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Allô, Giulia ? : « Sans être sa copine, j’aimerais être spéciale pour lui »

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« Je n’aurais jamais pensé écrire à un courrier du cœur…

Pour moi, il y a quelque chose d’un peu impudique, à le faire. Mon père était ultra pudique. Pour lui, c’était un peu « marche ou crève », et surtout, « mets les mains dans la terre, ça t’évite de penser ». Il était fils d’agriculteur, élevé à la rude, par un père un peu rustre, et surtout veuf inconsolable – petite, je croyais que ma grand-mère était comme les saints de l’Eglise, tellement il y avait de photos d’elle partout à la maison, et surtout, quand on parlait d’elle, on devait faire attention… J’ai l’air de m’égarer, mais en fait, pas du tout.

Pour mon père, un homme ça ne pleure pas, ça ne se plaint pas… Et c’est valable pour sa fille unique – moi. Je l’ai vu trimer, j’ai décidé que ça ne serait  pas mon cas. J’ai bossé comme une folle, je suis rentrée en école de commerce, école dont je suis partie pour passer le Barreau, Barreau que j’ai eu haut la main. Aujourd’hui, je suis avocate, je m’éclate – et quelque part, « je venge ma race », comme l’écrit Annie Ernaux, que je lis avec passion depuis mon adolescence. Une femme libre, pour moi, c’est ça. C’est elle, et donc, je l’espère, c’est un peu moi. 

Indépendante financièrement et affectivement, je gagne très bien ma vie, j’ai une bande d’amis solides, donc tout va bien… Et donc, normalement, je ne vous écris pas. Sauf qu’il faut bien que je mette tout ce qui me trotte dans la tête quelque part, ne serait-ce que pour continuer à goûter ma vie – et comme mon père ne lira certainement pas ça, je peux me le permettre, ha ha !

Maxime était mon coach sportif. Il avait une réputation de sacré coureur, et même ça, ça ne m’a pas fait peur : au contraire, je l’ai pris comme un défi… Et quelques mois après notre rencontre, il était dans mon lit. Pour être honnête, ce n’était pas la folie. Mais franchement, il est hyper gentil. Et doux. Et on se marre bien, en fait. Ca fait quelques mois, maintenant, qu’on se voit. Régulièrement, mais sans engagement. On en a parlé, et je le sais : il voit d’autres femmes… Et moi je suis censée faire de même – c’est ce que je lui ai dit. Ça me va. D’abord parce qu’il ne m’a jamais menti. Et puis je ne suis pas sûre, en ce moment, de vouloir un homme à plein temps dans ma vie. A vrai dire, je n’en ai jamais vraiment ressenti le besoin ou l’envie. Je sais, ça peut paraître bizarre à certains, mais j’ai tout, dans ma vie, pour me sentir comblée.

Le seul truc – et en fait, vous pourriez commencer mon courrier par là, parce que la vraie question, c’est ça : sans être la meuf de Maxime, j’aimerais être juste un peu spéciale pour lui. Peut-être qu’il m’aime un peu, je ne sais pas… Ok, il a d’autres aventures. Mais s’il revient vers moi, c’est quand même qu’il est assez bien avec moi, non ? » – Marta, 43 ans.

« Chère Marta,

C’est fou comme vous avez du mal à la poser, cette question…  Et c’est encore plus dingue, vu la simplicité de la réponse : non, personne ne met de kalachnikov sur la tempe de Maxime pour qu’il vienne chez vous. Alors oui, il vous retrouve parce qu’il en a envie. Mais donc, non, je ne suis pas sûre que vous m’écriviez pour ça. Vous maîtrisez les mots, pourtant, vous conduisez le récit – de même que vous avez les mains parfaitement accrochées au volant de votre vie. Pourquoi, tout à coup, cette fébrilité ? A première vue, vous savez parfaitement où vous allez : tout droit, selon un plan établi avant même que vous ne connaissiez l’existence des plans.

 

Petite, vous vivez à l’ombre – d’une grand-mère morte, d’un grand-père triste, et d’un père orphelin. Alors, en vertu de la règle immuable selon laquelle les enfants font tout ce qu’ils peuvent pour réparer leurs parents, vite, vite, vous allez le trouver, le soleil, et vous y réchauffer : pour conjurer le sort de ceux qui vous ont précédée, il vous faudra, vous, vous construire une vie qui fera envie. A la force du poignet, vous l’obtiendrez, et tant pis s’il fait mal, le poignet, à retourner la terre, pour infléchir une destinée. Non, qu’importe : chez vous, on ne pleure pas. Chez vous, on n’a pas mal. Chez vous, on a besoin de rien, et encore moins des autres, qui, s’ils s’approchaient trop, pourraient un jour nous atteindre, et alors nous heurter.

 

Indépendante et fière de l’être, vous vengerez, si ce n’est votre race, du moins votre famille, que la vie a blessée – j’ai l’air de m’égarer, mais pas du tout, non ? Je vous taquine, Marta : vous êtes, comme on l’est tous, héritière d’une histoire familiale dont il faudra, un jour, vous débarrasser. En m’écrivant, en parlant de l’endroit d’où vous venez, en fait, vous commencez. L’indépendance intérieure est la plus difficile à gagner. Avec la force de caractère qui est la vôtre, vous y arriverez. A condition de vous interroger, vous.  Et par exemple sur la place que prend aujourd’hui encore votre père, pour vous – est-elle, par exemple, proportionnelle au nombre de lignes que vous lui consacrez ? Demandez-vous, au-delà de lui, comment vous avez réparti votre espace personnel, et la place qu’alors vous avez laissé, à un Maxime, ou à tout autre, qui voudrait s’y glisser… A ce sujet, d’ailleurs : pourquoi c’est si important, pour vous, d’être spéciale pour un homme avec qui « c’est pas la folie » ? Ce Maxime, vous ne l’aimeriez pas un peu ? Vous êtes une femme de défis : allez-y, répondez. »

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