Santé

Allô, Giulia ? : « La femme de mon ami a coupé les ponts avec lui alors qu’elle attendait son enfant »

« Je vais essayer de faire court. Et simple.

Parce que dans ma tête, c’est vraiment le bordel, et il faut que je pose les choses. Alex est le vieux pote de Fred. Fred est mon mec depuis quinze ans, donc je connais Alex depuis un bail. Depuis quatre, cinq ans, Alex était avec Théa, une Américaine qu’il avait ramenée de New York. Ils avaient l’air hyper heureux – et nous on était hyper soulagés, parce qu’Alex a toujours été sympa, mais un peu pot de colle… Un peu la loose avec les filles, fâché avec sa famille, un peu tout seul, quoi. Et souvent à squatter le canapé. Jusqu’à ce qu’il rencontre Théa. Et là, grand jeu, grand amour, grandes promesses, et les étoiles dans les yeux. Il la demande même en mariage, c’est dire si elle nous l’a transformé ! A deux doigts de s’embourgeoiser, Alex…

Bon, ne faut pas exagérer, il avait encore des trucs d’avant, comme la fumette et une grosse, grosse capacité à procrastiner. Mais il avait l’air très heureux. Et elle aussi, vraiment ! D’ailleurs, on s’entendait très bien toutes les deux – et elle a même annoncé sa grossesse à moi, avant de le dire à Fred, et juste après l’avoir dit à Alex. Du coup, j’ai rien compris à la suite : enceinte de six mois, elle s’est tirée aux Etats-Unis, elle a envoyé ses avocats au cul d’Alex, ils lui ont dit qu’il ne verrait jamais son enfant, et lui, il est de retour sur notre canapé. Mais comment on peut faire un truc pareil à un mec ? Et comment on peut priver un enfant de son père ? Alors je sais bien qu’il y a eu des disputes, entre eux, ces derniers temps. Et j’ai déjà vu Alex en colère : il fout un peu la trouille… Mais il ne ferait jamais de mal à une mouche.

Fred en est un peu moins sûr. Il s’est souvenu qu’au lycée, Alex avait vu un psy qui l’avait diagnostiqué bipolaire, et qui avait voulu le mettre sous médocs, mais Alex n’a plus jamais voulu en entendre parler. N’empêche : elle l’aime plus, c’est son droit, évidemment. Elle le quitte, évidemment qu’elle fait ce qu’elle veut. Mais de cette façon là ? Du jour au lendemain, de l’autre côté de l’Atlantique ? En fait, Alex me fait vraiment de la peine. Et je voudrais trouver les mots pour convaincre Théa de lui parler. Qu’au moins, à l’arrivée du bébé, il y ait une forme d’entente cordiale entre eux… Pour que ça se passe le mieux possible pour lui… Bref, je ne sais pas trop comment m’y prendre, et je me dis que, peut-être, vous pourriez m’aider » -Laura, 38 ans.

  

« Chère Laura…

 

Je suppose que vous connaissez ma manie du rangement – entre une pièce bien rangée et une soirée avec mon amoureux, parfois, j’hésite. Mais je me soigne. Bref, venons en à vous et au bordel de votre tête… On va d’abord mettre de côté la désagréable impression d’avoir été plantée, vous aussi, par quelqu’un avec qui vous pensiez avoir tissé des liens de confiance : c’est suffisamment humain pour ne pas mériter plus des trois lignes que je suis en train d’écrire, et que donc, j’arrête là.

On se dégage aussi de l’empathie que vous pouvez éprouver pour ce vieil ami échoué, seul, une fois de plus, sur votre canapé : c’est son histoire à lui, c’est à lui d’écrire le prochain chapitre un peu différemment s’il le souhaite. Et puis on se souvient que ce qui se passe au sein d’un couple appartient… Au couple et reste toujours très mystérieux pour l’extérieur : on ne comprendra jamais pourquoi l’un fonctionne, et pourquoi l’autre se vautre à quelques mètres de la mairie. Une fois ceci posé… Reste ce qui ressemble à un idéal de vie : on se rencontre, on s’aime, on se marie, on fait un enfant, et c’est pour la vie.

On a toutes été biberonnées aux contes de fées, on déteste toutes quand ils sont écornés. Et c’est ce que vient de faire Théa, qui trace une route suffisamment singulière pour qu’elle nous interpelle – voire, qu’elle nous heurte, comme cela semble être le cas pour vous. C’est vrai que c’est brutal. C’est vrai que c’est radical. C’est vrai que c’est très, très rare. Pour qu’une femme enceinte mette un océan entre elle et le père de son enfant, et ne s’adresse plus à lui que par avocats interposés, il a du se passer quelque chose. Quoi ? Je n’en sais rien, pas plus que vous. 

Mais disons qu’on a deux possibilités. Soit Théa est une intrigante, une manipulatrice, qui, depuis le départ, ne souhaitait qu’une chose, tenir un homme à sa merci, se faire engrosser, et le laisser crever la gueule ouverte dans le caniveau – ou sur le canapé de ses meilleurs amis. Et alors elle rejoint toutes les méchantes du cinéma, de la littérature, et, au fond, de notre inconscient collectif, où, depuis toujours, La Femme est une créature machiavélique, et L’Homme une petite chose toute faible… C’est possible. Les femmes peuvent être coupables, et les hommes victimes, évidemment. Mais, dans l’écrasante majorité des cas, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Les hommes ne sont pas, biologiquement, programmés pour être des prédateurs – et, en soi, c’est une bonne nouvelle : ça veut dire que ça peut bouger. D’ici quelques années. A force de discussions, publiques ou privées, de mentalités qui bougent, de nouvelles générations qui arrivent…

En attendant, force est de constater que le pouvoir (économique, politique, médiatique et j’en passe) est encore largement dans leurs mains : ils sont donc bien plus à même d’écraser l’autre, surtout quand l’autre est une femme. Et, de fait, l’écrasante majorité des violences conjugales, qu’elles soient physiques, sexuelles, ou psychologiques, sont commises par des hommes. Je ne dis pas qu’Alex est violent. Je dis que vous, Fred, Alex, Théa, moi, vivons dans un contexte où les statistiques laissent plutôt à penser qu’une femme qui part, enceinte, à l’autre bout de la terre, est une femme qui a peur. Et avec raison. Or nos députés viennent de le voter : un conjoint violent ne peut pas être un bon père. N’importe quel parent accusé de violence envers son conjoint se verra désormais déchu de ses droits parentaux, ne serait-ce que le temps de la procédure.

Si Alex a été violent, alors, tant qu’il ne se soigne pas, il ne peut pas s’occuper correctement de son enfant. Vous qui pensez au bien-être de ce petit garçon, ou de cette petite fille à venir, vous devez absolument garder ça en mémoire. Et maintenant… Que faire de tout ça ? Pas mal de choses. A commencer par Alex, que vous pouvez, doucement, mais sûrement, conduire vers un thérapeute : quand bien même je raconterais n’importe quoi, quand bien même Théa serait la coupable, il n’a pas l’air d’aller très bien, ce garçon…

Et puis vous pouvez écrire à Théa, lui dire votre stupéfaction, ou simplement lui signifier votre présence : vous verrez bien ce qu’elle en fait. Vous, ça peut vous soulager. En attendant de vous décider, vous pouvez, vous aussi, vous interrogez sur ce que représente, pour vous, le couple : ce qui me surprend, moi, c’est l’effet que vous fait une séparation qui n’est pas la vôtre. Ça, oui, ce serait très, très intéressant à comprendre ! Alors je vous embrasse, Laura. »

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