Santé

Allô, Giulia ? : « Depuis mon accouchement nous n’avons plus de rapport sexuel »

« Chère Giulia,

Je vous écris plus pour Ysma, mon compagnon, que pour moi. Depuis la naissance de notre fils, il y a trois ans, nous n’avons plus de rapport sexuel. J’ai trop mal quand ça se passe. C’est la pénétration, qui me brûle – digitale ou autre. C’est comme si à l’intérieur de moi, j’avais du papier de verre et qu’on me frottait le vagin avec.

Au début, je me forçais, je pensais que ça reviendrait, comme avant – Ysma a toujours été très doux, il me connaît bien, donc je me disais qu’avec ses caresses, je lubrifierais à nouveau. Mais pas du tout. On a essayé le lubrifiant artificiel, ça n’a rien changé non plus.

Au contraire, c’était de pire en pire, parce que j’appréhendais, et que, du coup, à chaque fois qu’on tentait un truc, j’étais de plus en plus tendue. Il n’a jamais rien forcé, mais je voyais bien que ça le rendait malheureux. J’ai cherché à comprendre ce qu’il se passait, sur des sites de santé, ou de sexologie, mais je n’ai rien trouvé qui me corresponde vraiment. Alors, je suis allée voir mon gynéco, mais d’après lui, il n’y a rien et c’est dans ma tête. C’est vrai que c’est un peu le bazar, dans ma tête, depuis l’arrivée d’Imrane.

Un bébé, ça prend beaucoup de temps, ça occupe toutes les pensées, et puis on ne dort pas beaucoup au début… Donc, je suis crevée, il fallait que je me repose, que je prenne du temps pour nous, et ça reviendrait. J’en ai parlé à Ysma, qui m’a tout de suite proposé de s’occuper de notre fils la nuit, le temps que je récupère, et puis on s’est organisé des petits week-ends tous les deux. C’était absolument super – on s’entend très bien, tous les deux. Mais ça n’a rien changé non plus. À force, moi, quelque part, j’ai renoncé. Ma vie me va comme ça.

J’ai un petit garçon magnifique, un compagnon merveilleux, un bon job : mes journées sont pleines, et la nuit, enfin, je dors. Alors tout va bien. Mais Ysma en est très malheureux. Il ne dit pas grand-chose, ne me reproche jamais rien, mais je vois bien qu’il en souffre. Je voudrais pouvoir lui donner ce qu’il mérite, de ce côté-là, mais je vous jure, ça me fait tellement mal… Si elle est dans la tête, cette douleur, on fait comment pour la faire disparaître ? » – Nour, 33 ans.

« Chère Nour,

Imaginez, vous n’avez pas faim. Mais alors, pas du tout, hein. À ce moment-là, on vous propose un poulet. Entier. Vous n’en voulez toujours pas, mais, parce que vous êtes une jeune femme polie, vous le prenez. Et vous l’avalez. Entier aussi. À votre avis : ça vous donnera envie de recommencer ?

Avec le sexe, c’est pareil, et je cherche, mais j’ai du mal à trouver aussi con que le fameux : « l’appétit vient en mangeant ». On a rarement trouvé plus pratique, en revanche, pour que les femmes se forcent à avoir un rapport dont elles n’avaient pas du tout envie – pour info, ça nous est arrivé au moins une fois, à toutes, et c’est complètement fou, mais c’est une autre histoire que je vous raconterai une autre fois. On fait l’amour parce que c’est bon. Point. On y retourne parce qu’on a aimé. Point aussi. Et quand on a mal, on ne peut pas aimer – ou alors, on prend une carte fidélité en donjon SM, et c’est tout à fait possible, mais je ne crois pas que ce soit votre cas.

Quoi qu’il en soit : jamais, jamais, jamais, jamais (et je peux continuer longtemps comme ça) on ne fait l’amour pour l’autre. Aussi prévenant, doux, gentil, habile et amoureux soit-il, on le fait pour soi. Parce qu’on en a le désir, et parce que ça va nous procurer du plaisir. Ce qui n’est plus votre cas aujourd’hui. Et ce que vous vivez ressemble, en partie, à ce que traversent pas mal de femmes après avoir accouché : votre corps a connu les plus grands bouleversements qui lui soient donnés de vivre. Pareil pour votre cerveau, vos journées, vos nuits, votre espace-temps, votre couple, et vous. Or, vous, vous n’êtes pas une machine, dotée d’un bouton on/off, qui vous permettrait de redevenir instantanément celle que vous étiez avant. N’essayez même pas : ça n’arrivera pas.

Mais ça n’est pas grave : ça peut être aussi très chouette, le changement ! Pour vous, pour toutes les mères, tout est à réinventer, et, oui, ça prend du temps. Parfois beaucoup. Accordez-vous le, vous le méritez – et vous ne le volez à personne : une femme qui va bien est aussi une mère plus disponible et une amoureuse plus… Amoureuse. Plus facile à dire qu’à faire ? Évidemment. Vous remettre au centre, c’est, sans le savoir, lutter contre des injonctions millénaires qui nous demandent toujours, à nous, les femmes, de nous mettre au contraire en retrait, pour mieux prendre soin des autres. Mais l’époque bouge, et il est temps de bouger avec. Partez de vous. Et, par exemple, de votre tête.

Quand les médecins vous disent : « c’est dans votre tête », la plupart du temps, ils ne nient pas la douleur, simplement, ils pointent le fait que peut-être, à l’origine de cette douleur, il y a possiblement un cofacteur psychique, une blessure, un vécu, une croyance qu’il faut déminer. Lesquels ? À vous de voir, Nour. Mais pas toute seule : c’est un vrai boulot. À conduire avec un professionnel – un psy, oui. Et il sera toujours temps de le faire. Parce qu’il y a sûrement une étape à explorer… Quand un médecin vous dit « c’est dans la tête », ça peut être aussi la porte de sortie idéale pour le praticien qui butte sur une impasse.

La santé sexuelle des femmes intéresse peu. Et depuis pas longtemps : la précarité menstruelle, le congé menstruel, le post-partum, les violences obstétricales sont des notions toutes récentes – et aux femmes qui souffraient d’endométriose, on a dit pendant des décennies que c’était « dans la tête »… On sait, aujourd’hui, qu’il existe des médecins plus ou moins ouverts sur la question, plus ou moins bienveillants. Vous les trouverez dans l’annuaire de l’association « Les Clés de Vénus » : commencez peut-être par là ? Courage à vous, Nour. »

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