Allô, Giulia ? « Mon copain me menace d’aller voir ailleurs si je ne réalise pas son fantasme »

« Chère Giulia,

Je vous écris parce que je n’arrive plus à réfléchir toute seule. Mon cerveau est resté bloqué sur les derniers mots d’Antoine : « j’ai des besoins, moi. Ne t’étonne pas, après, si je vais voir ailleurs ». Il était 23h, il a claqué la porte de la chambre – et j’ai compris que je ferais mieux de dormir sur le canapé. J’aime profondément Antoine. De tout mon cœur. Et de tout mon corps. Quand je l’ai rencontré, il y a huit ans, je sortais d’une autre longue histoire d’amour. J’ai toujours été plutôt sage, et très, très romantique – et plutôt cœur que cul, si vous voulez. Mon premier amoureux était le gendre idéal, et je pense que dès le premier jour, l’avenir, avec lui, s’est parfaitement dessiné : le mariage, les enfants, la maison de campagne… J’ai étouffé. Ça a été très dur, mais je suis partie. Très vite, j’ai rencontré Antoine, et le parfum de l’interdit. Il était tout ce que je n’étais pas : artiste, fêtard, optimiste, déluré. Libre. J’ai eu besoin de ça, j’ai eu besoin de lui pour « me délacer le corset » – la formule est de lui, mais je l’aime bien. Avec lui, j’ai appris à connaître mon corps, mon désir, les siens… J’ai aimé ça, et je lui ai toujours emboîté le pas dans ses fantasmes. Avec un peu d’appréhension, parfois même un peu de dégoût au départ, mais je l’ai fait – il faut dire qu’il est très, très persuasif… Mais là, je ne peux pas. Je n’y arrive pas. Depuis une petite année maintenant, il veut absolument d’une autre fille avec nous. Pas une en particulier, n’importe laquelle. Il dit que le laisser me regarder prendre mon pied avec une autre, ça, ce serait le plus beau cadeau que je pourrais lui faire. À la réflexion, il commence toujours comme ça : il sait que je suis une gentille, donc il me fait ses yeux tous doux, son sourire à tomber, et il demande doucement…  Quand je résiste, il insiste. Là, il s’est mis à me montrer des filles, dans la rue, dans des soirées, ou bien des images et des vidéos érotiques ou porno, avec deux filles ensemble : « mais ça, t’es sûre que ça ne te fait rien ? » Ben non, rien, désolée… Et puis je ne veux pas, point ! Je ne sais pas pourquoi, mais je n’en ai pas envie, c’est comme ça, et je ne vois pas pourquoi j’aurais à me justifier – non ? Le ton est monté hier soir. J’avoue, je n’en pouvais plus, et c’est très rare, mais je me suis un tout petit peu énervée. C’est donc là qu’il est parti, furieux, se coucher. Moi, je suis restée scotchée. Impossible de dormir, tellement j’ai cogité. Je flippe complètement qu’il aille voir ailleurs. Je l’aime, je refuse de le partager. Mais je me dis que s’il n’y a « que » ça pour l’en empêcher, il faudrait que je me fasse violence… Je suis paumée. J’ai la trouille de le perdre, mais je ne sais pas du tout si j’arriverai, cette fois, à me forcer. Comment faire ? Et surtout, quoi faire : le convaincre de renoncer ? Accepter qu’il aille voir ailleurs ? M’habituer à l’idée et un jour lui offrir ce plaisir là ? » – Camille, 38 ans.

  

Chère Camille, 

Si vous m’écrivez, je pense que vous vous doutez un peu de ma réponse, et, qu’au fond, vous attendez une validation à celle que vous avez déjà, en vous, trouvée. Bingo. Vous l’avez : ON NE SE FORCE JAMAIS À RIEN AU LIT – ou sous un porche, où vous voulez. Et je crie parce que je vous aime bien. Comme j’aime bien toutes celles et ceux qui s’interrogent, qui essaient, qui vont fureter au-delà de leurs sentiers battus… Mais qui savent, aussi, poser un bon gros panneau de sens interdit. L’amour et la sexualité sont affaire de désir, pas de « dégoût ». Même pas « un peu ». Une relation sereine, épanouissante, joyeuse, qui, en un mot, vaille la peine d’être vécue, a comme pilier, pivot, clef de voûte (et couette en plume d’oie pour s’y lover), le consentement. Libre et éclairé. Contrairement au mythe selon lequel on serait tous, et toujours synchrone, tout pas de deux implique ses dissensions et ses compromis. Car, comme le disent certains sexologues, le lien affectif et sexuel repose en fait sur un « égoïsme partagé ». C’est à dire qu’on est à mi-chemin entre soi et l’autre, pile poil au milieu d’une trajectoire qui nous mènerait d’une posture sacrificielle à une position dominante… Parce qu’aucun désir, aucune envie, aucun fantasme, ne « vaut » mieux, en soi qu’un autre, mais qu’il se travaille, qu’il se discute, qu’il s’élabore, à deux, et au fil du temps. Oui, notre sexualité peut évoluer au contact d’un partenaire… Si tant est qu’on se sente libre de lui emboîter le pas, comme vous dites. Et on ne l’est réellement que si on a le droit de refuser, sans subir ni pression, ni chantage, ni menace. Sinon, on est dans la contrainte. Or la contrainte étouffe le désir, et empêche le plaisir. En tous cas, le plaisir… Dans la relation à l’autre. Certes, la masturbation n’est pas interdite. Mais on fait ça tout.e seul.e. On a une main, on a des jouets, on a un imaginaire, alors on se démerde. Et on n’utilise pas l’autre comme outil pour atteindre une jouissance qui ne concerne que nous. On écoute son ressenti, et on le respecte. Et si ce ressenti ne rejoint pas le nôtre, tant pis. On n’en mourra pas. Manger est un besoin. Boire (de l’eau) est un besoin. Respirer est un besoin. Et si on oublie de traire une vache, elle finira par exploser. Mais un homme qui n’éjacule pas ne meurt pas. L’orgasme est un luxe essentiel, le petit (gros) plus qui nous éclaire tout à coup l’existence, MAIS PAS UN BESOIN – pardon, j’ai re-crié. Si, vraiment, Antoine vous trompe parce que vous refusez ce qu’il exige de vous, et si, vraiment, alors, vous vous perdez l’un l’autre, comment dire, chère Camille… C’est une excellente nouvelle : vous aurez tout le temps et l’espace disponible pour rencontrer quelqu’un qui sache vous aimer comme vous le méritez. Et maintenant, un bain, une camomille, et le cerveau, au dodo – on y voit beaucoup plus clair quand on est reposée, vous étiez au courant ? » 

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