Allô, Giulia ? : « On n’a pas fait l’amour depuis un an »

« Franchement,

Je conseille à tout le monde d’avoir un mec comme Augustin. Il est gentil, il est prévenant, drôle, intelligent, plutôt pas dégueu (en vrai il est canon), et il est surtout ultra patient : depuis une petite année, je n’ai plus du tout, mais alors plus du tout envie de lui. Je dis « une petite année », parce que je ne saurais pas vraiment dater les choses. Il n’y a pas eu de déclic, de gros clash, pas du tout de trauma ou quoique ce soit. Juste, le désir est parti, comme ça. 

Bon, avec moi, à la base, de toutes façons ce n’est pas fou-fou. J’adore écouter mes copines me raconter leurs folles parties de galipette, ça m’a toujours fait rire… Mais moi, c’est moins mon truc. Ce n’est pas que je déteste ça, que ça me dégoûte ou que ça me fasse peur – j’ai lu des témoignages de femmes qui le vivaient comme ça, c’est pas mon cas. Moi, honnêtement, j’aime bien le sexe. Mais entre hurler de plaisir et hurler de rire, j’ai vite fait mon choix. J’avoue qu’avec Augustin, j’ai cru avoir changé. Ou que je m’étais trompée, et qu’en fait, j’aimais ça : il s’y prend hyper bien, hyper à l’écoute, et zéro pression.

Au début, j’ai eu envie, avec lui, comme ça ne m’était jamais arrivé. Mais on a passé le cap des trois ans, celui où l’alchimie ne vient plus naturellement, et petit à petit, fiout, ça a de nouveau disparu. Pourtant, j’aimerais tellement lui faire plaisir… Il ne demande rien, me dit que ça lui va comme ça, qu’on s’aime, et que c’est l’essentiel, mais je vois bien qu’il se pose des questions. Je lui ai parlé plusieurs fois, je lui dis que ça n’a rien à voir avec lui, qu’il fait tout ce qu’il faut, et que je vais trouver, moi, ce qui cloche – c’est pour ça que je vous écris, d’ailleurs… J’ai essayé, j’ai lu plein de trucs sur la libido, sur le sexe dans le couple, les femmes et leur corps etc. Sur les conseils d’un magazine, je me suis même acheté des textes érotiques, mais on va dire que sur moi ça ne marche pas.

Après, là où on a quand même un problème, c’est que quand Augustin est venu s’installer à la maison, il y a un peu plus d’un an, c’était dans l’idée d’occuper la petite pièce du fond qui me sert de bureau autrement qu’avec mes livres, si vous voyez ce que je veux dire… Et un bébé, ça ne se fait pas en se regardant dans le blanc des yeux. Je sais bien que les méthodes miracles n’existent pas, mais si vous pouviez juste me dire comment je retrouve le fameux « chemin vers moi-même », je prends. » -Anaëlle, 35 ans.

 

« Chère Anaëlle,

 

C’est drôle, je vous ai lue, et j’ai pensé à un vieux slogan de la sécurité routière… Peut-être parce que vous me parlez de « chemin »… En tous cas, rire et jouir, ce n’est pas exactement comme « boire ou conduire » : on n’a pas besoin de choisir. Et même, je ne suis pas sûre que la galipette, sans une bonne dose de joie, vaille forcément le coup…  Faire du sexe pour faire du sexe, pardon, mais non merci. On veut du bon sexe. Et du bon sexe, c’est du sexe qui nous fait du bien. Oui, c’est aussi simple – et aussi complexe que ça. Parce qu’il n’y a rien de plus compliqué que de trouver une réponse à cette foutue question : « mais qu’est-ce que j’aime, dans le sexe, moi ?  » / « De quoi est-ce que j’ai vraiment envie au lit (ou sous un porche ?) »

Vous êtes, comme moi, héritière d’une histoire qui, pendant des millénaires, nous a appris à penser, et à vivre notre sexualité à coup d’interdits et de « il faut ». Vous vivez, aujourd’hui, comme moi, une période où on contraire, « il faut », tout, partout, et tout le temps. Entre les deux, le « je » n’a pas encore réussi à se faire la moindre place… Alors, par réflexe, par facilité, on botte en touche et on pense « lui » – ou elle. C’est à dire l’autre. L’autre qui voudrait que, l’autre qui aimerait que. L’autre qui est tellement super qu’on voudrait juste lui faire plaisir… Sauf que jamais, jamais, jamais, JAMAIS (je passe aux majuscules, au cas où ce ne serait pas clair), on ne se force pour faire plaisir à l’autre.

D’abord parce qu’on se rappelle qu’on n’a jamais vu mourir quelqu’un d’absence de sexe comme on pourrait mourir de soif : c’est d’une envie, dont on se parle, pas d’un besoin. Mais que cette envie n’existe que si elle est partagée… Quand on est dans une sexualité relationnelle, libre, et consentie, où les deux partenaires sont des sujets pensants, désirants, et méritant l’un comme l’autre d’être entendus et respectés. Donc, à ce stade, votre non-désir vaut autant que le désir d’Augustin. Ce qui, c’est vrai, ne nous avance pas tant que ça… Mais pas plus que toutes ces fausses croyances derrière lesquelles on s’abrite pour, encore une fois, éviter de dire « je ».

Non, le désir ne s’éteint pas forcément au bout de trois ans – on est pas sur une pile en lithium à durée limitée. En revanche, oui, il peut se transformer, se moduler, dans ses manifestations, dans son déclenchement, dans son fonctionnement, avec le temps, l’humeur, et les étapes de la vie… Tous simplement parce que la libido est une matière vivante et que, pas plus que vous n’êtes une pile au lithium, elle n’est une machine avec bouton on/off. Anaëlle, Anaëlle, Anaëlle… C’est fou comme, quand on a le nez sur la vitre, on ne voit même plus la pluie. Deux fois, dans votre lettre, vous évoquez le même marqueur temporel : « une petite année » / « un peu plus d’un an ». Si je comprends bien, votre désir a commencé à s’émousser quand Augustin a mis le pied chez vous, avec, comme projet en tête, d’investir votre bureau avec un bébé… Vos livres disparaîtraient donc au moment où votre vie basculerait dans la maternité. D’où ma question : y a-t-il une petite chance pour que vous vous soyez sentie envahie ? Et si c’était le cas, est-ce qu’on pourrait imaginer qu’alors, vous vous soyez légèrement fermée (psychiquement, physiquement) a celui qui est entré un peu trop loin dans votre antre ?

Vous pouvez m’envoyer bouler avec mon Freud pour les nuls. N’empêche que la question se pose… Et qu’elle m’amène une réflexion, et une citation – oui, les deux. Aux journalistes qui lui demandaient sans cesse pourquoi elle n’était pas mariée, alors qu’elle était si belle, la féministe américaine Gloria Steinem répondait : « j’ai toujours détesté faire l’amour en captivité ». Le jour où j’ai lu cette phrase, j’ai éclaté de rire, tant elle avait pu me correspondre, à un moment donné de ma vie. Au doigt mouillé, on est nombreuses à l’avoir pensé, et ça pourrait être votre cas, Anaëlle… Sauf que, vous l’écrivez : même avant l’arrivée d’Augustin dans votre vie, le sexe ne vous intéressaient pas plus que ça. D’où ma réflexion : vous évacuez très vite la question du trauma, pour me dire que vous n’en avez pas vécu. Je vous crois.

Néanmoins, sans avoir subi de profonde blessure, ou d’épisodes violents, votre rapport au plaisir, au corps, à l’intime, a pu se construire de façon difficile, voire douloureuse. Je vous parle, là, autant d’événements que vous avez pu traverser, que de discours qu’on a pu produire, autour de vous, sur la sexualité. Quoiqu’il en soit, quelque chose s’est passé, qui vous a conduite à vous protéger très très fort, jusqu’à un Augustin, qui, avec toute sa délicatesse, a commencé à entrouvrir la porte. M’écrire, ici, c’est continuer son geste : ouvrez-la, cette porte, regardez en vous-même, vous respirerez mieux. »

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