Santé

Allô, Giulia ? « Ma vie sexuelle me semble morne comparée à celle de mes amies »

« Chère Giulia,

Je crois que j’ai un réel problème avec le sexe. Je pensais que tout allait bien – je n’ai jamais été abusée, jamais maltraitée… Et puis je suis heureuse avec mon mec, on fait l’amour de temps en temps, et la plupart du temps, c’est bien. Très bien, même. Mais c’est classique. Pas de grands frissons, pas de jeux un peu coquins, pas de sex-toys dans le placard, rien de tout ça. On est pareils de ce côté-là, on aime bien les choses tranquilles et douces. Mais à force d’entendre mes copines parler de leur vie sexuelle, oui, je me dis qu’il y a un truc qui ne va pas.

On se retrouve tous les jeudis soir, depuis dix ans, pour boire des coups, et manger deux, trois trucs. On appelle ça notre « Girl’s band » et c’est la bouffée d’air, pour nous toutes. Enfin, pour moi, un peu moins depuis le soir où je me suis dit, en rentrant chez moi : « Ok, la coincée de la bande, c’est moi ».

Ça, ce n’est pas très agréable, comme idée… Mais c’est vrai : je suis la seule à ne rien avoir à raconter d’incroyable. Les célibataires (il y en a encore un peu dans le groupe), elles sont sur Tinder, elles matchent, et s’éclatent avec leur coup d’un soir. Moi, je n’ai jamais été capable de faire ça, je ne sais pas, je ne suis pas à l’aise… Et celles qui sont en couple, en gros, elles font l’amour tout le temps, elles essayent tout le temps des nouveaux trucs, et c’est l’extase permanente.

Je force un peu le trait, mais vraiment, ça ressemble à ça. Je sais, vous allez me dire : creusez, allez voir un professionnel, pour voir d’où vient votre blocage etc. Mais je ne suis pas encore prête à parler de sexe à un inconnu. Je sais, je le fais ici, mais par écrit, c’est plus facile. Et puis, je me dis que peut-être, vous pourriez juste me donner un premier sentiment, comme ça… Merci, en tout cas. » – Hélo, 34 ans

« Chère Hélo,

De rien. Mais, ce n’est pas tellement un premier sentiment que je vais vous donner. Plutôt un scoop, assez révolutionnaire dans le genre : vos copines mentent. Toutes. Comme des arracheuses de dent – ou de string. Sauf si, bien sûr, elles vivent avec un micro-climat au-dessus de leur tête qui leur fait échapper aux statistiques, mais sans être une Einstein de la galipette, je ne crois pas que ce soit possible…

La vérité, c’est qu’une femme sur quatre n’a pas joui lors de son dernier rapport, et que deux sur trois simulent un peu, beaucoup, voire souvent pour faire plaisir à leur partenaire. (1) Pourquoi ? Parce que dans une société, dans une culture, organisée depuis des millénaires par les hommes et pour les hommes, longtemps, seul leur plaisir a compté – le corps de la femme en devenant à la fois l’outil et le lieu. Pour ne rien arranger à nos affaires, l’Église s’en est mêlée, et elle a interdit toute sexualité qui ne soit pas reproductive : notre répertoire érotique s’est donc longtemps réduit à la seule pénétration.

Pour faire (très) court : le rapport commence au moment où Monsieur va, il s’arrête au moment où il vient. Et entre les deux, Madame a plus le temps de compter les plis du rideau que d’y grimper. Or le corps, le désir, le plaisir féminin ont un mode de fonctionnement légèrement plus complexe qu’un coup de pilon, aussi puissant soit-il. Mais si vous songez qu’on ne connaît réellement, médicalement, scientifiquement, (personnellement ?), le clitoris que depuis une trentaine d’années, ça vous dit à quel point la route est encore longue vers le septième ciel…

En attendant, enquête après enquête, le taux de satisfaction sexuel des lesbiennes est toujours bien plus élevé que celui des femmes hétéros… Ça laisse songeuse, hein ? Oui, mais alors pas trop. Parce qu’en fait, on va arrêter avec les calculettes. Est-ce qu’on a besoin d’une injonction de plus ? Non. Est-ce que ça fait rêver, l’idée d’une sexualité qui rentrerait dans un tableau Excel ? Non plus – à part pour les fétichistes du chiffre, il y en a sans doute.

Malheureusement, plutôt que de flotter au Nirvana, on nage en plein non-sens. Après des siècles de « il ne faut pas », où on ne parlait de plaisir que pour l’interdire, on a basculé, sans transition, à l’ère du « il faut ». Comme dans : « il faut jouir, partout, tout le temps, avec un sex-toy et dans un club échangiste si possible ».

Résultat, on est toujours incapables de saisir cette délicieuse matière dans ce qu’elle a d’essentiel : sa singularité. Notre rapport à la sexualité résulte d’un drôle de cocktail, à base de biologie, d’histoire collective, d’environnement culturel et familial, et de vécu personnel. Alors PERSONNE (je crie quand c’est important) ne peut avoir le même. Parler de ces choses-là devrait se faire au « je ». Comme dans « j’ai envie de » ou « ça, je n’aime pas ».

Vous, Hélo, vous savez le faire. Vous, vous savez déjà dire : « j’aime les choses tranquilles et douces ». Alors, vivez-les tranquillement et doucement ».

(1) Ifop, Février 2019.

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