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Allô Giulia ? « J’ai l’impression de passer à côté de mon rôle de mère »

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« Chère Giulia,

J’ai mis du temps à avoir Matteo. À avoir l’espace pour devenir mère, à oser réaliser ce dont, au fond, j’avais toujours rêvé : m’occuper d’un enfant qui serait le mien, m’occuper de quelqu’un qui serait mon enfant… Avec mes sœurs, ce qu’on vivait à la maison, ce n’était pas la joie. J’essaie de la faire courte, mais avec un père joueur et violent, une mère amoureuse de lui malgré tout, et donc totalement dédiée à lui, on a poussé comme on a pu, toutes les trois. J’étais l’aînée, et comme toutes les aînées, j’ai tout porté, tout pris en charge, pour essayer de limiter la casse. Dès que j’ai pu, je suis partie de la maison : j’avais rencontré Jérémy dans une colo, où on était tous les deux animateurs. Pendant des années, on a mis de l’argent de côté – nos familles n’en avaient pas beaucoup, et quand on a pu s’acheter un appartement tous les deux, même tout petit, on l’a fait. Pour nous, c’était clair : on voulait fonder une famille. Mais on voulait aussi offrir à notre enfant la stabilité et le confort qu’on n’avait pas eu – Jérémy a aussi une histoire compliquée. Donc il fallait bosser, et donc il fallait un diplôme. Jérémy voulait travailler avec les ados des quartiers, et moi, j’étais à fond sur les tout petits. Il est devenu éducateur, je suis devenue institutrice en maternelle.

Ces années-là sont sans doute les meilleures de ma vie

Pour compléter nos revenus, je faisais du baby-sitting auprès de deux familles : j’avais des journées bien remplies, de rires, de câlins, de pleurs à consoler et de couches à changer. Plus ça allait, plus j’aimais ça. J’étais fière de voir les petits se calmer dans mes bras, fière de les voir apprendre avec moi, fière de voir le regard de leurs parents sur moi… Ces années-là sont sans doute les meilleures de ma vie. J’étais au bon endroit, je faisais ce que je voulais, et je le faisais bien. À un moment, j’ai fini par être prête : tout était nickel, notre bébé pouvait arriver. Je me suis retrouvée très vite enceinte, la grossesse s’est très bien passée, l’accouchement aussi. C’est après que ça a coincé. Quelque chose, en moi, ne se passait pas. Une sorte de déclic que j’attendais, et qui ne venait pas, et qui aurait dû me rendre très heureuse de m’occuper de mon fils. Au lieu de ça, je me sentais maladroite, gauche, comme si tous ces gestes (le bain, le biberon, le dodo), que j’avais faits des milliers de fois, je devais les réaliser pour la première fois. Et ça me semblait insurmontable, et c’était affreux, parce que je ne comprenais pas pourquoi j’étais si nulle.

C’est comme si ça cognait à l’intérieur de mon cœur et que ça ne sortait pas

Alors, pour moins avoir à le supporter, j’ai beaucoup confié Matteo à ma mère – peut-être qu’elle avait quelque chose à rattraper, peut-être qu’elle s’en voulait d’avoir été si peu présente pour nous, en tout cas, elle était toujours ok pour le prendre, et elle s’en occupait très bien. J’ai pris le pli, Jérémy aussi, et six mois plus tard (aujourd’hui) on en est toujours là : on a toujours pas trouvé d’équilibre à trois. Et entre Matteo et moi, rien n’est encore vraiment fluide. Pourtant, je l’aime. Je sais que je l’aime. Mais c’est comme si ça cognait à l’intérieur de mon cœur et que ça ne sortait pas. Le pire, c’est que Matteo fait tout pour que ça se passe bien : c’est un bébé hyper joyeux, hyper cool, il sourit tout le temps, et tout le monde l’adore… Moi, je voudrais juste savoir lui dire, et lui montrer je l’aime. Savoir m’occuper de lui, vraiment, et pas juste les gestes. Aimer passer du temps avec lui – j’en ai envie, mais je ne le fais pas, et je ne sais pas pourquoi. Je suis certainement responsable de son attitude, mais à force, c’est comme s’il m’ignorait. Je pourrais le mettre dans les bras de n’importe qui, et partir, je pense qu’il s’en foutrait : il joue avec tout le monde, ne pleure pas, ne me réclame pas… C’est affreux, mais j’aimerais qu’il le fasse, juste pour me prouver que je suis un peu spéciale pour lui… En fait, je crois que j’ai raté le coche, et je ne sais pas comment rattraper ça. J’essaie de me dire qu’il n’est jamais trop tard, mais je ne sais pas par où commencer. Si vous avez une idée, Giulia, je prends » – Audrey, 28 ans 

« Chère Audrey,

Commencez peut-être par vous rappeler l’essentiel : vous êtes sa mère. Et il n’en a qu’une. Et aucun bras ne sera jamais équivalent aux vôtres. Donc évidemment que, quand vous quittez la pièce, il le sait, qu’il va penser à vous, que vous allez lui manquer, et qu’il sera hyper heureux de vous retrouver. Mais ce que les enfants ont d’incroyable, c’est leur capacité à nous comprendre, et à se mettre en quatre pour nous faire plaisir. Vous avez besoin d’air ? Il le sent, et il vous laisse partir. Au fond, il est confiant : vous reviendrez, vous l’aimez. Les mères et leurs enfants ont toujours un dialogue inconscient aussi limpide pour eux deux qu’il est inaudible pour le monde extérieur. Vous êtes sûre de votre amour pour lui ? Il en est sûr, lui aussi. Et il a raison, puisque vous m’écrivez : s’il y a bien un dénominateur commun entre tous les parents maltraitants, c’est que jamais, jamais, jamais, ils ne se posent la moindre question sur la façon dont ils élèvent leurs progénitures.

Il y a des mots d’amour qui n’ont pas été dits

Vous, vous aimez profondément les enfants. Vous avez par ailleurs, me semble-t-il, une sacrée solidité qui doit l’entourer d’un bon filet de sécurité. Et vous avez, enfin, acquis à leur contact une expertise, et une expérience, qui vous évitera pas mal de galères bien connues de tous ceux qui deviennent parents – une couche qui déborde, un bain trop chaud, un trajet en voiture sans avoir prévu d’eau : ça peut paraître anodin, mais ça vous huile un quotidien. Bref : vous allez pouvoir, un jour où l’autre, lui offrir la meilleure rampe de lancement possible pour la vie… Mais avant cela, il faudra sans doute déblayer un peu le terrain, combler quelques crevasses, et regarder dans le rétro : d’où vous venez, dans quel contexte vous avez grandi, qu’est-ce qui vous a construite. Rassurez-vous, Audrey : dans la mesure où personne ne s’est auto-généré, on en passe toutes et tous par là. Vous, tout ce que vous voudriez offrir à Matteo, vous ne l’avez pas reçu – et c’est déjà miraculeux que vous soyez prête à le faire. Vos parents ont fait ce qu’ils ont pu, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas pu beaucoup.

Il y a, dans votre histoire, des mots d’amour qui n’ont pas été dits, des caresses qui n’ont pas été reçues, et des enfants qui ont dû grandir un peu trop vite. À votre place, bien d’autres en auraient perdu pied. Pas vous. Vous, vous avez aimé, vous avez bossé, vous avez foncé… En mettant un bon gros couvercle sur ce que vous aviez encaissé. Le souci, c’est que, quand on devient parent, l’enfant qu’on a été remonté à la surface. Qu’il faut alors tout interroger, tout comprendre, tout repenser. Cette distance, que vous évoquez, cette maladresse, avec Matteo, sont peut-être une façon de mettre un écran entre votre passé et vous : mettre votre fils loin de vous, c’est mettre vos blessures loin de vous – pensez-vous. En réalité, vos blessures sont là. Plus vous les nierez, plus elles feront mal. Et en attendant, ce dont vous vous priverez, c’est de cette immense joie que vous avez tout fait pour vous offrir : celle de prendre votre enfant, à vous, dans vos bras, qui ne demandent que ça. Vous êtes au tout début du chemin, Audrey. Mais au moins, vous l’avez entamé : bravo. Et n’oubliez pas : on ne naît pas mère, on le devient. »

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