Santé

Allô, Giulia ? : « C’est possible, la toxicité en amitié ? »

« Chère Giulia,

Je ne t’écris pas pour te parler de mes relations amoureuses, je dirais que de ce côté là, tout est ok. C’est plutôt en amitié que ça pêche, chez moi. Enfin je crois… Quand j’étais petite, mon grand frère m’appelait « Brigitte Bardot » ou « Le Saint Bernard », parce que je ramenais toujours des animaux perdus, abandonnés, cabossés à la maison – une fois, j’ai même mis un vers de terre sur le canapé pour qu’il puisse se reposer, vous voyez l’idée ? Avec mes copines, c’était un peu pareil.

Les nouvelles dont personne ne voulait, c’était pour moi. Celles dont on se moquait, je les prenais sous mon aile et c’était elles et moi contre le reste du monde, jusqu’à ce que le reste du monde se rende compte de son erreur et décide de les intégrer au groupe. A force, je me suis retrouvée avec une ribambelle de filles, vraiment très très sympa (juré) mais disons un peu… Lourdes à gérer ? En fait, ce qui m’a longtemps pesé, c’était la relation à sens unique : j’écoutais beaucoup, je répondais toujours présente, et je n’avais pas vraiment l’impression de recevoir autant que ce que je donnais. Jusqu’à Sophie. Je l’ai rencontrée dans un séminaire pro, et elle m’a tout de suite bluffée – c’est le genre de fille qui pourrait énerver, tellement elle est belle, brillante, et bien sapée, mais en plus, elle est adorable… Et cette fille là venait me chercher, moi : c’est elle qui m’a proposé un verre, elle qui m’a écoutée toute la soirée, elle qui s’est demandée comment moi, j’allais rentrer chez moi, sous la pluie, etc. Ouf ! Enfin j’allais connaître une amitié un peu plus équilibrée que les autres…

C’est Sophie qui m’a mis le nez dessus la première : elle me disait que je méritais mieux que ça, que je n’avais pas à me sacrifier pour les autres, que mes copines étaient quand même un peu des boulets, et avec elle, j’en riais ! A force, j’ai réussi à m’extirper de tous ces fers aux pieds et j’ai goûté, au départ, une amitié exclusive, fusionnelle avec Sophie, intense comme je n’avais jamais connu. On était tout le temps fourrées ensemble, on avait les mêmes goûts, toutes les deux célibataires, on était toujours prêtes pour faire la fête… Et elle continuait de veiller sur moi, faisant très attention à tous les mecs qui me tournaient autour – elle avait le don pour débusquer les sales cons. Sauf qu’il y a six mois, j’ai rencontré Yvan. Et que ça n’est pas un sale con. A part pour Sophie, qui le déteste. Cette fois-ci, je résiste, cette fois-ci, je tiens bon. Et j’ai du mal à reconnaître mon amie. Quand elle ne dit pas des horreurs sur Yvan, c’est moi qui prends : et je suis vraiment une cruche qui tombe dans le panneau, et je suis une égoïste qui l’abandonne, après tout ce qu’elle a fait pour moi, et je suis une idiote, etc.

J’encaisse, parce que c’est mon amie et que je ne veux pas la perdre. Et puis parce que je la sens effectivement malheureuse, alors que moi, je ne le suis pas. Et puis je me dis que c’est un cap à passer… Et puis parfois je me fâche. Et alors là, elle peut disparaître pendant des jours, ne répondant plus à aucun de mes appels… Jusqu’à ce qu’elle réapparaisse, et se confonde en excuses, me jurant qu’elle ne recommencera plus jamais. J’ai super envie de la croire, parce que notre amitié des débuts me manque, alors je rase les murs : je fais gaffe à chacun de mes mots, ou de mes gestes. Je ne suis plus du tout naturelle avec elle – d’ailleurs, elle me le reproche, et le plus fou, c’est que quand mon téléphone sonne, quand c’est elle qui m’appelle, maintenant, j’ai une boule au ventre, comme si j’avais peur d’elle… Mais l’autre jour, j’ai vu un truc à la con à la télé – je n’arrivais pas à dormir – sur les relations toxiques. Ca ne parlait que d’histoires d’amour, mais c’est possible, la toxicité en amitié ? Est-ce que c’est ça que je vis, ou que j’ai vécu avec Sophie ? » – Caro, 37 ans.

 

« Chère Caro,

Je crois que si vous posez la question, c’est que vous avez déjà la réponse… Bien sûr qu’une amitié peut-être « toxique », comme peuvent l’être tous les liens qui nous unissent aux autres. Et de toutes façons, les frontières entre amour et amitié sont souvent poreuses, surtout quand vous décrivez une telle intensité de sentiments, et l’exclusivité, et la tentation de la fusion… Et puis, dans le détail, tous les éléments y sont.

Parce que les pervers, les agresseurs, les prédateurs suivent toujours, en réalité, les mêmes schémas. Et toutes les histoires d’emprise obéissent, une fois dépouillées de leurs circonstances et de leurs particularismes, au même scénario – c’est bien pour ça qu’on parle, d’ailleurs, de « stratégie prédatrice ». D’abord ils épatent, ils font très très envie – sinon on n’irait pas, on est pas totalement idiotes non plus. Puis ils vous choisissent, vous donnent le sentiment d’être l’élue, vous traitent comme une reine, ayant pour vous des égards que vous n’avez jamais reçus – assez idéal pour que vous vous sentiez ensuite redevable, et que vous ressentiez un manque, le jour où la machine s’enraye, et qu’alors vous soyez prête à tout pour que les beaux jours reviennent… Ensuite ils vous isolent, vous rendant dépendante, se rendant indispensables.

C’est là – parce que, sans vous en rendre compte, vous êtes désormais à leur merci – qu’ils commencent à tomber le masque. A exiger. A gronder. A menacer. A humilier, en un mot, à vous maltraiter. Et chaque fois que vous tenterez de résister, ils gronderont plus fort. Avant de se carapater, de se confondre en excuses, et de vous promettre de s’amender… Alors bravo pour votre lucidité, Caro, parce qu’on peut mettre beaucoup, beaucoup de temps avant de se rendre compte qu’on est prises au piège. Or, ouvrir les yeux, comme vous le faites, et commencer à questionner la relation, c’est en général la toute première étape pour en sortir. Ça peut être long, vous pouvez connaître quelques rechutes, mais tenez bon : vous êtes sur la bonne route. Accrochez vous à Yvan, qu’il vous emmène loin de Sophie – ou qu’il vous aide à la remettre à sa juste place. Et puisqu’on se parle de place…

Essayez de la remettre aussi dans son contexte, vous y verrez sans doute encore plus clair : Sophie ne sort pas de nulle part. Elle arrive dans votre vie comme un contre-point apparent à toutes vos anciennes amitiés, et c’est cela qui, au départ, semble fonctionner. D’où ma question : qu’est-ce qui a pu vous faire croire que votre place à vous ne serait au fond qu’au service des autres ? Que vous n’auriez de valeur que si vous étiez le pilier sur lequel tout le monde s’appuie ? Et que tous les déshérités de l’amour, animaux ou humains, vous aviez le devoir de les sauver ? Parce que, pardon, mais au fond, c’est ce qu’il se passe aussi avec Sophie : elle devient folle de colère, quand, tout à coup, vous vous mettez à penser à vous… Replacez-vous au centre de votre vie, Caro, et de vos questionnements. Vous en avez le droit. »

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