Santé

Artoise sur la contraception définitive : « Je préfère mille fois regretter de ne pas avoir eu d’enfant, que regretter d’en avoir eu »

Journaliste et gameuse à ses heures perdues, Artoise Bastelica s’intéresse à la place des femmes dans l’industrie vidéoludique. Récemment c’est la place dans la société française de son corps de femme, et plus précisément… de ses trompes de Fallope, qui a fait grand bruit. Artoise a témoigné pour Konbini de sa décision de se faire stériliser par section et cautérisation des trompes. L’opération s’est très bien passée, et elle est heureuse de sa décision. Mais son choix a suscité des cris d’orfraie, notamment à l’extrême droite.

Pourquoi cette panique morale ? Parce que le parcours contraceptif d’Artoise sort de ce que les sociologues Nathalie Bajos et Michèle Ferrand définissent comme la « norme contraceptive française » : d’abord le préservatif en début de vie sexuelle, puis on passe à la pilule quand le couple devient stable, et enfin stérilet quand le nombre d’enfants désiré est atteint. La stérilisation, quant à elle, est très peu répandue en France. Laurène Lévy indique dans « Mes Trompes, mon choix ! » que si dans le monde, plus d’un quart des femmes en couple âgées de 15 à 49 ans sont stérilisées ; en France, elles ne sont que 4,1 % ! Et parmi ces 4,1 %, une grande partie a plus de 40 ans. Le choix intime, raisonné, d’Artoise dénote donc encore, et choque les franges conservatrices de notre société. J’ai eu envie de lui donner la parole pour qu’elle puisse partager avec nous son expérience et ses convictions.

Sensibiliser sur une forme de contraception mal connue

« Quand j’ai témoigné en vidéo pour Konbini, je voulais informer, sensibiliser. Aujourd’hui, quand on parle de contraception, on ne parle que de contraception réversible. On ne parle pas ni de vasectomie, ni de stérilisation tubaire. Beaucoup de personnes pensent donc que si on n’a pas eu d’enfant, ou si on a moins de 30, 40 ans, on ne peut pas avoir accès à une contraception définitive. Les médecins n’informent pas — je ne sais pas si c’est parce qu’eux-mêmes ne sont pas au courant, ou si c’est parce qu’ils ne veulent pas avoir à recourir à cette opération… En tout cas, suite à ma vidéo j’ai reçu des dizaines de messages de personnes qui ne savaient pas qu’il était possible de se faire stériliser. Ces personnes étaient parfois dans des situations très compliquées : par exemple il y avait des femmes hyper fertiles qui, après cinq ou six avortements, se retrouvaient toujours face à des murs lorsqu’elles demandaient une stérilisation… alors qu’elles voulaient juste à sortir de cet enfer ! Pourtant, pour accéder à la contraception définitive, la loi impose juste trois choses : 1) avoir 18 ans, 2) ne pas être sous tutelle, et 3) avoir respecté un délai de réflexion de quatre mois.

On m’a reproché de faire de la propagande pour que les femmes ne fassent plus d’enfant

Si j’ai fait cette vidéo, c’est aussi parce que j’avais envie de dire aux femmes qu’elles ont le droit de disposer de leur corps ! En 2023, ce sont encore des choses qu’il faut dire… Preuve en est : le déluge de commentaires moralisateurs qui m’est tombé dessus. On m’a carrément reproché de faire de la propagande pour que les femmes ne fassent plus d’enfant du tout… et donc de participer au déclin de la société ! J’ai trouvé ce discours nataliste à la fois absurde et flippant. Aujourd’hui on voit tout un tas de gens défendre la natalité pour créer plus de travailleurs, pour financer les retraites etc. Dans le genre, j’ai eu droit à des remarques comme : « elle va finir seule, parce qu’aucun homme ne voudra d’elle ». Et quand bien même : faut arrêter de dramatiser le célibat ! Autre commentaire récurrent : « on en reparle dans dix ans, quand tu regretteras. » On présente encore la maternité comme un accomplissement ultime pour les femmes. Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Je préfère mille fois regretter de ne pas avoir eu d’enfant, que regretter d’en avoir eu. »

Sortir de la charge et des douleurs contraceptives

« J’ai toujours su que je ne voulais pas d’enfants. Mon projet, c’est de vivre en harmonie avec moi-même, et si j’y arrive, je serai déjà très contente ! En dehors du fait que je n’ai jamais été émue ou attirée par les enfants, je suis aussi persuadée que l’on peut être accomplie et heureuse sans enfant.

J’ai commencé à prendre la pilule très jeune. Mais j’avais du mal à être régulière dans la prise, du coup je stressais pas mal. J’ai décidé de changer de méthode contraceptive au moment où je suis partie en Australie pendant cinq mois. Je n’avais pas envie d’avoir cette contrainte-là à l’autre bout du monde. Je voulais aussi changer pour une contraception sans hormone, je n’aime pas l’idée d’être sous hormones toute ma vie : je suis donc passée au stérilet. Mais mes règles sont devenues très, très douloureuses, carrément handicapantes. J’avais aussi des douleurs pendant les rapports, ce qui m’a créé un blocage vis-à-vis du sexe : j’avais tout le temps peur d’avoir mal !

Quant au préservatif, j’ai eu plein de problèmes avec des capotes qui craquent. Soit parce qu’on la pose mal, soit parce que la qualité des préservatifs qu’on peut trouver gratuitement n’est pas forcément au rendez-vous. Je devais prendre une pilule d’urgence, là aussi c’était super stressant ! »

Mûrir ma décision, et acter que mon corps est mien

« Un stérilet se change tous les cinq ans. Au bout de trois ans avec mon DIU, j’ai commencé à penser à la suite. Je me suis dit que clairement, je ne me voyais pas du tout repartir pour cinq ans avec cette contraception. Déjà parce que la pose est très douloureuse. Pour moi ça a fait comme une grosse contraction, pourtant, j’ai un seuil de résistance à la douleur assez élevé. Et puis entre les douleurs pendant les règles et les douleurs pendant les rapports… j’étais rebutée.

Mais que faire ? Je savais que je ne voulais pas d’enfant. Allais-je devoir garder une contraception hormonale à vie ? La seule autre option que je voyais était de ne plus prendre de contraception… mais je me condamnais à vivre dans une angoisse permanente de tomber enceinte.

C’est lourd de s’engager dans un processus médical invasif

Et puis un jour, j’ai eu la chance de voir passer le témoignage d’une jeune fille qui avait mon âge à l’époque : 20 ans. Elle venait de se faire ligaturer les trompes. C’est grâce à elle que j’ai découvert qu’il m’était possible à moi aussi de recourir à cette méthode contraceptive. Je me suis renseignée et j’ai appris qu’il n’y avait pas de condition d’accès autre que le fait d’être majeure et de ne pas être sous tutelle. Ça m’a semblé idéal ! Je n’ai pas sauté le pas tout de suite. Je me suis donné les deux ans qu’il me restait avant de devoir changer mon stérilet pour cheminer avec cette idée, mûrir ma décision.

Alors évidemment, dans le meilleur des mondes, si une contraception non définitive non hormonale qui ne me causait pas de douleurs avait existé… Bien sûr que je me serais orientée vers celle-là. Car c’est lourd de prendre cette décision importante de subir une opération sous anesthésie générale, c’est lourd de s’engager dans un processus médical invasif. Mais… cette solution alternative n’existe pas ! C’est aussi la raison pour laquelle je milite pour le développement de la contraception masculine. Si les hommes se contraceptaient, peut-être que je n’aurais pas eu à passer sur cette table d’opération.

Mais je tiens à préciser que cette opération, pour moi, ne représente pas quelque chose de grave ou de terrible. Au contraire, j’acte que mon corps m’appartient. Je profite des droits que me donne la loi. Alors oui, ça dérange. Ce geste de stérilisation paraît radical, parce qu’il est déclaratif. Et parce que je décide cela jeune. »

Comment ça s’est passé concrètement ? Très bien !

« Je ne voulais pas avoir à subir de remarques de la part du corps médical, donc je me suis bien renseignée en amont sur le lieu où demander cette opération de stérilisation. Une femme m’a conseillée. J’ai été accompagnée par des personnes extrêmement bienveillantes — d’ailleurs ce n’étaient que des femmes ! Elles ont agi de manière protocolaire, c’est-à-dire qu’elles ont juste respecté la loi, il n’y a eu aucune tentative de moralisation de leur part. Elles m’ont tout expliqué, et notamment (c’est obligatoire) toutes les contraceptions qui sont possibles. Elles m’ont mise en garde sur l’irréversibilité de la stérilisation. Bon, elles m’ont expliqué qu’il reste quand même la PMA car mon utérus est toujours fonctionnel… Mais je ne serais pas prioritaire, et c’est bien normal. De toute façon je n’aurais jamais recours à la PMA ! On m’a aussi proposé de voir un psy, mais comme ce n’est pas obligatoire, on ne me l’a pas imposé.

Je me sens libérée d’un handicap

Quand l’opération a été planifiée, j’ai annoncé ma décision de me faire stériliser à mes parents et à mon grand frère. Ma mère a un peu pleuré, elle a compris que ce n’est pas par moi qu’elle deviendrait grand-mère. Cette conversation a été l’occasion de rappeler les fondamentaux sur mes choix de vie à ma famille, et dès que ça a été digéré, ils m’ont accompagnée du début jusqu’à la fin, ils ont été présents et soutenants. Mon frère était un peu réticent au début… Mais au final, ça l’a encouragé à s’orienter vers la contraception masculine ! Et il m’a dit que c’était grâce à moi, que je l’avais fait réfléchir, et qu’il ne trouvait pas ça normal que ce soit les femmes qui portent toute la charge. Je suis fière de son évolution.

L’opération que j’ai subie s’appelle une cœlioscopie. C’est une opération très peu invasive, mais qui demande quand même une anesthésie générale. Une fois endormie, on gonfle le ventre avec du gaz carbonique pour ne pas avoir à toucher aux organes vitaux et on y glisse une petite caméra par une incision pratiquée au niveau du nombril. J’ai aussi eu une incision sur le ventre au niveau de ma trompe gauche, et une incision juste au-dessus de mon pubis. Elles font trois millimètres, c’est vraiment très très petit, Il n’y a quasiment aucune trace. La chirurgienne a coupé deux petits morceaux de trompe et a cautérisé. Et puis voilà, j’ai eu un point de suture au niveau du nombril. C’est ce point-là qui a été douloureux pendant la semaine de convalescence. Mais l’opération reste légère : elle se fait en ambulatoire. Je suis arrivée le matin, le soir, j’étais repartie.

Le seul souci que j’ai rencontré lors de mon parcours médical a été avec une infirmière que je suis allée voir en post-op. Quand je suis allée faire retirer mon point de suture au nombril, au moment où l’infirmière a appris que je m’étais fait stériliser, elle a tiré durement sur le point pour le couper, ça m’a fait très mal. C’était carrément une violence médicale. Elle m’a dit en gros qu’il ne faudrait pas revenir la voir si je regrettais… alors que je ne lui avais rien demandé ! Ça a été un peu traumatisant. Mais bon, je m’y attendais, on va dire.

Le bonheur, c’est que depuis l’opération, j’ai retrouvé mes règles d’avant. Très peu douloureuses, très courtes. Je me sens libérée d’un handicap. Quel soulagement ! »

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