Santé

Allô, Giulia ? : « J’ai horreur de la pénétration »

« Chère Giulia,

J’ai horreur de la pénétration. Voilà, je le dis. J’ai mis des années à oser me l’avouer, j’avais honte, l’impression que je n’étais pas normale – une ratée totale de la sexualité. Toutes mes copines avaient l’air de grimper au rideau parce que leur mec les avaient prises « comme ci », ou « comme ça », et que c’était génial, et c’est vrai, de loin, ça avait vraiment l’air génial cette histoire… Sauf que moi, de près, au mieux je m’emmerdais comme pas permis – et, oui, j’ai fait plusieurs fois ma liste de courses dans ma tête, en faisant semblant de grimper au rideau… Au pire, je serrais les dents et ça me faisait un mal de chien, sans doute parce que je n’aimais tellement pas que je ne lubrifiais pas. Pourtant, promis, j’ai du désir, j’ai du plaisir, j’aime le sexe – enfin, surtout les préliminaires, c’est au moment de faire le grand saut que je me braque. Et puis je n’ai vraiment pas à me plaindre : j’ai eu des amants d’une nuit, comme de longues histoires d’amour ; des mecs pressés et pas ultra délicats, mais aussi des compagnons hyper attentionnés ou inventifs… Donc sur le papier, tout va, y a rien qui coince. En vrai, la pénétration, ça ne passe pas. Du tout. Et c’est comme ça. Et je ne sais pas, j’ai envie de me dire qu’à mon âge, je suis assez grande pour savoir ce que j’aime, non ? » – Cécile, 48 ans.

 

« Chère Cécile,

Oui. Évidemment que oui. Le plaisir est une histoire un peu plus complexe que le bouton on/off de la machine à café – on est plus près du long chemin, qui mettrait des années à nous mener à nous, et pas à la voisine. Oui, aussi, on peut avoir une sexualité parfaitement épanouie sans en passer par le glissement (ou l’irruption) d’un pénis dans un vagin – demandez à vos copines lesbiennes. Et oui aussi, la pénétration n’est qu’une possibilité parmi d’autres dans un répertoire de caresses quasi extensible à l’infini, contrairement à ce qu’on a toujours voulu nous faire croire.

Le problème, Cécile, c’est que vous vous attaquez, mine de rien, à des millénaires de culture où la religion, la médecine, et la psychanalyse ont avancé main dans la main pour articuler toutes nos pratiques érotiques en un seul acte : monsieur pénètre, monsieur éjacule, bim, rideau – sans nous y voir grimpé, la plupart du temps. Les avantages ? Ils sont multiples : perpétuation de l’espèce assurée, puisque toute sexualité non reproductive se voit du même coup interdite ; domination masculine garantie, puisque sans eux, nous serions totalement infoutues de jouir – mouahahah. Et pendant des siècles, de clitoris il ne fut plus question : là où dans certains pays, il est littéralement excisé, en Occident, il a suffit d’un Freud pour nous le faire tout petit, dérisoire, ridicule, et méprisable, puisque seul l’orgasme vaginal était celui des femmes, des vraies. Et là, on dit merci qui ? Merci les féministes – oui, encore… Dans les années 70, elles déboulent dans la rue pour revendiquer non seulement de pouvoir dissocier plaisir sexuel et maternité (ça, c’est la pilule), mais aussi d’avoir le droit, comme leurs camarades masculins, de s’éclater un peu sous la couette. Car – attention spoiler – n’en déplaise à ce que vos copines vous racontent, la plupart d’entre elles pipeautent : la vérité, c’est qu’une femme sur quatre n’a pas joui lors de son dernier rapport (1), quand les hommes sont neuf sur dix à l’avoir fait. Normal, nous sommes 20 à 30% à ne pas pouvoir ressentir de plaisir par stimulation exclusivement vaginale, quand pour eux, quelques allers et retours peuvent suffire. Donc en gros, la scène du mec qui chope sa gonzesse par les hanches, la retourne sur le piano, la bascule, la prend, et en deux va et vient, elle nous joue du Chopin avec la glotte… Ben c’est du cinéma. Dans la vraie vie, ça n’existe pas. Dans la vraie vie, les femmes ont besoin d’une main qui frôle et qui étreint, d’une langue qui chatouille puis qui s’engouffre, d’une voix qui murmure des motscochonsdoux à l’oreille… Bref, de tout un tas de choses qu’on appelle encore « préliminaires »  – à tort, puisque le mot même sous entend l’idée que tous ces gestes ne sont qu’une somme de caresses préalables à ce qui resterait l’alpha et l’oméga d’un rapport sexuel, c’est à dire, la pénétration. Le problème, c’est qu’à force de colporter une fable totalement déconnectée de la réalité du plaisir féminin, toutes celles qui ne jouissent pas de cette façon là (l’écrasante majorité d’entre nous, donc) se sentent, comme vous, des ratées de la sexualités, des boîteuses du plaisir. Pour éviter ce qu’elles ressentent comme la honte ultime que vous avez bien connue, Cécile, elles font quoi ? Elles se forcent – et vous êtes bien placée pour savoir que ça ne sert strictement à rien d’autre qu’à vous faire mal, au désir et au vagin… Et puis elles simulent, un peu, beaucoup, souvent, passionnément… Et je me suis toujours demandé si, du jour au lendemain, elles cessent toutes de le faire. Mais d’un coup, vous voyez ? Une bonne vieille grève des décibels… La bonne nouvelle ? En cinquante ans, la pratique de la masturbation a été multipliée par quatre. Sans doute parce qu’on n’est jamais mieux servies que par soi-même…  Sans doute parce que, doucement, sûrement, on s’autorise à faire passer notre plaisir avant le leur…  Ce qui est certain, c’est que l’étape d’après consisterait à expliquer à son partenaire comment faire. Ça, on y vient, Cécile, on y vient… »

  

(1) Ifop, février 2019.

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