Santé

Cancer et sexualité : Virginie Grasc, oncosexologue, « La maladie ne veut pas dire que tout doit s’arrêter »

Le cancer reste une épreuve effrayante et pénible pour près de 3,8 millions de Français qui souffrent de la maladie ou en ont réchappé. Tous néanmoins doivent apprendre à vivre avec des souffrances physiques et mentales ainsi que des séquelles.

Parmi les cancers les plus répandus, selon l’Institut National du Cancer, on retrouve en tête de liste le cancer du sein chez la femme. Il représente 33 % des cancers féminins. Chez l’homme, le cancer de la prostate représente de son côté 25 % des cancers masculins. Peu répandu avant 50 ans, il a un très bon pronostic vital.

Considérant son impact à la fois physiologique et mental, il peut avoir de lourdes conséquences notamment sur la sexualité. Un impact souvent ignoré car tabou qui ne concerne pas seulement la perte du désir mais également l’image de soi souvent difficile à accepter. Virginie Grasc, oncosexologue clinicienne, aborde avec nous les questions que les malades et leurs proches peuvent rencontrer à ce sujet.

Le fait qu’il y ait la maladie ne veut pas dire que tout doit s’arrêter concernant la sexualité.

ELLE. – Vous êtes sexologue et psychologue, spécialisée en Oncosexologie, pouvez-vous nous expliquer cette spécialité et quelle aide peut-elle apporter aux couples dont l’un des conjoints est malade ?

Virginie Gasc. – Je suis sexologue. Psychologue clinicienne de formation. Sexologue depuis 10 ans et oncosexologue depuis 2018. L’oncosexologie s’intéresse à l’impact du cancer sur la sexualité, tant l’impact du côté du patient qui vit le cancer que de son partenaire. Cette approche peut apporter des connaissances et un accompagnement sur comment vivre ou se réapproprier sa sexualité, pendant et après un cancer.

ELLE. – On dit souvent que la communication est le ciment du couple, dans quelle mesure a-t-elle sa place dans une relation de couple lorsque le conjoint est atteint d’un cancer ?

V.G. – La communication est le ciment du couple. C’est une partie extrêmement importante dans le couple avec ou sans cancer. Quand il y a le cancer, la communication débute par le vécu de chacun par rapport à cette maladie et pas uniquement le vécu de la personne qui est atteinte, mais aussi l’impact que ce cancer peut avoir sur le/la partenaire. Il faut que cela puisse être exprimé dans le couple. Être présent est extrêmement important et ne pas savoir quoi dire, c’est normal et c’est souvent ce qui se passe. Exprimer ce que l’on ressent à l’autre est primordial. C’est ce qui va permettre à l’un et à l’autre d’avancer dans la lutte contre cette maladie et dans les traitements.

ELLE. – La communication est-elle plus importante que la relation intime elle-même ?

V.G. – La communication est primordiale, est un vecteur essentiel pour être dans un épanouissement de la relation avec l’autre. La relation intime a besoin de communication. Néanmoins, il peut y avoir communication sans relation intime.

ELLE. – Peut-on maintenir une vie sexuelle régulière pendant la maladie ?

V.G. – Bien évidemment. La vie sexuelle ne se limite pas à la pénétration. Il peut y avoir des échanges, des moments intimes, des caresses sensuelles, sexuelles, ce n’est pas une obligation, cela dépend du vécu de chacun et de l’envie de chacun. Le fait qu’il y ait la maladie ne veut pas dire que tout doit s’arrêter concernant la sexualité.

ELLE. – Qui dit cancer dit fatigue, baisse de la libido, problèmes à accepter comme son nouvel état physique, de quelle manière l’intimité peut-elle être approchée (par le conjoint et la personne malade) ?

V.G. – Il faut l’aborder avec beaucoup de compréhension et beaucoup de patience. La fatigue peut entraîner une baisse du désir sexuel. Les difficultés physiques auxquelles est confronté(e) le/la patiente le/la rendent moins disponible pour des relations intimes avec son/sa partenaire. Il faut beaucoup de patience, beaucoup d’amour aussi, sous toutes ses formes, pour pouvoir être un accompagnant bienveillant auprès de la personne qui est dans ce parcours de soins là.

ELLE. – Quels effets le cancer peut-il avoir sur le corps et l’esprit ?

V.G. – Cela dépend des cancers. Globalement, cela a un effet dévastateur parce que cela pose à un moment donné la question de la mortalité. Le mot cancer est chargé au niveau des représentations de la mort parce que malheureusement, certains n’y survivent pas. Ce n’est pas juste le cancer en lui-même, c’est surtout les traitements comme la chimiothérapie et la radiothérapie peuvent entraîner des troubles de l’excitation (érection chez les hommes et lubrification chez les femmes), des douleurs lors des rapports sexuels, la chirurgie, quant à elle, marque le corps et peut entraîner des difformités portant atteinte à la féminité (par exemple l’ablation d’un sein) ou à la masculinité (par exemple l’absence d’éjaculation suite à une chirurgie de la prostate). Elle peut entraîner des cicatrices, des irrégularités au niveau du corps, des muscles. Il n’est déjà pas évident pour certaines personnes d’accepter son corps d’une manière générale, comme on peut le voir à certains moments de la vie comme à l’adolescence ou même à l’âge adulte. Si on ajoute à cela des cicatrices ou des irrégularités cela prendra un certain temps pour investir ce corps avec ces nouvelles particularités. Il est important d’être accompagné par le conjoint, mais aussi par des professionnels. On ne peut pas traverser cette épreuve tout(e) seul(e).

Il faut essayer de prêter attention aux envies de l’un et de l’autre et composer avec ce qu’il est possible de faire.

ELLE. – Faut-il redéfinir les rapports à la sexualité pour maintenir les liens affectifs et relationnels dans un couple en cas de cancer ? De quelle manière ?

V.G. – Tout dépend du type de cancer. On redéfinit de toute manière les rapports à la sexualité avec l’âge, avec différentes épreuves de la vie tout simplement, sans forcément qu’il y ait une pathologie au milieu. Encore plus lorsque c’est un cancer. Effectivement, à certains moments des traitements, il y a des choses que l’on ne pourra pas faire lors des rapports sexuels tels qu’on les vivait auparavant avec son/sa partenaire. Il va falloir faire preuve de créativité. Peut-être que les rapports avec pénétration ne seront pas envisageables. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut pas avoir de relations intimes. On peut redéfinir les rapports avec beaucoup de communication dans le couple. Il faut essayer de prêter attention aux envies de l’un et de l’autre et composer avec ce qu’il est possible de faire. Il y a des particularités en fonction des couples, cela dépend de la relation, cela dépend comment est vécue la sexualité du couple. C’est dans la communication que l’on va pouvoir être créatif et réenvisager une sexualité qui convient au couple.

ELLE. – Doit-on aborder la sexualité de la même façon pour tous les types de cancer ?

V.G. – Oui. La sexualité, c’est d’abord comment on se sent avec l’autre, qu’est-ce que l’on partage avec l’autre, peu importe le type de cancer. « Comment vous vous sentez dans votre sexualité », je pense que c’est une question que l’on devrait poser de manière systématique lorsque les patients sont dans un parcours de soins.

ELLE. – Est-ce que cela demande une implication uniquement de la part du conjoint en bonne santé ?

V.G. – Il faut une implication des deux conjoints. C’est leur sexualité, à deux. C’est une réflexion qui doit se mener dans le couple. Il faut évidemment encore et toujours de la communication.

ELLE. – Et les personnes célibataires dans tout ça, comment se réapproprient-elles leur sexualité et leur corps ?

V.G. – Rien n’empêche les célibataires de se réapproprier leur corps même en l’absence d’un conjoint. D’ailleurs, je reçois autant de personnes en couple que des célibataires. Mon discours est le même : « la sexualité devra se redéfinir, s’adapter qu’on soit en couple ou pas ». Cela peut s’expérimenter seul, à travers la masturbation, c’est un bon moyen de se redécouvrir ou de se découvrir parce que certaines personnes ne passent pas par la masturbation. C’est un moyen intéressant de découvrir son corps, d’alimenter son excitation, voir comment son corps fonctionne depuis le cancer, depuis les traitements. Lorsqu’on est célibataire, on peut ne pas attendre qu’il y ait un partenaire pour parler de ses dysfonctions sexuelles liées au cancer. On peut très bien vivre des choses pour soi, s’autoriser à vivre des moments agréables.

Leur perception du plaisir, la fatigue, l’irritabilité, pour certains un état dépressif, tout cela impacte la sexualité.

ELLE. – Comment accompagner les couples sur le plan thérapie sexuelle ?

V.G. – Il est important de donner des informations. En expliquant certaines choses, en leur donnant des petites astuces aussi. Parmi les petites astuces, il y a celle de trouver du temps pour le couple parce qu’on est souvent pris par la vie, le travail, les enfants et on oublie de passer du temps ensemble. Quand le cancer s’ajoute, on va dépenser beaucoup d’énergie dans les rendez-vous et d’autres choses en oubliant de prendre du temps pour soi et pour le couple. On peut donner aussi des petits exercices à faire en couple comme l’utilisation d’huiles par exemple pour les massages ou pour l’hydratation des zones génitales. Ça maintient une forme d’intimité, de complicité tout en prenant soin de l’autre.

ELLE. – Les traitements contre la maladie peuvent-ils avoir un impact négatif sur la sexualité ? Comment y faire face ?

V.G. – Au-delà de l’image de soi, l’image du corps peut être altérée, une sécheresse vaginale peut apparaître, des douleurs au moment de la pénétration également. Cela peut être un trouble du désir aussi, des difficultés à réinvestir certaines parties de son corps notamment pour le cancer du sein par exemple. Après une ablation du sein, certaines femmes peuvent avoir des difficultés à montrer leur poitrine ou à se laisser toucher par le partenaire alors qu’avant, c’était peut-être une zone qui était très investie dans la sexualité. Pour les hommes, cela peut être des troubles érectiles, s’il y a une chirurgie de la prostate avec l’ablation de la prostate il n’y a plus d’éjaculation. Il faut donc réinvestir l’orgasme ou le plaisir sans qu’il y ait cette manifestation que beaucoup d’hommes considèrent comme essentielle. Leur perception du plaisir, la fatigue, l’irritabilité, pour certains un état dépressif, tout cela impacte la sexualité. D’où l’importance d’un accompagnement professionnel qui me paraît essentiel.

ELLE. – L’amour pendant la maladie et après la maladie s’abordent-ils de la même façon ?

V.G. – Cela va dépendre des personnes. Les personnes qui ont traversé cette épreuve vont vivre les choses différemment, elles vont redéfinir leurs priorités, elles vont réinventer leur rapport à l’amour, à la vie, à la mort, à la sexualité, au partage. Ce sont les personnes elles-mêmes qui vont les redéfinir.

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