Santé

Allô, Giulia ? « J’ai cette petite voix qui me dit que le rôle de mère ne me va pas »

« Chère Giulia,

C’est bizarre, j’ai honte de vous écrire, et pourtant, je n’ai pas le choix. Enfin, « bizarre »… La vérité, c’est que j’ai tout le temps honte de moi, depuis que Basile est là. Il a un an aujourd’hui, et ce poids-là ne passe pas : je ne suis plus enceinte, mais j’ai toujours l’impression de peser dix tonnes. Je l’ai voulu, cet enfant, mais tellement… Et je l’aime, vraiment ! Il est super mignon, en plus, il a fait ses nuits super vite, il me sourit tout le temps – comme s’il voulait me convaincre qu’être mère, c’était cool, et que moi, en fait, j’étais pas trop mal dans le genre… Sauf que dans le fond, j’ai cette petite voix, qui me dit que ça ne va pas. Que je ne vais pas. Que le rôle de mère ne me va pas.

Mes sœurs, ma mère, mes copines m’avaient toutes décrit ce truc incroyable, de l’amour en barre, des rires en cascades, un sens à la vie, un nouveau centre dans sa vie, tout ça, tout ça… Et elles m’épataient. Toutes. Elles assuraient, moi qui me débattais avec des pauvres trucs de boulot à gérer… J’avais hâte d’essayer. Et même, je n’aurais pas dit « essayer » : j’étais convaincue que c’était fait pour moi, la maternité. Dans mon journal intime, à dix ans, j’écrivais déjà que je voulais six enfants, vous vous rendez compte ? Alors qu’aujourd’hui, avec à peine un, je ne m’en sors pas… Et, non, je n’ai pas DU TOUT ressenti cette joie intense, et folle, et évidente, quand on me l’a mis dans les bras. C’était un étranger, pour moi, et je ne savais ni quoi faire de lui, ni quoi faire de moi – j’étais si, si, si fatiguée…

Les semaines qui ont suivi ont été un cauchemar, lui et moi, enfermés à la maison – en plus, c’était l’automne, l’enfer. Mon mec avait repris le boulot, et je n’avais qu’une hâte : faire pareil. Sauf que quand j’ai repris, ça ne s’est pas arrangé, avec la culpabilité qui m’est tombée dessus, culpabilité de n’être ni suffisamment au travail, ni suffisamment chez moi ; culpabilité à devoir me forcer à sourire, quand je donnais des nouvelles de mon fils ; culpabilité de prier pour que surtout, Simon rentre avant moi et puisse lui donner le bain – même pour ça, je me sentais nulle et incapable. Mais comment font les autres pour savoir ???  On me dit que ça s’arrange avec le temps. On me dit qu’une fois le corps reposé, et vraiment, la tête sera disponible. On me dit que tout finit par s’apaiser. Ok. Peut-être. Mais imaginons que ça ne vienne pas ? Que je ne sois jamais heureuse d’être mère ? Je vois partout passer le hashtag #regretmaternel : et si c’était ça ? Si je regrettais d’être mère, mais que c’était trop tard ? Ca me fait complètement flipper. J’ai l’impression de perdre pied, et que l’horizon est tout noir. Et je n’ai personne avec qui en parler : je l’ai voulu, cet enfant, non ? Alors je suis censée assumer… » – Neela, 35 ans

Chère Neela,

« À lire certaines d’entre vous, j’ai le sourire aux lèvres. Pour d’autres, de la buée qui monte aux yeux. Avec vous, c’est plutôt comme une fumée qui sort des naseaux, voyez… Mais quand est-ce qu’on va nous lâcher, nous et nos ovaires ? Cette foutue capacité à procréer nous a, d’abord, coincées dans les cavernes de l’Histoire – en vrai, on allait aussi chasser, on faisait déjà des doubles journées, mais ça, on ne l’a su que plus tard… Et puis nos mères, et nos grands-mères, se sont battues pour avoir le droit de mettre bas, ou pas, et autant de fois qu’elles le voulaient, et surtout si elles le voulaient. « Un enfant, si je veux », ça vous parle, je crois… Sauf qu’on va avoir le temps de la tisser toute entière et sans les mains, la layette, avant que, vraiment, on puisse se défaire de cette injonction à la maternité.

Officiellement, elle a disparu, avec l’arrivée de la pilule et de l’IVG. Et puis elle est réapparue… Par la petite porte… Plus discrète, plus pernicieuse… Cet enfant, tu pouvais ne pas l’avoir, non ? Alors te plains pas. Point. Et jamais. Et de rien. Regarde-les sur Instagram, toutes ces mères au carré, sans vergétures, sans creux sous les yeux, sans mascara qui coule et sans colère qui crispe… Et paf ! La voilà de nouveau sacrée, la maternité, avec ses saintes, et ses martyres, et autant d’idéaux inaccessibles, propres à nous envoyer, nous, les cernées, les normales, les plissées, dans le caniveau de la culpabilité.

La vérité, Neela ? C’est qu’on en a toutes eu marre, à un moment où à un autre. Même votre mère, même vos sœurs, même vos copines – et la personne qui vous écrit cherche encore, parfois, l’adresse du magasin où elle pourra rendre les siens… Parce que marre des nuits hachées, du pédiatre, et de la morve au nez. Marre d’un espace-temps squatté, rogné, vampirisé. Marre des enfants, marre de la maternité. D’autant plus marre, d’ailleurs, qu’on n’a toujours pas le droit de souffler. Et même : de demander à respirer. On le sent, on le sait, alors on se tait parce qu’il ne faudrait pas non plus qu’on soit celle par qui le mythe soit écorné – si, si, vous savez, celui grâce auquel la perpétuation de l’espèce est assurée, par nos utérus interposés… Le problème, c’est qu’à force de serrer les dents, le risque, c’est d’exploser. Non, c’est même plus un risque, on le fait. On explose : le baby-blues touche, à des degrés divers, huit femmes sur dix. C’est le stress, l’anxiété, l’irritabilité que vous avez traversés. C’est l’absence de reconnaissance pour ces difficultés. C’est l’absence du conjoint, avec ce tout petit congé paternité qui lui permet, lui, d’aller plus vite prendre l’air, tandis que vous vous retrouvez seule, avec vos doutes, et l’impression de ne pas y arriver.

Oui, tout s’apprend, Neela. Non, nous n’avons pas ça dans le sang. Et, certainement, nous ne sommes pas toutes programmées pour adorer la maternité. Mais ça n’est pas grave, en soi… Le jour où on aura, et vraiment, le choix de devenir mère ou pas, alors un paquet d’entre nous croyez-moi, ne le feront pas. Elles dessineront les contours d’une vie riche, épanouie, créative… Et pourtant sans enfants. Certaines sont en train de leur préparer le terrain : toutes celles qui racontent, sur les réseaux sociaux , leur #regretmaternel. L’écrirez-vous un jour, vous aussi ? Ou bien avez-vous seulement besoin d’encore un peu de temps pour retoucher terre et goûter un peu de ce qui fait, aussi, le plaisir d’être mère ? Personne ne le sait encore, Neela. Il est bien trop tôt pour ça. Vous avez entamé un chemin en m’écrivant, poursuivez-le, avec un ou une professionnelle qui saura, vraiment, vous aiguiller : vous avez assez encaissé seule, vous le méritez. N’ayez pas peur de vos questions, n’ayez pas peur de leurs réponses. Quelle qu’elle soit, la vérité, ça finit toujours par sauver. Et c’est ce que disent toutes celles qui twittent leur regret : une fois formulé, il est apaisé. Il ne les empêche ni d’êtres heureuses, ni d’être amoureuses. Il ne font d’elles ni des mauvaises mères, ni des mauvaises personnes, bien au contraire : celles qui mettent des mots sur ce qu’elles vivent sont simplement des femmes qui ont réussi à penser, et à avancer. Bonne route, Neela. Et embrassez Basile pour moi. 

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