Amours plurielles : comment faire quand on aime deux personnes en même temps ?

Quand elle rencontre Théo*, Maya* est déjà en couple et passionnément amoureuse de son compagnon. Ils sont ensemble depuis six ans, partagent un appartement, et beaucoup de projets d’avenir. « On était très heureux, peut-être un peu tombés dans une espèce de routine, mais très épanouis. C’était donc d’autant plus perturbant de voir que mes sentiments pour Théo étaient bien réels. Au début je refusais de les prendre au sérieux », se souvient la jeune femme de 33 ans.   

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De son côté, Lucile Bellan s’inscrivait dans « un parcours assez classique » avec son époux et leurs deux enfants lorsqu’elle a rencontré celle qui allait devenir sa compagne. « On a commencé à se parler sur Internet et j’ai finalement décidé de sauter le pas en la rencontrant, pour voir si ce n’était que du désir. Très vite, je me suis rendu compte que j’étais amoureuse d’elle », se souvient la journaliste et autrice du livre « Aimer c’est compliqué ». Pour Maya aussi, l’évidence finit par s’imposer et la jeune femme prend conscience que l’amour qu’elle porte à son compagnon ne l’a pas empêchée de tomber amoureuse d’un autre. « La nature humaine comporte bien des spécificités et l’amour peut se conjuguer de différentes manières. Les sentiments amoureux peuvent ainsi parfois être pluriels, différenciés d’une personne à une autre et concomitants », affirme Magali Croset-Calisto, psychologue et sexologue**. « Je lui ai dit que j’avais rencontré quelqu’un, que je préférais être honnête, et que je ne savais plus si j’avais envie d’être avec lui. En fait, je l’aimais encore, mais j’avais follement envie de vivre cette autre histoire d’amour », raconte Maya.   

Multiplication de l’amour… et de la culpabilité  

Décidée à ne rien faire « dans le dos » de son mari, Lucile lui parle immédiatement de sa rencontre. « Nous avions déjà discuté de ma bisexualité, et il était d’accord pour que j’aille expérimenter si j’en ressentais le besoin. Quand je lui ai dit que c’était plus compliqué que ce que je croyais, et que ça n’était pas juste un plan cul, il m’a dit “On va le faire ensemble et ça va bien se passer” », raconte la jeune femme de 36 ans.   

Ensemble, ils parviennent à organiser un nouveau quotidien, entre des « nuits à découcher », des trains à prendre, et des week-ends à organiser. Sortir du schéma traditionnel de la famille monogame et « accepter ce changement d’identité » a d’abord été difficile. « C’était totalement nouveau et ça ne correspondait à rien de ce qu’on m’avait appris. J’avais l’impression d’être anormale. Au début, on s’est caché, puis il a fallu se justifier car les gens ne comprenaient pas. J’ai culpabilisé comme une malade, je me disais que j’étais devenue une mauvaise épouse, une mauvaise mère, et que j’abandonnais tout le monde, tout ça pour du cul. On se répète des choses horribles, mais c’est la société qui nous fait grandir comme ça, surtout en tant que femme », regrette-t-elle.   

Maya, pour qui le polyamour n’était pas une option, a fini par quitter son compagnon. « Nous sommes passés par des phases très compliquées. Il ne comprenait pas ce qui nous arrivait, tout a été très soudain. Il a tout fait pour sauver notre couple et je culpabilise encore de l’avoir abandonné », confie-t-elle. En couple avec Théo depuis plus de trois ans, elle porte encore le poids du début de leur relation, initiée alors qu’elle était avec un autre. « Très peu de personnes savent que j’étais déjà en couple quand je me suis mise avec Théo, j’en ai honte. J’attends encore que mon ex me dise qu’il a trouvé quelqu’un, qu’il est heureux. Je m’en veux encore et je crois que j’ai besoin de ça pour définitivement tourner la page et avancer », explique Maya.   

Pour Lucile, la légitimation de ses sentiments s’est notamment faite grâce à la lecture et à l’écoute du témoignage d’autres femmes passées par le même chemin qu’elle. Loin des clichés de l’amoureuse fleur bleue indécise, qui ne saurait trancher entre la raison et la passion, elle découvre « d’autres voix », et des expériences libérées de toute hétéronormativité. « Pour les femmes, c’est dur de se lever le matin et de se dire “Je vais estimer que ce que je fais est bien, que j’ai raison, et que je mérite les choses qui m’arrivent.”… surtout quand on est en situation de remise en question. C’est grâce à des exemples positifs que l’on voit à quel point c’est sain et naturel d’aimer plusieurs personnes en même temps. C’est en étant bienveillant avec les autres qu’on commence à l’être avec soi-même », encourage Lucile, qui milite pour « pousser le sujet du polyamour hors de l’anecdotique ».   

Tout dire, ou presque ?  

Si la mère de famille a pu faire éclore de ses sentiments pluriels de belles histoires d’amour, aimer deux personnes en même temps peut parfois être douloureux et même sembler sans issue. « Tout le monde n’est pas fait pour le polyamour. Si le choix est de rester en couple et de renoncer à cet autre amour qui surgit, une discussion sereine entre les partenaires est fortement recommandée afin faire un point sur ce qui les réunit et comment le couple voit son avenir en commun », conseille Magali Croset-Calisto, qui assure qu’« il y a toujours des solutions ».   

Pour Lucile Bellan, la seule voie est celle de la vérité et de la communication. « Il est impossible de vivre deux histoires d’amour de manière sereine en étant dans la tromperie. On peut avoir besoin d’être sûr·e avant de prendre un risque sur sa relation primaire, mais je pense qu’il ne faut pas croire qu’on peut vivre dans la dissimulation pendant des mois de manière satisfaisante et épanouissante », affirme-t-elle. « Si on pense que l’on est amoureux·se, il faut prendre le risque de casser ses relations, car on ne peut pas aimer correctement en n’étant pas soi-même. Il faut se regarder en face, se déconstruire, et accepter ce qu’on est. Ça n’est pas honteux, il faut juste avoir le courage de le dire à la personne qu’on aime », préconise l’auteure.   

« Pour moi il aurait été impossible de vivre deux histoires en parallèle, sans en parler à mon mec. Tous ces secrets m’auraient rongée de l’intérieur et à partir du moment où j’ai su que je voulais vivre quelque chose avec Théo, il fallait que j’en parle. J’ai essayé de protéger mon ex le plus possible, en lui épargnant les détails, quitte à lui mentir par omission », explique Maya. Sortir du mensonge ne doit en effet pas être synonyme d’une « injonction à la transparence », comme le souligne Magali Croset-Calisto. La sexologue appelle d’ailleurs les polyamoureux à préserver leur jardin secret, pour trouver « un équilibre entre vie personnelle et vie de couple ».   

*Les prénoms ont été modifiés.  

**Auteure du livre « Fragments d’un discours polyamoureux », Michalon.  

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