Santé

Allô, Giulia ? : « Mon amie m’a confié avoir été violée par le collègue que je lui ai présenté, comment réagir ? »

« CHÈRE GIULIA,

Greg et Ana se sont rencontrés grâce à moi. Greg est mon super pote de boulot, ça fait trois ans qu’on bosse tous nos dossiers en binôme. Il est hyper-créatif, ultra-drôle, je l’adore ! Du coup, quand ma plus vieille amie s’installe près de chez moi, à la suite d’une énième rupture amoureuse, qu’elle a le cœur en miettes et la tête en vrac, je me dis qu’il n’y a pas mieux que Greg pour lui changer les idées. Bingo : premier dîner organisé à la maison, ça matche, ils repartent à deux – et je suis ultra-fière de moi !!! Blague à part, je suis surtout contente pour eux, je trouve qu’ils vont vraiment bien ensemble. Pendant six mois, Greg m’a semblé complètement raide dingue de ma pote, il m’en parlait en continu, et en des termes super élogieux. Il a raison : Ana est une fille incroyable, de courage, d’intelligence, de gentillesse… Comme, jusque-là, elle n’avait pas eu de chance avec les mecs, j’étais ravie !

Je voyais bien qu’elle ne me racontait pas grand-chose de cette histoire. Mais Ana a toujours été discrète, donc ça ne m’a pas étonnée plus que ça. Mais il y a deux semaines, elle a débarqué à la maison, à 23h, complètement paniquée – elle avait une tête que je ne lui avais jamais vue, elle m’a fait flipper !! J’ai réussi à la calmer, et au bout d’une heure ou deux, elle m’a lâché que Greg l’avait violée. Qu’il la violait, en fait, régulièrement. Que ce soir, il était bourré, et que c’était la fois de trop. J’étais complètement sonnée. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Le matin, elle m’a supplié de n’en parler à personne, et elle est partie. Depuis, elle est retournée chez sa mère – elle m’a juste dit qu’elle avait posé un arrêt maladie, et de ne pas l’appeler. De la laisser me rappeler. Ok. Mais moi, je fais quoi, avec ça ? Et Greg, que je vois tous les jours au boulot, je dois en penser quoi ? Je ne peux pas croire que mon pote soit un salaud de violeur. Pas lui, ça ne colle pas, je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il n’est pas comme ça… Je l’évite tant que je peux, en attendant de me décider. Mais en gros, je suis en train de le sortir de ma vie alors qu’il y a un truc qui s’appelle « présomption d’innocence », non ? Help. Tout ça est beaucoup trop grave pour que je ne fasse rien. » – Laureen, 36 ans.

« Chère Laureen,

Le viol est la pire des horreurs. Et il déclenche, en nous tous, les peurs les plus archaïques. C’est la menace du loup, pour le petit chaperon rouge : « si tu sors toute seule, je vais te manger »… C’est comme ça qu’on a été éduquées, nous, les filles, quand les garçons se sont entendus dire qu’ils seraient des mecs, des vrais, s’ils savaient « prendre femme » – qu’elle le veuille ou non étant une considération parfaitement accessoire… Au moment où vous m’écrivez, vous êtes sidérée par la nouvelle. Comme la France entière l’est, à chaque fois qu’une nouvelle affaire éclate, depuis le début de #MeToo. On ne veut pas croire, on ne peut pas croire. On refuse. On rejette. Et alors on accuse celle qui parle d’être une menteuse : à ce prix, on pourra dormir tranquille. Au pire, on pourra toujours s’abriter derrière la présomption d’innocence… Sauf que c’est une notion juridique, et que vous n’êtes pas un tribunal. Vous n’avez pas la charge d’envoyer Greg en prison ou non. Vous êtes leur amie, avec, si jamais, des obligations morales – mais personne ne viendra vous mettre en taule non plus, quelle que soit la décision que vous prendrez.

Ceci posé… Afin de garder la tête un peu froide… Les statistiques vont vous aider à vous déterminer : les fausses accusations de viol sont rarissimes, c’est un fait, avéré, vérifié par toutes les études sérieuses sur le sujet. Les femmes n’ont absolument rien à gagner à dire qu’elles ont été violées : ni argent, puisqu’en général, en cas de procédure, elles perdent ; ni heure de gloire, vu le tombereau de vomi qu’elles prennent systématiquement dans la gueule quand elles l’ouvrent. Elles devraient donc bénéficier d’une « présomption de crédibilité », si jamais… En fait, c’est la seule chose dont Ana ait besoin, Laureen : que vous soyez capable d’entendre son récit, bien qu’il vous bouscule. Que vous puissiez accueillir sa douleur, entendre ses peurs, et suivre son rythme : elle veut s’engouffrer sous une couette pendant des mois ? Alors c’est ce qu’il lui faut. Elle refuse de porter plainte ? C’est son choix, c’est son droit – il est si difficile de porter plainte aujourd’hui en cas de violences sexuelles, que seule une victime sur dix le fait. Et je dirais que votre rôle d’amie consisterait plutôt à l’épauler, quoiqu’il arrive… Sans vous substituer à des professionnels de la question : vous avez, à disposition, des lignes d’écoute (1) qui sauront vous conseiller. Et puis peut-être la guider, elle, dans ses démarches policières et juridiques, quand elle sera prête.

Quant à lui… « ça ne colle pas », dites-vous… Et je vous comprends : ce serait tellement plus pratique si un violeur avait une tête de violeur – ne serait-ce que pour nous mettre à l’abri. Ce serait tellement plus reposant s’il était si différent de nous qu’il nous soit totalement étranger. Voire « monstrueux », au sens le plus littéral du terme, celui de l’extraordinaire… L’avantage, c’est qu’on n’en verrait pas tous les jours. La vérité, c’est qu’on en croise tous les jours. Avec une femme violée toutes les sept minutes en France, ça fait beaucoup trop de coupables potentiels pour qu’ils ne soient pas ordinaires. Dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur : c’est un patron, un frère, un ami, un conjoint, un père… Oui, Laureen, ils sont autour de nous, et c’est bien ça qui fout les chocottes. Non, tous les hommes ne sont pas des violeurs, des harceleurs, des agresseurs. Mais une écrasante majorité des auteurs de crime ou de délit à caractère sexuels sont des hommes. Que nous connaissons. Et donc, peut-être qu’un jour, il nous faudra nous couper d’un ami, d’un frère, d’un patron, parce que nous ne pourrions plus le regarder en face sans avoir envie de l’étriper – ou de prendre nos jambes à notre cou. Aussi affreux que cela puisse vous sembler, il n’est pas impossible (du tout), qu’Ana dise la vérité. Ce que l’on sent, entre vos lignes, chère Laureen, c’est que le petit ver de la culpabilité s’est glissé dans votre cerveau pour en perturber le raisonnement.

Alors je vous le dis : vous n’y êtes pour rien. Si Greg a violé Ana, il ne l’a pas fait parce que vous le lui avez présenté. Ana aurait pu tomber sur un autre sale type. Greg aurait pu en violer une autre. N’oubliez pas, dans les affaires de viol, le seul coupable, c’est le violeur. Courage à vous – et embrassez Ana pour moi. »

(1) : Le 39 19, gratuit et anonyme, accessible 24H/24, 7 jours sur 7.

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