » que sur ses photos Gleeden. Comme s’il avait lu dans mes pensées, Mehdi concède avoir pris pas mal de masse ces derniers temps. Je lui demande de me détailler son programme. « Lundi, natation. Mardi, cross-fit. Mercredi, foot salle. Jeudi, re natation. Vendredi, boxe Thai… » Je le coupe : « Ça ne fait pas un peu beaucoup tout ça ? » Il baisse ses beaux yeux frangés de cils épais. À présent, il semble mal à l’aise. J’ai l’intuition qu’il y a là quelque chose d’intéressant à creuser. J’y reviendrai.

Je sentais que quelque chose le préoccupait

Quand j’aborde la question de son couple, le regard de Mehdi se durcit. Il me confie que, contrairement à lui, Samia n’est pas très sociable. « Ce qu’elle aime, c’est rester à la maison, regarder des séries Netflix dans le salon, téléphoner à sa mère et ses soeurs qui sont restées à Casa. Elle ne s’est fait aucune amie ici et en plus, elle n’a même pas le permis », explique-t-il sobrement. Il poursuit en fixant l’orchidée en plastique qui trône sur le desk de la réception : « Et puis… elle n’est pas très portée sur le sexe. Ça lui fait souvent mal pendant les rapports, elle ne me laisse pas la prendre comme je veux. Elle aime faire ça de manière traditionnelle, si tu vois ce que je veux dire. » Il me décoche un clin d’oeil coquin à la Bébel pour donner le change. Mais quelque chose le préoccupe, je le sens.

Peu après leur installation, leurs familles commencent à parler mariage. Au départ, Mehdi n’y prête pas trop attention. Samia non plus d’ailleurs, trop occupés qu’ils sont à s’intégrer. Mais au fil des mois, la pression se fait de plus en plus forte. « Pour nos parents, il allait de soi que l’on devait se marier. C’est dans l’ordre des choses, surtout chez nous. En plus, c’est moi qui ai insisté pour que l’on vienne ici. Alors je devais assumer et offrir à Samia la sécurité. » 

Quand la tromperie remplace l’ennui

Le confinement vient contrecarrer leur projet d’union religieuse au Maroc. Mehdi est soulagé. Il n’était pas pressé de passer devant l’imam. Cloîtré chez lui avec sa fiancée, il se débat contre l’ennui et la frustration sexuelle, qui ne fait qu’augmenter au fil des jours. Un soir, il s’inscrit sur Gleeden par curiosité. Il commence à discuter avec Carine, une assistante médicale de 42 ans et mère de trois enfants. Dès que les restrictions sanitaires sont levées, ils se retrouvent pour boire un verre. Carine lui propose de poursuivre la soirée à l’hôtel. « On entre, et là, c’est elle qui insiste pour payer ! se remémore-t-il. Moi je refuse, question d’honneur. Mais elle n’a pas voulu me laisser sortir ma CB. Elle m’a même engueulé ! Vous les Françaises, vous êtes vraiment barrées ! » Il se marre.

Mehdi n’a pas connu d’autres maîtresses que Carine. Après leur première fois, ils conviennent de se retrouver chaque semaine, en variant les quartiers, selon l’emploi du temps de chacun. « À partir de là, elle a accepté que je règle la chambre une fois sur deux. » En parallèle, le projet de mariage de Mehdi et Samia est réactivé. Ils finissent par passer devant le maire de leur ville durant l’hiver 2021. « On a fait ça rapide, en tout petit comité », me souffle-t-il en jouant nerveusement avec son alliance. Comment gérait-il, dans sa tête, sa double vie ? « Je ne me sentais pas tellement coupable. J’ai fait ce que j’avais à faire. Je suis quelqu’un de loyal. Je ne me voyais pas abandonner Samia. »

Vous les milfs, vous encaissez mieux le vrai sexe

En novembre dernier, sa maîtresse lui annonce que son mari va être muté en province. Toute la famille va déménager. « Je l’ai bien pris même si je m’étais un peu attaché à elle, normal. Avec Carine, tout était simple, facile, pas prise de tête. On s’est bien éclaté au lit, elle me laissait y aller à fond. Vous les milfs, vous encaissez mieux le vrai sexe. » La comparaison me fait sursauter. C’est à mon tour de fixer l’orchidée, quelque peu désarçonnée. 

Retournement de situation

Ainsi, je suis une milf, moi aussi ? Jusqu’à présent, cette donnée m’avait totalement échappée. Mes précédents « dates » étaient tous plus âgés que moi, pour la plupart avec enfants. Alors ils me voyaient plutôt comme la petite jeunette, pas un tag porno en quatre lettres. J’interroge Mehdi sur la façon dont il voit l’avenir avec Samia. Envisage-t-il d’avoir des enfants avec elle ? Il marque une pause, hésite, avant de me lâcher : « Bon, je devrais peut-être pas te le dire, personne n’est au courant encore mais elle est enceinte de deux mois… » Je ne dis rien. Mehdi, lui, se remet à fixer l’orchidée la mâchoire serrée. J’ai l’impression qu’il va se mettre à pleurer.

Je reviens sur sa bigorexie. Son addiction au sport serait-elle une manière, pour lui, de fuir une situation dans laquelle il se sent acculé ? « C’est possible… Je n’avais pas vu les choses sous cet angle… Tu devrais faire psychologue toi ! » me répond-t-il dans un sourire triste. Pour lui remonter le moral, je lui confie que moi aussi, depuis que je suis sur Gleeden, je n’ai jamais autant fait de Dynamo cycling. Mehdi ne voit pas ce à quoi je fais référence. « C’est une sorte de vélo d’appartement mais plongé dans le noir avec de la musique techno à pleine balle », je précise. Il me fait jurer de l’amener pour tester la prochaine fois avant d’ajouter : « Et après, on fera tout ce qu’on a dit, hein ? » Je lève une main droite solennelle. Mais ni lui ni moi n’y croyons plus, à notre partie de jambes en l’air. On est allés trop loin dans la confidence pour devenir amants. 

Son regard s’est voilé de tristesse

Mehdi doit filer à l’hosto. Je me lève précipitamment pour aller régler les cafés avant qu’il le fasse et le raccompagne jusqu’à sa moto. Tandis qu’il ajuste la dragonne de son casque, je lui demande : « Mais Samia, tu l’aimes ? » Sous sa visière, son regard s’est voilé de tristesse. Je le regarde démarrer et disparaître au bout de la rue. Je rentre chez moi à pied.  Vers 14 heures, Mehdi m’envoie une photo de lui torse nu dans les vestiaires de la piscine, légendée : « Regarde ce que tu as loupé ! » À ce gamin, je réponds par un coeur. 

La suite au prochain épisode !

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