Santé

Allô Giulia : Juliette, 32 ans « Je n’arrive pas à avoir d’enfant, et ça bouffe notre couple »

« Chère Giulia,

Je veux un enfant d’Adrien. Je le veux vraiment. Je l’ai toujours voulu. C’est idiot, mais on était ensemble depuis à peine trois semaines que déjà, on trippait, tous les deux, sur la famille qu’on fonderait, les trois enfants qu’on aurait… Je précise : on n’avait que 17 ans. Mais on a tout de suite su. Lui, il venait d’une famille complètement éclatée, et moi, pour faire court, je ne me suis pas vraiment sentie aimée. On s’est dit très vite qu’on ferait mieux que nos parents. Comme on était sûrs, et qu’on était jeunes, on a pris notre temps. On voulait faire ça bien : d’abord les études (moi, dans le social, lui, dans l’informatique), et puis le boulot, et puis on met de l’argent de côté, et on achète notre premier appartement. Nos potes se foutaient de nous, n’empêche que tout s’est passé exactement comme ça. Et puis, malgré les années, et les petits couacs qu’il y a forcément dans les couples, on s’aimait toujours. J’avais une totale confiance en Adrien, je me sentais en sécurité avec lui – et lui avec moi. Et puis, je l’admirais. Honnêtement, ce mec est brillant. Sa boîte l’a remarqué tout de suite, et l’a fait grimper, grimper, grimper… Jusqu’au jour où elle a été rachetée, et où il a été viré. Il a coulé. Mais presque littéralement : s’il avait pu disparaître dans le canapé, il l’aurait fait. Moi, je culpabilisais à mort, parce que j’avais mon premier vrai poste. C’était des journées de dingue, mais ça avait du sens : quand je rentrais à la maison, j’étais pleine d’histoires à raconter, mais en face de moi, le mur. Adrien ne disait rien, écoutait à peine. Je devenais folle… Et je m’en voulais, de ne pas être plus à l’écoute. Alors évidemment, le soir où il m’a dit : « je suis tellement une merde que plus jamais tu ne voudras d’enfant avec moi », j’ai voulu lui prouver le contraire. Je suis hyper pro-active, dans ma vie : je me fixe des objectifs, je réunis les moyens pour les atteindre, je fonce… Donc j’ai tout fait pour : surveiller mes périodes d’ovulation, adapter mon alimentation (certains régimes boostent la fertilité, il paraît), garder les jambes en l’air après l’amour, etc… Sauf que ça ne marchait pas. Pire : tout à coup, faire l’amour avec lui s’est mis à me faire vachement mal. Ça me brûlait. Comme si on me frottait du papier de verre sur le vagin… Là, pareil, j’ai tout essayé : le lubrifiant, les plantes, les massages… Rien à faire. J’ai tenté de lui en parler, mais il le prenait contre lui. Donc j’ai serré les dents. Je me disais que, une ou deux fois par mois, à condition d’être en plein cycle, ce serait suffisant, et que donc je pouvais supporter. Au bout d’un an, je finissais par être quand même un peu inquiète – je sais qu’on ne tombe pas enceinte comme ça, mais là, ça commençait à faire… Ma gynéco m’a prescrit une batterie de tests, et m’a donné l’adresse d’un médecin pour Adrien. Résultat : nickel. Zéro problème de fertilité, d’un côté ou de l’autre. Donc rebelote. Un an encore à serrer les dents, et à supporter les remarques d’Adrien, de plus en plus violentes à encaisser. Et pourtant on s’aimait, et on se le disait… Alors, le jour où il m’a proposé d’aller voir le gynéco, spécialiste de la fertilité, qui avait aidé sa sœur à tomber enceinte, évidemment, j’ai dit oui. Le mec était hyper froid, hyper donneur de leçon – tout l’inverse de ma gynéco – mais il avait l’air de savoir ce qu’il faisait. Quand il a prononcé le mot « PMA », j’ai frémi. Mais j’ai vu une étincelle dans les yeux d’Adrien, et ça, ça n’avait pas de prix… J’ai dit oui. Banco, on y va. Sauf que… Moi qui n’oublie jamais rien, j’oublie d’aller chercher les médicaments prescrits par le médecin. Moi qui ne suis jamais en retard, je ne comprends pas comment je me débrouille pour arriver quarante-cinq minutes après l’heure prévue pour notre deuxième rendez-vous chez lui. Evidemment, il nous a demandé de revenir… Dans six mois. Evidemment, Adrien est furax. Comment ne pas le comprendre ? Moi, j’ai plein de trucs dans ma vie. Lui, il n’a que ça. Et c’est comme si je faisais exprès de rendre l’arrivée de cet enfant impossible ! Et pourtant, je le veux. Et pourtant, je l’ai toujours voulu… Dernièrement, Adrien m’a dit que je devrais aller voir un psy : vous croyez que c’est nécessaire ? »

 

« Bien sûr, Juliette.

Et à peu près aussi efficace que de marcher sur des tessons de bouteilles, vous flageller au barbelé, et mettre un cierge dans toutes les églises de France. Juliette… Votre corps est en train de vous parler, et depuis des mois : il s’assèche., il se débine, il se braque. Il vous fait oublier des prescriptions médicales. Il vous fait arriver en retard. Il fuit, quand vous tentez de le contrôler, il se rétracte, jamais là au bon moment… Parce qu’il n’est sans doute pas au bon endroit, quoiqu’en dise votre tête. Vous êtes une femme de tête. Volontaire, courageuse, vous prévoyez, vous anticipez, vous pensez par objectifs et vous les atteignez. Même quand on se parle d’amour, de désir, de plaisir, vous enfiler votre cape de super-architecte de votre vie, et vous foncez. Un pas de côté ? Votre tête vous rappelle à l’ordre. Un loupé ? Elle vous contraint à vous souvenir des plans qu’elle avait élaboré il y a quinze ans. Et, au cas où ça ne suffirait pas, votre sens du devoir arrive à la rescousse, et vous somme, lui, de répondre présente aux besoins d’Adrien : c’est votre place, votre rôle, après tout, non ?  Non. La seule à qui vous deviez quoi que ce soit, c’est vous. Et c’est un peu de lucidité : tout au fond de vous, avez-vous, ici, maintenant, de cette façons, dans ces conditions, envie d’avoir un enfant avec lui ? Juliette… On a le droit de bouger. Personnes n’est imperméable aux années, aux aléas du couple, aux accidents de la vie. Adrien le sait, il a bougé : il n’est plus tout à fait celui que vous aviez rencontré, non ? Bien sûr, la vie lui a collé une sacrée baffe… Il y a plus de deux ans. Depuis, quand vous vous démenez pour lui faire plaisir, que fait-il, lui, pour vous donner envie ? Il aurait pu se mettre un petit coup de pied aux fesses qui le remette en selle, ne serait-ce que pour vous prouver quel allié formidable il serait dans la fondation de cette famille que vous désirez tant… Il n’en a rien fait. Jusqu’ici. Alors, en attendant cet hypothétique sursaut (et une magnifique remontada), rien ne vous enchaîne ni à vos promesses d’adolescence, ni au désespoir d’Adrien. Vous pouvez très bien dire à celle que vous étiez : « écoute, tu as eu raison, cette histoire avec Adrien était formidable. Ce que tu ne savais pas, c’est qu’avec le temps, l’amour et le désir qu’on avait l’un pour l’autre n’ont plus tout à fait la même gueule aujourd’hui. Et aujourd’hui, moi, adulte, je ne suis pas franchement sûre que les conditions soient réunies pour tenir la promesse que tu t’es faite, il y a si longtemps.  » Vous lui parlez vrai, à cette adolescente, vous ne la trahissez pas. Vous êtes à la hauteur de ses rêves en vous construisant la vie que vous méritez, avec un mec qui vous traite bien, avec un enfant conçu dans la joie et dans la légèreté. Vous avez le droit, Juliette. D’être épuisée par la dépression d’Adrien. De ne plus aimer un homme qui vous fait porter l’entière responsabilité de son échec. De ne plus vouloir d’un enfant qui viendrait au monde au prix d’une douleur physique persistante, et d’un serrage de dents à vous faire exploser les maxillaires. Sans être médecin, je me permets juste de vous renvoyer la balle : on est sûrs de vouloir engager un parcours de PMA, aussi coûteux psychiquement, physiquement, que financièrement, quand on est pas du tout stérile ? Vous avez trente deux ans, Juliette. Vous avez tout votre temps. »

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