Santé

Analyse : où en sommes nous de la fidélité dans le couple ?

« À l’heure actuelle, un homme qui se dit fidèle passe pour ridicule, ou pour un menteur », remarque Patrick Lemoine, psychiatre, docteur en neurosciences, auteur de « Et la fidélité, bordel ! » (éd. Albin Michel). La fidélité, une valeur obsolète ? Une récente étude, menée en 2022 par le site Gleeden sur 6 000 personnes hétérosexuelles résidant en France, Belgique, Allemagne, Italie, Espagne et au Royaume-Uni, démontrait que les Français étaient de plus en plus tentés par l’infidélité et se montraient champions dans l’intérêt porté aux relations non exclusives comme le couple libre, l’échangisme ou le polyamour. 35 % des Français et 17 % des Françaises considéraient ainsi que c’était une bonne solution pour expérimenter des pratiques sexuelles que leur partenaire ne souhaitait pas essayer. « Si l’on regarde l’histoire, on s’aperçoit qu’il y a toujours eu des flux et des reflux de puritanisme, tempère le psychiatre. Même si aujourd’hui on est dans une libération affichée. »

La première cause de séparation                 

Pour les jeunes générations, au sein desquelles infusent des tentatives de remettre en question le couple traditionnel, battu en brèche par les divorces de leurs parents – en France, 46 % des mariages se terminent, au bout de neuf ans en moyenne, par un divorce, et la première cause de séparation déclarée est l’infidélité –, la notion de fidélité devient floue, adaptable ou contractuelle. « Je vois surtout une volonté de faire autrement tout en restant hyper sincère, explique Camille Aumont-Carnel, chroniqueuse sur France 5 et créatrice du compte @jemenbatsleclito. La question est : puis-je te regarder dans les yeux et te dire que jusqu’à la fin de ma vie je n’aurai envie de coucher qu’avec toi ? Il y a plutôt une volonté d’être réaliste sur nos attentes et nos désirs, et de redéfinir ce qu’est le couple et ses limites. Il y a des personnes qui sont à l’aise avec une fidélité romantique mais n’envisagent pas une fidélité sexuelle, peu viable à leurs yeux. Car, si je regarde autour de moi, très peu de couples se séparent parce qu’ils ne s’aiment plus. Ils se quittent parce que l’un des deux a trompé l’autre, ou parce qu’ils ont envie d’aller voir ailleurs. D’où l’idée de couple exclusif et non exclusif, ce qui est beaucoup moins culpabilisant. Dans l’infidélité, il y a une notion de mensonge et de trahison. Dans la non-exclusivité, il y a un pacte qui se décide et qui induit des règles à respecter. »

La fidélité : une invention ?                 

En cherchant un thème pour écrire son nouvel ouvrage, Patrick Lemoine, déjà auteur de « Séduire, comment l’amour vient aux humains » (éd. Robert Laffont), a trouvé quantité de livres écrits sur l’adultère et très peu sur la fidélité. Il s’est donc attelé à la rédaction d’un livre empruntant à l’éthologie et à l’anthropologie, foisonnant d’exemples pris dans le règne animal et dans les différentes ethnies à travers la préhistoire et l’histoire. Comme le requin et son pénis bifide permettant un lavage à l’eau de mer pour chasser le sperme de ses prédécesseurs. « L’humain lui aussi est prêt à user de toutes les stratégies pour s’assurer la légitimité de sa descendance, donc la fidélité de ses partenaires, jusqu’à les contraindre », observe l’auteur. Dans son livre, il fait aussi le lien entre sociétés matriarcales et rapport différent à la fidélité. « Reposant sur la fides, ou parole donnée lors de l’union, écrit-il, il est clair que la fidélité est une pure invention forgée par les hommes, à quelques exceptions près, et destinée à s’assurer l’exclusivité de leurs compagnes. » Une phrase que pourrait reprendre Camille Aumont-Carnel, féministe convaincue. « Fondamentalement, c’est un concept très patriarcal, affirme-t-elle. Pour moi, la fidélité, c’est temporaire. J’avais vu à la télé une interview d’un couple très vieux qui avait passé toute leur vie ensemble, et on demandait à la femme quel était leur secret, elle répondait, en regardant son mari du coin de l’œil : “Il faut être un peu aveugle et un peu sourd.” J’ai trouvé ça très mignon ! Finalement, la fidélité introduit la notion de dialogue et de mise à jour. On est en couple avec quelqu’un et, tous les six mois, on se dit qu’on va checker si on est toujours en accord avec les conditions de notre lien. On se demande si on est toujours OK pour l’exclusivité et on vérifie que l’autre est toujours en phase. » La fidélité, une idée à valider périodiquement ? À la lueur des témoignages ci-contre, on s’aperçoit surtout que chacun s’arrange comme il peut avec cette notion. Fidèle, oui, mais fidèle d’abord à soi-même, tel pourrait être le credo 2023.

Témoignages 

Caroline, 30 ans « On n’arrive pas à se dire qu’on va coucher toute notre vie avec le même homme »

« Je vivais avec un homme depuis cinq ans. J’étais persuadée que c’était l’homme de ma vie, on travaillait ensemble, on avait plein de projets. Il me correspondait parfaitement, mais j’ai eu envie d’aller voir ailleurs. Tu commences à loucher sur les mecs sur Instagram, puis en vrai. Je suis partie en vacances avec des amis et je l’ai trompé pendant une semaine avec un mec plus jeune. Je ne lui ai pas dit mais il a senti que je n’étais plus dans le mood et on s’est séparés. Je crois que c’est un vrai problème de société. C’est un truc systématique de lassitude, de frustration, de tentations, de libération sexuelle aussi. On n’arrive pas à se dire à notre âge qu’on va coucher toute notre vie avec le même homme. Et on lit plein de comptes Insta sur la sexualité qui nous invitent à essayer des choses. J’ai plein d’amis dans mon cas qui trompent ou qui se quittent. J’ai rencontré quelqu’un d’autre, il est cool, très différent de moi, mais je me dis parfois : est-ce que je n’ai pas fait une connerie en quittant ce mec parfait ? »

Laure, 45 ans « J’ai vu les limites du couple libre »

« Pendant quinze ans, j’ai vécu avec un homme en couple libre et j’ai vu les limites de ce modèle. Sur le principe, c’était bien : j’avais une aventure par an environ, même si je passais parfois pour la “salope“, alors que l’entourage de mon mec prétendait que lui était irréprochable. En fait, il était musicien et, pendant quinze ans, il a couché avec des centaines de filles en tournée. Mais il différenciait l’amour du sexe : avec moi, il était très engagé, il voulait se marier et avoir des enfants. Rétrospectivement, le chiffre m’a choquée, j’ai eu l’impression d’avoir vécu dans une réalité différente de celle que j’avais cru vivre. Aujourd’hui, je suis avec un homme que j’aime et je suis fidèle. Par respect, parce que je suis comblée et que je n’ai pas envie d’aller voir ailleurs, même si je reste sexuellement très libre : on pense d’ailleurs à expérimenter ensemble certaines choses comme des orgies ou de l’échangisme. »

Clothilde, 53 ans « Je ne me sens pas du tout infidèle… »

« J’ai toujours été fidèle dans toutes mes relations. Non par conviction morale, mais parce que j’estimais que tant qu’on aimait les gens on n’éprouvait pas l’envie d’être infidèle et que si on ne les aimait plus on les quittait. Et aussi pour me rendre la vie plus facile, car je culpabilise rapidement. Jusqu’à il y a un an… Je suis mariée, j’ai deux enfants, mais depuis quelque temps notre couple battait de l’aile. Je ne me sentais plus regardée ni désirée et j’ai pris un amant. Ce qui est intéressant, c’est que je ne me sens pas du tout infidèle, car les deux relations n’ont rien à voir. Quoi qu’il advienne, mon mari reste l’homme le plus important de ma vie. Avec mon amant, on ne partage ni les joies ni les inconvénients du quotidien, juste des cinq à sept. Ils ne jouent pas dans la même cour. Et je suis plus agréable avec mon mari depuis que je fréquente cet amant. »

Helena Noguerra, 53 ans « Je trouve très sexy de résister à l’infidélité »

« Pour moi, l’idée d’infidélité fait partie d’un monde obsolète, où les couples étaient obligés de rester ensemble pour des raisons contractuelles, quand les femmes n’étaient pas indépendantes et n’avaient d’autre possibilité que de subir un mari qui avait des maîtresses, et prenaient donc parfois un amant. L’idée que l’un garde en otage l’autre en exigeant l’exclusivité, mais ait quand même envie d’aller voir ailleurs, je trouve ça idiot et sans aucune nécessité. Cela traduit une personne menteuse, lâche, dissimulatrice. J’adore la fidélité dans le sens de la loyauté, du respect à partir du moment où l’on a passé un contrat tacite d’exclusivité. Lorsqu’un homme qui n’est pas mon homme me désire, je trouve ça très sexy de lui résister. Si d’aventure je succombais, ce serait donner trop de pouvoir à cette personne qui aurait l’impression d’avoir gagné quelque chose sur mon homme. Sauf si tu pars dans un pays lointain et que tu couches avec un inconnu que tu ne reverras jamais, la plupart du temps, les gens se trompent dans un cercle proche ou entre connaissances. Un homme qui veut coucher avec moi alors que j’ai un mari, c’est une sorte de duel. Il est hors de question que je sois l’objet du litige. »

Édouard, 32 ans « J’ai complètement accepté qu’elle couche avec un autre »

« Jusque-là, j’avais toujours été straight avec les filles que j’aimais. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a expliqué qu’elle vivait une relation polyamoureuse avec un mec et une fille. On en a beaucoup discuté et j’ai accepté le principe. Puis elle est partie à l’étranger quinze jours rejoindre son mec, et là, il a fallu s’y confronter concrètement, ce qui n’était pas simple. Finalement, j’ai tellement respecté sa liberté et sa manière de vivre ses envies que j’ai complètement accepté qu’elle couche avec un autre. J’étais vraiment heureux pour elle. J’ai compris qu’il fallait un ego de monstre pour penser qu’on peut combler tout seul quelqu’un, et que vivre quelque chose de fort et d’intense en dehors d’une relation ce n’est pas tromper l’autre. Je suis content d’avoir fait tomber mes barrières. Aujourd’hui, je sais que le polyamour n’est pas pour moi, pour une question d’organisation, mais j’admets que ça existe et que des gens qui le pratiquent soient totalement épanouis. En fait, il y a autant de manières de vivre l’amour et la fidélité qu’il y a d’individus. »

Alma, 44 ans « J’estime qu’on n’a qu’une vie »

« La première fois que je suis tombée amoureuse, ce fut une déflagration. Je suis devenue accro à cette adrénaline des débuts d’une histoire. Il y a quinze ans je suis sortie avec une fille mariée, et au bout de deux ans je l’ai trompée, mais j’ai toujours nié. Je ne m’interdis jamais d’aller voir ailleurs. Je ne suis pas fidèle mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas quelqu’un de bien. J’estime qu’on n’a qu’une vie, et que des grosses émotions on n’en a pas tant que ça. Pourquoi les éteindre quand elles vous tombent dessus ? Dire “elle est à moi“, ne pas partager ? Être fidèle, pour moi, c’est du capitalisme. Je dois être un peu communiste, au fond ! »

Mathilde, 33 ans « J’étais toujours persuadée qu’il y avait mieux ailleurs »

« Mes parents ont eu une histoire d’amour truffée de tromperies, et je pense que j’en ai été inconsciemment très affectée. En fait, comme mon père, j’étais toujours persuadée qu’il y avait mieux ailleurs. Et je trompais les hommes avec qui j’étais, dans une omerta totale. J’avais zéro culpabilité et je plaignais les gens fidèles, enfermés dans un schéma ringard hérité de la religion chrétienne. Puis, un jour, je suis tombée dans une relation toxique et j’ai dû aller voir un thérapeute pour en parler. J’ai compris que j’avais reproduit l’attitude de mon père, ce grand séducteur. Il y a un an, j’ai rencontré quelqu’un et j’ai totalement viré de bord, je suis fidèle. J’ai beaucoup de respect pour ce garçon, je suis épanouie, heureuse, un nouveau monde s’offre à moi. Le vrai monde. »

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